Jeudi 30 septembre, la start-up Lhyfe inaugurait son premier site de production d’hydrogène à Bouin, en Vendée. Une première mondiale ainsi qu’une promesse de produire de l’hydrogène « vert », écologique et économique. Décryptage.
Jeudi dernier à Bouin en Vendée, la start-up nantaise Lhyfe inaugurait son premier site de production industrielle d’hydrogène. Le site produit de l’hydrogène par électrolyse de l’eau, avec de l’électricité d’origine éolienne locale. Créée en 2017 à Nantes, l’entreprise produit et fournit de l’hydrogène « vert » et renouvelable pour la mobilité et l’industrie. Ses sites de production permettent l’accès à l’hydrogène renouvelable en quantités industrielles. Matthieu Guesné, fondateur et président de Lhyfe, le clame : « Notre but est de rendre l’hydrogène écologique et accessible à tous les territoires, partout dans le monde. »
Membre de France Hydrogène et Hydrogène Europe, Lhyfe comptera bientôt une centaine de collaborateurs. L’entreprise nantaise a déjà de nombreux soutiens comme France Relance, la République française, la Région Pays de la Loire et Bpifrance. Parmi ses partenaires, Emmanuel Legrand, directeur du département de la Transition Énergétique et Écologique de la Banque des Territoires, croit au projet de Lhyfe. « L’hydrogène renouvelable est une priorité du plan de relance et un enjeu clé pour traiter la nécessaire décarbonation de nos sociétés portée par des territoires plus durables », assure le directeur.
Des ambitions considérables
Lhyfe, qui a investi 10 millions d’euros « surtout pour la recherche et le développement », doit maintenant « capitaliser sur l’expérience », explique Matthieu Guesné. Ainsi, la start-up réalise une deuxième levée de fonds de 50 millions d’euros auprès de nouveaux investisseurs comme la Banque des Territoires. Plus particulièrement, Lhyfe veut renforcer, à hauteur de 30 millions d’euros, ses équipes de déploiement et de R&D, en France et à l’international.
L’entreprise nantaise compte déjà une soixantaine de projets, dont un tiers en France. « Nous avons deux clients : la mobilité, notamment les bus et charriots, et l’industrie », explique le PDG. Matthieu Guesné l’assure, « une usine comme la nôtre peut fournir des transports pour une ville de 50 000 habitants. » En ce qui concerne le site de Bouin, le PDG estime son efficacité à 70%, « pouvant encore gagner 10%. »
De plus, Lhyfe compte faire baisser le prix de l’hydrogène. « L’hydrogène coûte entre 12 et 15€ à la pompe aujourd’hui. Notre but est qu’il tombe à 9€ d’ici 2 à 3 ans. Ce qui est tout à fait réalisable », promet Matthieu Guesné.
À l’international, Lhyfe collabore « surtout avec l’Europe de l’Est et les pays nordiques, ainsi que l’Allemagne », indique Matthieu Guesné. Lors de l’inauguration du site de Bouin, le fondateur en a profité pour annoncer que leur plus gros site d’électrolyse serait au Danemark.
« Complètement local et circulaire »
Antoine Hamon, membre du conseil d’administration de Lhyfe, l’affirme : « le site est complètement local et circulaire. » À terme, le but de la start-up est de remplacer l’ensemble des énergies fossiles par de l’hydrogène, « de façon massive et compétitive en termes de prix », maintient Antoine Hamon.
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Pour y arriver, les techniciens du site remplissent des containers qui ont une capacité de 350 kg, « et jusqu’à une tonne transportable dans un camion », précise le membre du CA. « L’idée, c’est d’être équivalent à ce qui est proposé en termes de fonctionnement », explique-t-il.
Autre objectif dans le viseur, le projet VHyGO « veut mutualiser les infrastructures d’hydrogène. Chaque PME, entreprise ou collectivité aura sa propre part d’électrolyseur à gérer », révèle Matthieu Guesné. Sur trois régions du Grand Ouest (Bretagne, Normandie et Pays de la Loire), le projet a pour objectif de réduire l’empreinte carbone du territoire et démocratiser l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité d’origine renouvelable en le rendant accessible géographiquement et financièrement.
La question des éoliennes
Pour s’adapter aux différentes ressources renouvelables, Lhyfe a fait le choix d’utiliser les éoliennes. Concernant la possible non-efficacité de ces dernières, Matthieu Guesné rétorque : « Une éolienne tourne environ 6 000 heures. Il faut toujours produire, même à 30% ou 50% des capacités de l’usine. Pour cela, on a notamment des matériels pilotés par intelligence artificielle. » Antoine Hamon, membre du conseil d’administration de Lhyfe, le soutient davantage. « C’est un faux débat de dire que les éoliennes ne produisent pas quand on en a besoin », garantit le partenaire.
En cela, Laurent Antoni explique que tout va dépendre de leur localisation. « Comme pour toute énergie renouvelable, le but est d’augmenter leur taux d’utilisation. On ne peut pas dire qu’on arrête de consommer parce qu’il n’y a pas de soleil ou de vent. Il faut rendre le système intelligent, mettre en place des capacités de stockage », explique-t-il.
« On est toujours mis face aux détracteurs de l’énergie éolienne. Or ça matche entre la production journalière et annuelle des éoliennes », assure Antoine Hamon. Il concède tout de même que « l’énergie qu’on prend des éoliennes aurait pu être utilisée pour d’autres productions. Ça c’est une réalité. » Mais l’idée principale est de « toujours placer l’industrie à côté de sa source d’approvisionnement », rapporte Matthieu Guesné.
L’hydrogène, un danger ?
Même s’il est obtenu par électrolyse de l’eau, l’hydrogène est un gaz qui s’enflamme deux fois plus vite que le propane ou le méthane. Il présente des risques de fuite et explose au contact de l’air. Philippe Boucly, président de l’association France Hydrogène dont Lhyfe est membre, confiait à Reporterre : « c’est un vecteur énergétique dangereux, même si les professionnels prennent toutes les précautions. On ne va pas se le cacher : il y aura des morts à cause de l’hydrogène. »
Mais pour Laurent Antoni, l’un des vice-présidents de France Hydrogène, « cette phrase a dû être sortie de son contexte. » S’il confirme que l’hydrogène est un vecteur énergétique dangereux, Laurent Antoni prend l’exemple de l’électricité. « Elle tue plusieurs centaines de personnes par an et pourtant on laisse nos enfants jouer avec des prises électriques », assène-t-il.
Quant à l’argument des morts, le président d’Hydrogen Europe Research le clame : « Il y a des milliers de morts sur la route, ce n’est pas pour autant qu’on interdit de rouler. » Parler de morts « pour faire peur relève de la désinformation », condamne le président de l’association. Et la communauté de l’hydrogène est fortement consciente « qu’elle n’a pas le droit à un accident grave. Ça pourrait tuer la filière. C’est pourquoi la sécurité est une préoccupation prioritaire », affirme Laurent Antoni.
De l’eau et des batteries
Parallèlement, produire de l’hydrogène « vert » demande une quantité d’eau importante, à la fois pour l’électrolyse et pour le refroidissement des équipements. Comme le préconise Hydrogen Europe, installer des électrolyseurs d’une capacité de 40 gigawatts nécessiterait quelque 254 millions de m³ d’eau par an.
Une quantité d’eau faussement impressionnante selon Laurent Antoni. À l’horizon 2030, la stratégie européenne vise à produire 10 millions de tonnes d’hydrogène, ce qui peut effectivement nécessiter 200 millions de m3 d’eau, estime le président de l’association. Mais il le certifie, « il faut mettre ces chiffres en perspective avec la consommation d’eau européenne. Produire 10 millions de tonnes va consommer 0,005% de l’eau, ce qui est epsilon. » En d’autres termes, insignifiant.
Matthieu Guesné déclarait quant à lui : « il y a deux solutions de transition énergétique : les batteries et l’hydrogène. Mais les batteries ont moins d’avenir, par rapport à leur autonomie ou leur temps de recharge. » En réponse à ce propos, Laurent Antoni nuance. « Il ne faut pas voir ces deux solutions comme concurrentes mais comme complémentaires », convient le président de l’association. Car d’après lui, l’optimum économique se situerait entre les deux, dont la valeur dépend des énergies primaires disponibles et du besoin. « La complémentarité des deux est l’optimum d’un point de vue économique, énergétique et environnemental », assure Laurent Antoni.
« Tourner le dos aux énergies fossiles »
Aujourd’hui, Lhyfe produit quotidiennement 300 kilos d’hydrogène renouvelable, avant de passer à une tonne par jour dans les prochains mois. Et pour obtenir ce que Lhyfe appelle « l’hydrogène écologique », il faut notamment « 99,999% de pureté pour ne pas polluer les moteurs », soutient Matthieu Guesné.
Pour Lhyfe, la mission est claire : « nous voulons tourner le dos aux énergies fossiles », déclare le PDG. Et il n’en doute pas, « les énergies locales sont moins chères. Tout le monde en voit le bénéfice. » Mais pour que l’hydrogène se développe réellement, « il faut une prise de conscience globale. De la part des stations-services, des usines et des constructeurs automobiles », signale Matthieu Guesné.
« On veut éviter que Guillaume Pitron écrive que l’on pollue », ironise le fondateur. Pour rappel, Guillaume Pitron est un journaliste spécialiste de la géopolitique des matières premières. Son documentaire La Face cachée des énergies vertes dénonce le « mythe d’un monde meilleur, libéré des énergies fossiles. »
La France prévoit d’investir 7 milliards d’euros d’ici à 2030 dans l’émergence d’une filière autour de ce gaz décarboné pour l’industrie et les mobilités lourdes. La ministre de la Transition écologique Barbara Pompili déclarait à ce propos : « La France a la conviction que l’hydrogène décarboné sera l’une des grandes révolutions de notre siècle. »
Jeanne Guarato