Vladimir Poutine, plutôt connu pour son climato-scepticisme, affiche désormais un revirement dans sa politique écologique. Un retournement par intérêt économique.
« Qui connait Vladimir Poutine?« , lance à la salle Mikaa Mered, expert en géopolitique des pôles Arctique et Antarctique, lors d’une conférence organisée par la fondation Le français, témoin des pôles le 29 septembre à Paris. Toutes les mains se lèvent. « Et maintenant, gardez votre main levée si vous savez que Vladimir Poutine est écologiste« , poursuit-il. Entre sourires gênés et regards perplexes, tous les bras se baissent lentement. Pourtant, le dirigeant russe a tout intérêt à lutter contre le changement climatique dans son pays. « Oui Vladimir Poutine est devenu écologiste« , affirme l’expert.
Le réchauffement climatique pourrait arranger les affaires russes
De prime abord, le réchauffement climatique pourrait être une aubaine pour les intérêts russes. « La fonte des glaces permettrait d’exploiter plus de ressources, ce qui assurerait à ce pays rentier toujours plus de revenus. Cela garantirait à Vladimir Poutine d’asseoir ainsi son influence, et donc de stabiliser son régime autour de son pouvoir« , poursuit Mikaa Mered. En effet, la fonte des glaces dans la région donne notamment accès à des mines de cuivre, d’or, de nickel, d’uranium, de fer, de tungstène, ou de diamants.
Outre ces revenus qu’il peut espérer, Vladimir Poutine a d’autres ambitions. Avec le réchauffement climatique, et la fonte du permafrost, c’est un nouvel accès à la mer, par le Nord, qui s’offre au pays. Un passage que le chef du Kremlin compte bien exploiter. Il souhaite en faire le concurrent direct du canal de Suez. Pour l’instant, les cargos de marchandises provenant d’Asie sont obligés de passer par celui-ci pour livrer l’Europe. Avec cette nouvelle route du Nord, Vladimir Poutine veut les attirer avec la promesse d’un trajet plus court. Un objectif que le président russe a réaffirmé en septembre. « Ce n’est pas un hasard si beaucoup de pays veulent venir ici et emprunter cette route. Cela réduit considérablement les frais de transport et ainsi le prix des marchandises pour les consommateurs« .
Un retournement de veste pour Vladimir Poutine
Dans cette logique, et jusqu’à très récemment, le dirigeant russe avait affiché son climato-scepticisme. À l’occasion de ses vœux de fin d’année 2019, il a par exemple déclaré que « personne ne connaît les causes du changement du climat mondial. Nous savons que notre Terre a connu des périodes de réchauffement et de refroidissement et cela peut dépendre de processus dans l’univers« .
La Russie a donc pris du retard. Pour l’instant, les dernières données classent le pays quatrième émetteur de gaz à effets de serre de la planète. Malgré une diminution depuis 1990, le chiffre d’émissions en 2018 restait élevé. Il était alors estimé à 11,1 tonnes de CO2 par habitant selon la banque mondiale. En comparaison, la Chine était à 7,4 tonnes la même année. A cette époque, Vladimir Poutine n’avait toujours pas rejoint l’Accord de Paris sur le climat. Ce n’est qu’en 2019 qu’il se décide à le faire, soit quatre ans après son adoption. Un ralliement tardif, qui témoigne du fait que cette lutte contre le réchauffement climatique est une épineuse question pour le pays.
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Naissance de la fibre écologiste?
Depuis plusieurs années, le pays est en proie aux dégâts environnementaux. Par exemple, de gigantesques feux de forêts ont lieu chaque année en Sibérie, et leur ampleur ne cesse d’augmenter à cause du dérèglement climatique. Il en va de même pour les inondations de plus en plus nombreuses et violentes. Face à ces phénomènes, Vladimir Poutine a pris la parole en août dernier lors d’une réunion retransmise à la télévision. « L’ampleur et la nature des catastrophes naturelles dans certaines régions sont absolument sans précédent« , avait-il alors déclaré. Il en a profité pour appeler le gouvernement à « agir rapidement et efficacement » face aux problèmes écologiques. À cette occasion, le dirigeant à admis que « le niveau de précipitations mensuelles tombe désormais en quelques heures« . Il a ajouté que « tout cela montre encore une fois à quel point il est important de nous engager de manière profonde et systématique à l’avenir dans le programme climatique et environnemental« .
Vladimir Poutine avait déjà fixé pour objectif que les émissions nettes de la Russie soient inférieures à celles de l’Union européenne d’ici 2050. Un engagement qu’il a réitéré en juin dernier. « Au cours des 30 années à venir le volume net des émissions de gaz à effet de serre doit être inférieur à celui de l’Union Européenne. (…) Je demande au gouvernement d’élaborer un plan d’actions détaillé à cette fin d’ici au 1er octobre« , avait-il déclaré au Forum économique de Saint-Pétersbourg. Pour l’instant, pas de nouvelles de ce plan.
Lors de ce Forum économique, le dirigeant avait appelé à développer le secteur forestier russe afin d’accroître les capacités d’absorption de CO2 des forêts. Selon lui, cela conduirait à une réduction des émissions nettes du pays. Cependant, il n’a pas fixé d’objectif en ce qui concerne la production et la consommation d’hydrocarbures. Au contraire, pour lui, le gaz, dont la Russie a les plus grandes réserves au monde, est « l’hydrocarbure le plus propre« . Vladimir Poutine espère bien que cette ressource jouera un rôle clé dans la lutte contre le changement climatique.
Un revirement qui n’est pas sans intérêts
Ce revirement ne tien pas au hasard. Près de 60% du territoire de la Russie est recouvert de pergélisol qui risque de dégeler à cause du réchauffement climatique. »Si vous êtes Vladimir Poutine, vous vous dites: est-ce que je vais pouvoir convaincre des investisseurs, ou moi-même investir, sur 30, 40, 50 ans pour exploiter ces ressources? La réponse est non », souligne Mikaa Mered .
Les assureurs vont tout simplement refuser de s’engager dans des projets qui risquent de s’effondrer sous la fonte du sol. « Des infrastructures en viennent déjà à être totalement endommagées. On a pu le voir l’été dernier au niveau de Norilsk, la grande ville d’exploitation du nickel dans l’arctique russe. Vous avez une cuve de 21.000 tonnes de diesel qui s’est affaissée. Ça c’est un coup d’arrêt, une alarme pour Vladimir Poutine« , précise Mikaa Mered.
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L’enjeu des ressources
« Il est alors arrivé en disant: il faut absolument que vous me régliez ça. Je ne peux pas dire aux Chinois, aux Indiens, aux Norvégiens, même aux Américains, de venir investir dans l’Arctique russe, que les richesses sont immenses, puis se retrouver dix ans plus tard avec des catastrophes qui coûtent plus cher à ces entreprises que le profit qu’ils auraient fait« , explique l’expert. Il souligne que « le véritable sujet est là, on est à la croisée des chemins en Arctique« .
Pour cause, le pays produit aujourd’hui 10% de son PIB en Arctique. 20% de ses exports, 20% de son pétrole et 80% de son gaz naturel viennent de cette région. « Une molécule de gaz sur trois consommée en France en 2019 provient de la zone Arctique. Si vous êtes Allemand c’est une sur deux« , note Mikaa Mered. « C’est pour ça que Vladimir Poutine parle désormais aux Européens, aux Chinois, aux Indiens, en leur disant qu’ils ont des intérêts croisés, et que dans ces intérêts il serait bon de limiter le réchauffement climatique. C’est pour ça qu’à partir de 2019, Vladimir Poutine reconnaît et veut lutter contre le réchauffement climatique« , explique-t-il.
Le serpent qui se mord la queue
La Russie veut donc limiter le réchauffement climatique, pour continuer à exploiter des ressources fossiles qui participent elle-mêmes au réchauffement climatique? « C’est un serpent qui se mord la queue« , relève Mikaa Mered. Pour palier à cette incohérence, le pays veut donc trouver de nouvelles technologies. Celles-ci doivent permettre de continuer à exploiter les ressources de manière à alimenter les économies mondiales, tout en diminuant les émissions de gaz à effet de serre.
L’expert en géopolitique des pôles explique que « c’est là que vient la fée hydrogène. L’idée vers laquelle est en train de s’orienter le gouvernement russe c’est que dans l’Arctique il y a de grands fleuves, grâce auxquels ils peuvent faire des barrages, et produire de l’hydrogène. Donc une énergie renouvelable, exportable et décarbonée« . Un point sur lequel semble s’accorder la Russie et les dirigeants européens.
Ouns Hamdi