Jean-Baptiste Sallée, chercheur en océanographie au CNRS a contribué à l’écriture du dernier rapport du GIEC. A l’occasion d’une conférence organisée par la fondation Le Français témoin des pôles, il rappelle à quel point, et pourquoi, le changement climatique en Arctique et en Antarctique nous concernent directement.
La planète chauffe, le climat se dérègle, et les pôles de notre planète ne sont pas épargnés. Un changement qui nous impacte tous, dans notre quotidien. C’est ce qu’est venu rappeler Jean-Baptiste Sallée, chercheur en océanographie au CNRS, à l’occasion de la semaine polaire à l’école Alsacienne, organisée par la fondation Le Français témoins des pôles. Celui qui a contribué à l’écriture du dernier rapport du Giec démarre sa présentation en annonçant la couleur: « Je n’ai pas beaucoup de bonnes nouvelles. Je m’en excuse par avance ».
« Les régions polaires sont frappées de plein fouet par le changement climatique », souligne le chercheur. En effet, les bouleversements n’épargnent aucune région de notre terre. Ce constat a pu être largement documenté ces dernières années. Parmi les conséquences relevées, la fonte de la banquise et du permafrost en est une. L’autre, est la perte progressive de ces gigantesques glaciers de plus de 50.000 kilomètres, que l’on trouve au pôle Sud et au Groenland, également appelés calottes glacières.
Un effet d’amplification des pôles
« Le rapport du Giec nous indique que ce réchauffement climatique, qu’on connaît depuis les années 70, est sans précédent depuis au moins 2.000 ans », interpelle Jean-Baptiste Sallée. Pour autant, il ne se fait pas de manière homogène sur l’ensemble de la planète. Le chercheur précise, « il existe un phénomène d’amplification polaire. Par son effet, le réchauffement de l’Arctique est deux à trois fois supérieur à la moyenne globale ». Ce constat d’amplification devrait perdurer dans le futur. Par contre, son ampleur dépendra de l’évolution des températures mondiales. Plus les degrés augmentent, plus l’amplification sera importante. Si au contraire, le monde parvient à limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C, ce phénomène se fera moins sentir.
Nos pôles, ces éponges à chaleur
En Antarctique, ce phénomène d’amplification n’est pas tout à fait le même. Jean-Baptiste Sallée indique que « dans cette région, cet effet est un peu contrebalancé grâce à l’océan qui joue un rôle d’éponge à chaleur ». 75% de la chaleur, et la moitié du carbone océanique sont absorbés grâce à ce phénomène autour de l’Antarctique. « Le coût à payer est que, par conséquent, les eaux se réchauffent, jusqu’aux plus grandes profondeurs. Plus de 4.000 mètres sous la surface des océans, on voit l’empreinte des activités humaines » souligne le chercheur. Problème, avec ce réchauffement, cette eau chaude est en contact direct avec la calotte polaire. C’est pour cela qu’elle fond, et qu’elle perd de la masse.
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Aujourd’hui, ce rôle d’absorbeur que peut jouer l’océan est lui aussi perturbé. Pour cause, le dérèglement climatique a modifié le cycle de l’eau dans ces zones. Résultat, une augmentation des précipitations a pu être relevée dans ces régions du monde. « Cela a un impact sur les océans. Avec la hausse de ces précipitations, on ajoute de l’eau douce à la surface de cette eau salée. C’est comme si on mettait de l’huile sur de l’eau. Ça empêche les océans de se mélanger efficacement, et donc de jouer correctement ce rôle d’éponge », précise-t-il.
Perte de la banquise et de son effet albédo
« La banquise et le permafrost réagissent très rapidement au réchauffement climatique, contrairement aux océans et aux calottes polaires qui ont une réponse très lente au changement », souligne Jean-Baptiste Sallée. En fonction de nos émissions de gaz à effet de serre, elle sera donc amenée à fondre plus ou moins rapidement. « Ce qu’on prévoit dans ce dernier rapport du Giec, c’est que, quoi qu’on fasse, on vivra un été entièrement libre de glace une fois avant 2050 », annonce le chercheur. La fréquence de ces événements dépendra de l’ampleur du réchauffement.
Cette perte aura des conséquences directes sur notre quotidien. Pour cause, cette banquise très blanche a un puissant effet albédo, soit un effet réfléchissant. Cela lui permet de rejeter énormément de rayonnements de chaleur vers l’espace. « Si il y a moins de banquise, la Terre aura donc tendance à se réchauffer plus rapidement, ce qui a un impact direct sur notre quotidien », affirme Jean-Baptiste Sallée. Un monde plus chaud signifie en effet des événements extrêmes plus récurrents et plus violents. Un cercle vicieux peut alors s’enclencher: alors que la banquise recule, les températures augmentent, entraînant une fonte accélérée de la banquise. La planètes se réchauffe alors encore davantage et les événements extrêmes se multiplient.
La fonte du permafrost et ses conséquences directes
Le réchauffement climatique a aussi pour conséquence le dégel du permafrost. Le chercheur du CNRS souligne que, « selon les projections du Giec, 25% du permafrost de surface est perdu à chaque degré de réchauffement supplémentaire. Avec la trajectoire qu’on a, avec 3° supplémentaires à la fin du siècle, on projette une perte de 75% de ce permafrost« . Une projection qui pourrait avoir des conséquences directes. Celles-ci ne sont pas forcément visibles en France, mais existent déjà dans d’autres régions du monde comme en Russie. Les infrastructures y sont fragilisées, et des glissements de terrain peuvent en découler.
On ne peut pas oublier que ce permafrost se compose d’eau gelée depuis des milliers d’années. De nombreux scientifiques alertent sur le fait qu’avec sa fonte, des bactéries, virus et autres pathogènes pourraient refaire surface ou être découverts. Jean-Baptiste Sallée reste tout de même optimiste, et d’après lui, « la bonne nouvelle, c’est que la banquise et le permafrost réagissent très rapidement aux changements de températures. Cela veut dire qu’on peut arrêter ces changements. A partir du moment où on stabilise la température de la Terre, on arrêtera cette perte ».
Des changements nécessaires
Malheureusement, aujourd’hui, tous ces phénomènes mis bout à bout entraînent une montée du niveau des mers. Un phénomène qui, selon le chercheur, « est sans précédent depuis au moins 3.000 ans ». Un constat qui a pour conséquence l’érosion des côtes, l’augmentation des événements extrêmes, ou encore des inondations plus fréquentes. « Aujourd’hui, on a 65% plus de chance d’avoir des événements type Katrina, qu’il y a 50 ans. C’est en partie à cause de l’élévation du niveau des mers », poursuit-il.
Il insiste sur le fait que « cet élévation va continuer dans le futur, mais à un rythme qui dépendra de nos choix collectifs en termes d’émissions de gaz à effet de serre. A moins d’une baisse immédiate, rapide et à grande échelle, on ne pourra pas limiter nos émissions de gaz à effet de serre et limiter le réchauffement à 1,5°C. Ce qu’on s’était pourtant engagé à faire en signant l’accord de Paris ». Mais aujourd’hui, les engagement des États, dont la France, nous mènent à un réchauffement de plus de 2,5°C. Et en réalité, la route voie suivie nous pousse vers une augmentation à 3°C. Pour le chercheur, « c’est une bonne nouvelle ». « Comparé à il y a dix ans, il y a eu une réaction, mais on est pas encore à l’accord de Paris. Il reste une sacrée marge ».
Ouns Hamdi