Il existe un lien direct entre exposition aux produits chimiques et tumeurs cérébrales cancéreuses. Pour les veuves des victimes, cette reconnaissance difficile à obtenir est une avancée.
C’est encore exceptionnel. La maladie professionnelle est reconnue pour les tumeurs cérébrales de deux agriculteurs décédés. Les données épidémiologiques montrent un lien entre ces pathologies rares et l’utilisation de certains pesticides. Pour les veuves des victimes, c’est un soulagement.
« Il était conscient de la dangerosité de ces produits, mais il se faisait un devoir de le faire. C’était sa religion: que le travail soit bien fait », raconte Jeanne, 75 ans. Cette mère de cinq enfants, habite une petite commune entre Loire-Atlantique et Vendée. Son mari, Constant (prénoms changés), éleveur de vaches laitières, a traité ses cultures aux pesticides dès l’âge de 14 ans. Il est mort à 69 ans d’une tumeur cérébrale.
Combat des veuves d’agriculteurs
« On a été dans la misère. Mes enfants ont dû m’aider pour vivre. Pendant la maladie, on a dépensé beaucoup d’argent », se souvient Jeanne. En février 2020, le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) de Nantes, composé de trois médecins, établit un « lien direct et essentiel » entre la maladie de Constant et son métier d’agriculteur. « De la littérature scientifique récente, il ressort qu’une telle exposition (aux pesticides) est associée à un sur-risque de développer un gliome cérébral ». C’est ce que souligne le comité dans un avis consulté par l’AFP.
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« J’ai fait ça pour mon mari. C’était important que son honneur soit défendu », explique son épouse. Cette reconnaissance signifie aussi une rente d’un peu plus de 7.000 euros par an pour Jeanne. Elle n’aura « plus besoin de demander de l’argent à (ses) filles, de faire attention pour (s)’acheter à manger ». « C’est énorme, inespéré », lâche-t-elle.
Karine a elle dû saisir le tribunal pour faire reconnaître la maladie de son mari. Il est mort en mars 2020, à 43 ans, d’un glioblastome diagnostiqué un an plus tôt. « La rente, ça va nous permettre de retaper la maison », explique l’éleveuse de vaches laitières. Elle reçoit dans la cuisine de sa ferme, où la température dépasse à peine les 13°C. Le 10 décembre dernier, le TGI de Rennes lui a donné raison sur une question de délai. Mais sans se prononcer sur l’aspect scientifique.
Tumeurs cérébrales foudroyantes
Jean-Michel, Odette, Michel, Christophe. Tous sont morts plutôt jeunes. « On a eu à connaître plusieurs paysans qui décédaient en moins d’un an après des tumeurs cérébrales », raconte Michel Besnard. Il est membre du collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest, qui a défendu les deux dossiers. L’avocate du collectif, Hermine Baron, parle de six dossiers en cours ou passés. « C’est compliqué car ce sont des pathologies dans lesquelles le pronostic vital est engagé rapidement », dit-elle.
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D’autant plus compliqué que les tumeurs cérébrales ne sont pas des pathologies reconnues dans le tableau des maladies professionnelles agricoles. D’autres maladies, comme Parkinson ou des hémopathies malignes provoquées par les pesticides sont, en principe, plus facilement reconnues.
Des pesticides aux effets délétères
La Mutualité sociale agricole (MSA) traite les dossiers des agriculteurs malades. Entre 2014 et 2020, elle a dénombré « 12 cas de tumeurs malignes de l’encéphale ayant fait l’objet d’un passage en CRRMP ». Mais la plupart du temps sans aboutir, selon une porte-parole. Cette dernière rappelle qu’un rapport de l’Inserm de 2013 avait relevé « un niveau de preuve limité » quant au lien entre pesticides et tumeurs cérébrales.
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« Il est plus difficile de mettre en œuvre des études sur des maladies rares. La puissance des analyses statistiques (…) est directement liée à la taille des études », explique Isabelle Baldi. Elle est épidémiologiste à l’université de Bordeaux. Mais la cohorte Agrican, qui inclut 180.000 participants affiliés à la MSA, apporte des éclairages sur le sujet. Cette étude « montre des risques de tumeurs du système nerveux central plus élevés chez les utilisateurs de pesticides sur certaines cultures (pommes de terre, tournesol et betteraves) », affirme Isabelle Baldi.
Puis Isabelle Baldi ajoute que « de plus, des liens existent avec des insecticides. Mais aussi avec des herbicides et des fongicides du groupe des pesticides carbamates ». Ainsi, un risque peut se multiplier par trois ou quatre selon les pesticides utilisés, pointe l’enquête Agrican. « Ces procédures en reconnaissance ont un avenir », veut croire Hermine Baron.
Chaymaa Deb avec AFP