L’autorisation européenne du glyphosate expire le 15 décembre prochain. Classé « cancérogène probable pour l’homme » par le CIRC, celle-ci est jugée « improbable » par l’Efsa, l’Echa et l’Anses. Résumé d’une polémique scientifique et politique, au nom du principe de précaution.
Le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé au monde. Cette matière active a été brevetée par Monsanto dans les années 1970. Elle a d’abord été commercialisée sous le seul Roundup de Monsanto jusque dans les années 2000. Tombé alors dans le domaine public, le glyphosate s’est imposé. Il est aujourd’hui présent dans la composition de 780 produits vendus par plus de 90 sociétés dans le monde. S’il est principalement utilisé en agriculture, il est également vendu aux jardiniers amateurs. En France, environ 8.000 tonnes par an seraient pulvérisées. Avec son principal produit de dégradation, l’AMPA, il constitue le pesticide le plus fréquemment détecté dans les cours d’eau en France métropolitaine.
Quelle licence européenne pour le glyphosate?
L’autorisation européenne du glyphosate expire le 15 décembre prochain. La Commission européenne arrivera-t-elle à mettre d’accord les pays européens d’ici là ? Le Parlement européen s’était prononcé le 24 octobre pour une sortie programmée du glyphosate en 5 ans, incluant une extension (et non un renouvellement) de trois ans maximum. Le lendemain, la Commission européenne prévoyait toujours un renouvellement de dix ans, mais n’a pasrassemblé de majorité qualifiée. À savoir le vote d’au moins 55% des 28 Etats membres représentant 65% des habitants. 16 pays étaient pour, 2 pays voulaient s’abstenir et 10 étaient contre, dont la France et la Belgique. Le vote a donc été à nouveau reporté. Prochain rendez-vous fixé au 9 novembre.
Face à la position du Parlement européen et en absence de majorité qualifiée, la Commission envisageait de mettre sur la table un renouvellement de 5 à 7 ans. La Commission proposera finalement un renouvellement pour cinq ans. Toutefois, cette proposition ne mentionne aucune restriction ou une possible interdiction dans les années à venir. Si elle était votée, aucune sortie du glyphosate ne serait envisageable avant plusieurs années.
Une polémique née de plusieurs expertises opposées
En mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a classé le glyphosate comme « cancérogène probable sur l’homme ». En novembre 2015, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) jugeait de son côté le caractère cancérogène du glyhosate « improbable ». Pour expliquer ces conclusions opposées, précisons que le Circ a entrepris son évaluation en ne se basant que sur des études publiées dans la littérature scientifique évaluée par les pairs. De son côté, l’Efsa a pris en compte ces mêmes études, mais aussi les dossiers confidentielles des industriels. Par ailleurs, l’Efsa ne s’est intéressée qu’à la substance active, tandis que le Circ s’est aussi penché sur le glyphosate associé à des adjuvants. Cette évaluation est réservée aux Etats membres dans la législation européenne.
Depuis, des agences nationales ont été saisies et, loin d’éclaircir le débat, ne cessent de le compliquer. Pour ne prendre qu’un exemple, en février 2016, l’Agence nationale française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) concluait à un niveau de preuve de cancérogénicité chez l’animal et chez l’homme « relativement limité ». Elle annonçait cependant la mise en place d’un groupe de travail sur les risques liés aux co-formulants. Ainsi, en juillet 2016, elle a procédé au retrait de 126 autorisations des produits associant la substance active glyphosate au co-formulant POE-Tallowamine.
Les Monsanto Papers entrent dans la partie
En juin 2016, la Commission avait réautorisé provisoirement le glyphosate jusqu’en décembre 2017 en attendant la décision de l’Agence européenne des produits chimiques (Echa). Sa conclusion a été rendue en mars 2017 : elle ne considère pas le glyphosate comme cancérogène ou mutagène. Mais depuis, la fronde monte, notamment poussée par le scandale des Monsanto Papers. Aux Etats-Unis, des personnes atteintes d’un lymphome non hodgkinien ont fini par avoir accès à des documents secrets. Ces malades atteints d’un cancer du sang accusent le Roundup d’en être la cause. La justice fédérale a choisi de déclassifier 250 pages de correspondance interne de la firme. Ces courriels de Monsanto révèlent que le caractère génotoxique du glyphosate est connu depuis 1999, tout comme son potentiel mutagène. Cela aurait pu s’arrêter là. Mais il y a aussi eu des accusations d’influence de Monsanto sur le rapport de l’Efsa reprenant des copiers-collers d’études de l’industriel.
La controverse a vite été récupérée par les ONG. Celles-ci ont profité de la dispute d’experts pour demander l’interdiction du produit au nom du principe de précaution. Et leur action a connu un large écho. Une initiative citoyenne européenne demandant l’interdiction du glyphosate a été signée par 1,3 millions d’européens.
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Les lobbies agissent de toute part
Sans évaluation indiscutable du risque sanitaire, les lobbies veulent pousser la réautorisation du glyphosate à Bruxelles. Certains acteurs vont même jusqu’à associer le glyphosate à l’agroécologie. Pour Coop de France, le glyphosate « est reconnu comme un désherbant qui entre dans les stratégies de production durable comme le non-labour et l’agriculture de conservation » et« son interdiction remettrait en cause des pratiques en plein développement faisant partie intégrante de l’agroécologie ».
Les pays européens ne savent plus sur quel pied danser. D’un côté les agriculteurs militent pour la prolongation de l’homologation du glyphosate. De l’autre leurs populations sont de plus en plus sensibles aux risques sanitaires des pesticides. Mais il faut bien le dire, en cas d’interdiction, le glyphosate serait immédiatement remplacé par des produits autant, voire plus, problématiques, sans une révolution des pratiques agricoles conventionnelles. Il existait bien une molécule aux qualités équivalentes : le glufosinate-ammonium. Mais nouvau coup de tonnerre pour les agriculteurs, l’Anses a procédé le 24 octobre 2017 au retrait de l’autorisation de mise sur le marché de cette substance active classée reprotoxique présumée. « L’Agence conclut que des risques pour la santé des utilisateurs et des travailleurs, et des personnes présentes à proximité des espaces traités, ne peuvent être exclus », fait-elle savoir dans un communiqué.
Les agriculteurs montent au créneau pour dénoncer l’absence d’alternatives à cet herbicide. La FNSEA dénonce notamment « des trajectoires d’interdictions et non des trajectoires de solutions » qui risquent de conduire à « des impasses techniques ». À l’opposé, « santé publique, principe de précaution, conflits d’intérêt, urgence environnementale : les arguments ne manquent pourtant pas aux décideurs politiques pour exiger l’interdiction du glyphosate sans attendre dans l’Union européenne », juge l’organisation Foodwatch.
Pour s’affranchir des produits chimiques, il faut labourer la terre. Mais le faire de manière mécanique, « c’est aussi altérer l’environnement via les tracteurs, les carburants, les gaz à effet de serre, les érosions des sols », rappelle Slate.fr. Voici donc une nouvelle preuve de l’impasse dans laquelle s’engouffre notre agriculture conventionnelle.
Auteur : Matthieu Combe, fondateur du webzine Natura-sciences.com