Après son livre « La guerre des métaux rares : La face cachée de la transition énergétique et numérique », le journaliste Guillaume Pitron a dévoilé sur Arte le documentaire « La face cachée des énergies vertes ». Deux supports pour un même message : les métaux rares menaceraient la réussite de la transition, laissant les pays occidentaux en proie aux pays extracteurs.
Le monde a connu deux révolutions industrielles, celle de la machine à vapeur, puis du moteur thermique. Désormais, les énergies renouvelables et le numérique nous mènent vers une troisième révolution énergétique. Une trentaine de métaux rares sont la nouvelle ressource indispensable pour y parvenir. Ils comprennent les 17 terres rares, le graphite, le cobalt, l’antimoine, le tungstène et le tantale. Mais aussi le platine, l’iridium, le ruthénium, le niobium et quelques autres. Contrairement à ce que leur nom indique, leur présence n’est pas forcément rare dans l’écorce terrestre. Néanmoins, leurs gisements assez vastes pour une exploitation rentable avec les technologies actuelles le sont.
Extraire toujours plus de métaux
Pour la même production d’énergie, les technologies utilisées aujourd’hui consomment davantage de métaux que les technologies précédentes. En juillet 2017, la Banque mondiale alertait sur le fait qu’un monde bas carbone nécessitera beaucoup de ressources. La transition énergétique en demandera son lot pour construire toujours plus d’éoliennes, de panneaux solaires et stocker l’énergie dans des batteries.
« Il faut s’attendre à une augmentation de la demande d’acier, d’aluminium, d’argent, de cuivre, de plomb, de lithium, de manganèse, de nickel et de zinc, ainsi que de certaines terres rares, telles que l’indium, le molybdène et le néodyme », prévenait la Banque mondiale. « Soutenir le changement de notre modèle énergétique exige déjà un doublement de la production de métaux rares tous les quinze ans environ, et nécessitera au cours des trente prochaines années d’extraire davantage de minerais que ce que l’humanité a prélevé depuis 70 000 ans », précise Guillaume Pitron.
Des terres rares chinoises polluantes
Pendant six ans, le journaliste Guillaume Pitron a mené l’enquête sur les terres et métaux rares. Il s’est rendu dans une douzaine de pays, sur quatre continents. Et son constat est sans appel : la Chine domine désormais l’extraction des métaux rares. Le pays assure en effet 95 % de leur production mondiale. LED, écrans plats, batteries, véhicules électriques, éoliennes à aimants permanents, téléphones portables, ordinateurs et réseaux électriques intelligents demandent leur pesant de terres rares. En outre, la majorité des objets contenant une batterie, un vibreur ou un aimant puissant en contiennent. Sans oublier les équipements les plus sophistiqués des armées occidentales – robots, cyberarmes et avions de combat.
Les procédés d’extraction, de séparation et de purification de ces métaux demandent d’extraire quantités de roches, de nombreux produits chimiques et sont énergivores. Et pour cause, « un kilo de roche contient en moyenne 120 milligrammes de vanadium, 66,5 milligrammes de cérium, 19 milligrammes de gallium et 0,8 milligramme de lutécium », rappelle-t-il. En Chine, les acides sulfuriques et chlorhydriques polluent les cours d’eau et forment des montagnes de déchets aux alentours des mines. Ces extractions se sont accompagnées d’une hausse de maladies et de cancers considérables chez les riverains.
En toile de fonds, la mainmise de la Chine sur la transition
Depuis une quinzaine d’années, la Chine a mis en place une politique de restriction de ses exportations de minerais. Elle donne toutefois un accès illimité à ces métaux aux entreprises qui viennent s’installer dans le pays, en échange d’un transfert de technologies. « Les Chinois ont bien l’intention de gagner la bataille sur l’aval de toutes les technologies du futur et cela fonctionne. Le pays est déjà le leader des technologies vertes dans le monde. Il s’agit du premier producteur d’énergies vertes au monde, du premier fabricant d’équipements photovoltaïques, de la première puissance hydroélectrique, du premier investisseur dans l’éolien et du premier marché mondial des voitures à nouvelles énergies », analyse Guillaume Pitron.
« Cette situation chinoise sur les terres rares est reproduite dans d’autres pays qui connaissent des positions majoritaires. En Asie, en Afrique, en Amérique latine, un puissant phénomène de nationalisme des ressources minières fragilise de plus en plus les positions occidentales. Les ressources exploitées localement doivent alimenter la consommation intérieure plutôt que satisfaire les appétits de pays client », complète le journaliste. Dans ces conditions, Guillaume Pitron appelle à rationaliser et recycler les ressources.
Vers le retour de mines en France ?
« Aujourd’hui, on ne recycle que 1 % des terres rares, mais c’est bien 100 % de tous les métaux rares qu’il faut recycler. Il faut également lutter contre l’obsolescence programmée, substituer les métaux énergivores et faire de l’éco-conception », soutient-il. Malgré tout, il faudra toujours aller chercher plus de métaux, c’est inévitable. Guillaume Pitron appelle donc au retour des mines en France. « Il est trop facile de délocaliser la pollution et laisser d’autres pays extraire des minerais sans lesquels nous ne pourrions pas parler de transition énergétique en France. Il faut que nous assumions une partie de ce fardeau, à parts égales de notre PIB par exemple. »
Guillaume Pitron espère ainsi que le grand public prenne conscience du coût réel de la transition énergétique en termes d’extraction minière. Il accepterait peut-être alors de dépenser un peu plus d’argent pour un téléphone avec des métaux provenant d’une mine un peu plus responsable que les actuelles. Cela aurait un autre corollaire. Si la Chine voulait continuer à vendre des métaux à l’Occident, elle devrait extraire ses métaux plus proprement. Mais en attendant, la sobriété fait aussi partie de la solution.
Regarder le documentaire « La face cachée des énergies vertes »
Auteur : Matthieu Combe, journaliste de Natura Sciences