C’est la journée mondiale du recyclage ! Dans son livre Recyclage, le grand enfumage paru aux éditions Rue de l’échiquier, Flore Berlingen, ex-directrice de l’ONG Zero Waste France, dénonce la stratégie affichée du tout recyclage pour résoudre la crise des déchets. « Un mensonge », juge-t-elle. Entretien.
Natura Sciences : Vous titrez votre nouveau livre « Recyclage, le grand enfumage », pourquoi?
Flore Berlingen : Ce n’est pas au recyclage en tant que tel auquel je m’attaque. Je dénonce l’instrumentalisation du recyclage. Le recyclage est indispensable, mais insuffisant et parfois même contre-productif. Les industriels cherchent à recycler des produits qui ne devraient même pas exister : les objets à usage unique. En réalité, même triés, une grande partie d’entre eux ne sont pas recyclés. Les industriels cherchent à faire croire que grâce au recyclage ce type de consommation peut devenir soutenable. C’est un mensonge.
L’enfumage, c’est lorsque le recyclage, son objectif ou son discours dissimule quelque chose que l’on ne veut pas montrer au public. C’est par exemple lorsqu’un écran de fumée dissimule le fait que le jetable représente une consommation de ressources et une production de déchets énormes. Il sert en plus de justification et d’alibi au jetable. On fait passer le recyclage pour ce qu’il n’est pas lorsque l’on dresse le portrait d’une économie circulaire idéale sur le modèle du cycle biologique. C’est une image fausse. L’économie circulaire du recyclage comprend des pertes, des dégradations de matériaux, des consommations d’eau et d’énergie inhérentes aux procédés utilisés. Tout cela fait qu’un recyclage à l’infini n’est pas possible.
En plus, les industriels cherchent à noyer le poisson à travers des engagements volontaires. Le simple fait d’annoncer des intentions se substitue parfois au fait d’agir. Certaines marques n’hésitent pas à reformuler des intentions et des objectifs chaque année sans faire la moindre analyse de leur progression. Ces entreprises passent leur temps à communiquer sur des objectifs de plus en plus ambitieux sans communiquer sur leurs résultats. C’est un problème. Et d’autant plus quand leurs stratégies d’influence retardent le fait que des réglementations contraignantes se mettent en place.
Comment les entreprises instrumentalisent-elles le recyclage ?
Le recyclage peut d’abord être instrumentalisé à des fins de marketing. Le recyclage sert alors d’argument de vente pour nous pousser à acheter plus, à renouveler plus fréquemment nos achats. C’est par exemple le cas lorsque des marques offrent des bons d’achats en échange de vêtements rapportés pour du recyclage. Les grandes enseignes de la fast fashion le font quasiment toutes aujourd’hui.
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Il y a aussi des cas de greenwashing caractérisés lorsque le caractère recyclable est mis en avant sur le packaging, alors qu’il n’y a pas de recyclage effectif en fin de vie. Le recyclage devient l’instrument des lobbies pour éviter des réglementations contraignantes qui s’attaqueraient au jetable. Ils mettent en avant des engagements ou des plans d’action volontaires pour éviter que le législateur s’empare trop du sujet et s’attaque aux objets à usage unique qui posent problème.
Comment cette vision enjolivée du recyclage s’est-elle construite?
Cette vision découle des campagnes de communication qui mettent systématiquement en avant le geste de tri sans évoquer les limites du recyclage. Cela crée une image fausse du recyclage dans l’esprit du grand public, à savoir qu’il constitue la solution au problème des déchets et des ressources. Le public pense que s’il est aussi souvent mis en avant par les campagnes de sensibilisation, c’est qu’il est suffisamment efficace pour prendre à bras le corps cette problématique. Hors, ce n’est pas le cas. Le recyclage est indispensable mais insuffisant.
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Il ne faut pas que la communication sur le recyclage devienne une contre incitation à la prévention. Les travaux de Monic Sun et Remi Trudel montrent que les connotations positives sur recyclage l’emportent sur le fait de ne pas surconsommer ou gaspiller. En effet, par association d’idées positives faite avec le recyclage, un individu peut être amené à surconsommer d’une ressource qui lui est offerte dès lors qu’il sait qu’il y a une possibilité de recyclage.
La crise sanitaire a permis d’illustrer certaines limites du recyclage. En particulier, les matières recyclées coûtent souvent plus cher que les matières vierges. Comment dans ce cas miser sur l’avenir du recyclage et aller vers plus de recyclage ?
La crise sanitaire permet d’illustrer certaines limites du recyclage, mais il ne faut pas surinterpréter ce qu’il s’est passé. Si plusieurs centres de tri ont fermé leurs portes temporairement, c’est avant tout car il y a encore beaucoup de main d’œuvre qui manipule les déchets. Le tri n’est pas entièrement automatisé, il y a encore des tables de tri où des opérateurs trient manuellement. Ils ont fermé par mesure de protection du personnel.
Nous avons aussi assisté à des manœuvres de lobbying pour essayer de retarder ou d’annuler certaines mesures d’interdiction du plastique à usage unique. Heureusement, ils n’ont pas eu gain de cause au niveau français et européen. La crise sanitaire illustre à quel point le recyclage est dépendant du cours des matières premières vierges et à quel point celui-ci est volatile. Si ce cours chute, il devient beaucoup plus difficile de trouver des débouchés pour les matières recyclées. C’est un facteur de fragilité qui rend difficile le fait de se projeter et de stabiliser des filières pour certains matériaux à court et moyen termes.
Face à la modernisation des centres de tri en cours, comment combattre l’usage unique et aller vers davantage de réemploi ?
Même les collectivités locales peuvent se trouver prises au piège du recyclage. Et ce, alors même qu’elles mènent des programmes de prévention des déchets. Pourquoi ? Car elles incitent les citoyens à réduire leurs déchets, alors qu’elles investissent massivement dans la modernisation des centres de tri. Pour rentabiliser leurs investissements, elles ont besoin de collecter des déchets.
La proposition portée par Zero Waste France pour faire progresser le réemploi en France est de passer par des quotas de réemploi obligatoires qui s’appliqueraient directement aux entreprises. Par exemple, les grandes entreprises vendant des boissons en bouteille et celles proposant des produits alimentaires emballés seraient obligées d’avoir une part progressivement de plus en plus importante de leurs bouteilles et de leurs emballages qui soient réemployés par un système de consigne. Il faut déployer un plan d’investissement et de soutien massif pour redéployer des dispositifs de lavage et de logistique à l’échelle locale dans toute la France.
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Propos recueillis par Matthieu Combe