Alors qu’un traité contre la pollution plastique est actuellement en cours de construction, il faut comprendre les grandes causes et sources de cette pollution. Pour prendre à bras le corps le sujet, ce traité devra mobiliser des solutions à l’échelle internationale, nationale et locale. Il devra embarquer les décideurs, les industriels et les citoyens pour espérer diminuer réellement les rejets, la dépendance du secteur aux énergies fossiles et réduire les risques sanitaires. Une tribune de Matthieu Combe, auteur du livre « Survivre au péril plastique » (Editions Rue de l’Echiquier) et directeur de la publication de Natura Sciences.
On parle beaucoup de pollution plastique de façon générique, mais le traité mondial pour mettre fin à la pollution plastique qui verra le jour d’ici 2024 devra s’attaquer aux trois types de pollutions liés au plastique. L’aspect le plus connu est la présence de déchets plastiques dans la nature, à savoir dans les océans, l’air et les sols, qu’ils soient visibles ou invisibles. Il ne devrait toutefois pas faire oublier la dépendance de l’industrie plastique aux énergies fossiles. Pas plus qu’il ne devrait éclipser les aspects sanitaires, qu’ils concernent la migration de perturbateurs endocriniens, d’additifs, de monomères, ou la contamination de nos corps par des micro et nanoplastiques.
Une production qui devient démente
La production plastique est passée de 2 à 460 millions de tonnes entre 1950 et 2019. La première utilisation des plastiques est le secteur de l’emballage, devant le bâtiment, la construction et l’automobile. En plus, les fibres synthétiques représentent près de 65% des 111 millions de tonnes de fibres produites en 2018. Nous mangeons dans du plastique, nous roulons dans du plastique et nous sommes majoritairement habillés en plastique.
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Selon l’OCDE, 2 milliards de personnes n’ont pas accès à la collecte des déchets dans le monde. Dans plusieurs pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du sud, entre 60% et 90% des déchets sont mal gérés. Les déchets s’y retrouvent majoritairement dans des décharges à ciel ouvert ou sauvages. Résultat : au niveau mondial, seuls 15% des déchets plastiques sont collectés pour être recyclés.
Mais aucun pays n’est exemplaire lorsqu’il s’agit de ces déchets. En France, seulement 24,7% des déchets plastiques ont été recyclés en 2020, de l’aveu même de PlasticsEurope, l’association européenne des producteurs de plastiques. En Europe, le recyclage post-consommation du plastique s’est élevé la même année à 34,6% en moyenne. Encore 31% des déchets plastiques sont mis en décharge en France, 23% au niveau européen. Le reste part à l’incinération. Ce traité devra donc s’attacher à développer des infrastructures avancées de collecte et de gestion des déchets.
Améliorer la gestion des déchets et des eaux usées
La question des déchets touche également celle de l’eau. Selon l’ONU-Eau, 80% des eaux usées mondiales sont directement rejetées dans l’environnement, sans aucun traitement. Combattre réellement la pollution plastique passera nécessairement par la construction de stations ou de systèmes d’épuration, partout où cela est pertinent. Dans les pays les plus en avance, il reste toujours des déversements d’eaux usées dans l’environnement lors des épisodes de pluie intenses. Diminuer la pollution plastique y passera par la création de bassins d’orage ou de rétention. Ces bassins permettent de retenir le trop plein d’eau pluviale en attendant de les traiter en stations d’épuration.
Par ailleurs, des procédés pilotes testent des filtrations poussées pour retenir les microbilles, les microfibres et les microplastiques en stations d’épuration. Pour déployer ces nouvelles solutions, les politiques se doivent d’instaurer des seuils de microplastiques dans les eaux usées.
Une présence qui atteint tout l’environnement
Avec une telle inefficacité de la gestion des déchets et des eaux, la pollution plastique n’est pas étonnante. Plusieurs études scientifiques dressent ainsi un triste constat. Chaque année, entre 4 et 12 millions de tonnes de plastiques se déversent dans les océans. Selon une étude de référence, 24.000 milliards de microfragments de plastique flottent dans les océans. Cela représente jusqu’à 580.000 tonnes de plastique. Une autre étude confirme même la présence de 1.200 tonnes de plastique flottant en Arctique. Les déchets plastiques flottants sont la face émergée de l’iceberg : plus de 150 millions de tonnes auraient coulé dans les profondeurs des océans.
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Les scientifiques estiment que les gros déchets en plastique retrouvés en mer proviennent à environ 80 % de terre. Ces emballages ou autres objets trouvent principalement leur origine dans les décharges à ciel ouvert, les déchets abandonnés dans la nature et les événements climatiques extrêmes, comme les tempêtes et les ouragans. Il reste autour de 20 % de déchets jetés à partir des bateaux de loisirs, de la marine marchande et des pêcheurs. Si la pollution dans les océans est la plus médiatisée, elle atteint également les rivières, les lacs, la neige, les sols et l’air.
Les microplastiques, une pollution sournoise
Après avoir rejoint les océans, ces déchets se fragmentent en microplastiques de moins de 5 millimètres. Cela se fait sous l’effet mécanique des vagues, du vent et du sable et l’action chimique des UV. Récemment, des études de l’expédition 7e continent confirment même que ces microplastiques continuent leur fragmentation pour finir sous forme de nanoplastiques.
D’autres microplastiques proviennent des poussières de pneus, de la dégradation des peintures de la voirie et des façades. Certains proviennent directement de rejets industriels lors de la fabrication des plastiques et de la perte de granulés. D’autres résultent encore des usages des citoyens. Près d’un million de tonnes de microplastiques se retrouveraient ainsi en mer chaque année dont 270.000 tonnes à cause des poussières de pneus, 230000 tonnes de granulés contenant des microbilles de plastique et 190.000 tonnes des fibres libérées lors du lavage des matières synthétiques dans nos machines à laver. Les autres via les peintures de voie et des façades, les cosmétiques et autres sources diffuses.
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Une dépendance aux énergies fossiles
Outre sa présence dans toutes les strates de notre environnement, il y a un autre problème : la quasi-totalité du plastique au niveau mondial est encore fabriqué à partir de gaz, pétrole et charbon. Dans le cadre de la lutte contre le changement climatique et la fin programmée des énergies fossiles pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, cela fait un peu tache. Les alternatives à base de produits biosourcés restent largement minoritaires et ne sont pas toujours intéressantes d’un point de vue écologique.
En Europe, le plastique est avant tout fabriqué à base de pétrole. C’est une couche particulière issue de la distillation du pétrole qui intéresse les industriels : le naphta. Elle est transformée dans une usine pétrochimique, généralement à proximité des raffineries, pour donner différents produits de base à la fabrication des plastiques : les monomères. Sous forme gazeuse ou liquide, ils seront ensuite transférés dans les usines de production des polymères.
Des perturbateurs endocriniens à considérer
Les industriels ajoutent à ces polymères des adjuvants et des additifs, des produits chimiques pour conférer une propriété ou pour faciliter la fabrication. Plastifiants, antimicrobiens, antioxydants, lubrifiants, parfums, agents anti-UV, retardateurs de flamme, stabilisants thermiques, antichocs, pigments, colorants… la liste est longue.
Certains additifs sont pourtant suspectés d’être perturbateurs endocriniens. Cela signifie qu’ils peuvent perturber le système endocrinien, c’est-à-dire l’ensemble des glandes qui sécrètent les hormones véhiculées par le sang. Ces hormones contrôlent des fonctions clés, comme le métabolisme, la reproduction, le comportement et l’intelligence. Se faire passer pour des hormones peut donc entraîner un tas d’effets délétères. Notamment sur les femmes enceintes, les nourrissons et les adolescents.
Nous savons désormais qu’avec l’effet cocktail, une substance peut avoir un impact de 10 à 1000 fois supérieur lorsqu’elle est ingérée avec une autre molécule, comparé à son effet isolé. Et puisque l’on peut avaler près de 40 perturbateurs endocriniens en un seul repas, on imagine le nombre de synergies possibles. Ces aspects sanitaires ne sont pas négligeables : en 2019, le WWF et l’Université de Newcastle ont estimé que nous consommons 2.000 particules de plastique par semaine soit 5 grammes. Cela représente le poids d’une carte de crédit. Le traité devra mieux encadrer les additifs et les types de polymères autorisés
Encadrer la production et la consommation
Pour diminuer les rejets au maximum, il convient de s’attaquer à cette pollution à la source. Cela passe en premier lieu par la baisse de la surconsommation de plastique, notamment des plastiques à usage unique. La mode avec la fash fashion ne déroge pas aux efforts à déployer.
La voie désormais officiellement affichée est celle de l’économie circulaire. Les politiques françaises et européennes affichent l’ambition de vouloir développer la réutilisation et le recyclage du plastique. Les objectifs de la législation française sont de tendre vers le recyclage de 100% des plastiques d’ici 2025 (on en reste très loin) et de mettre fin au plastique à usage unique dans les emballages d’ici 2040.
Les industriels s’engagent autour de différents Pactes volontaires nationaux ou internationaux, à l’instar du « Pacte plastiques européen« . Cet engagement volontaire a vu le jour en 2020, lancé par près de 90 organismes dont 14 États membres de l’Union européenne, des dizaines d’entreprises et des ONG. Les signataires de ce pacte s’engagent à mieux concevoir les emballages plastiques et les produits à usage unique en plastique mis sur le marché européen. Ils devront être réutilisables « lorsque cela est possible » et, dans tous les cas, recyclables d’ici 2025.
Cet objectif s’accompagne d’une réduction de l’usage du plastique vierge d’au moins 20% en poids dont au moins 10% provenant d’une réduction absolue des plastiques d’ici 2025 par rapport à 2017. En plus, les signataires s’engagent à augmenter les capacités de recyclage d’au moins 25% d’ici 2025. Enfin, il s’agira d’incorporer au moins 30 % de plastique recyclé en poids dans la gamme de produits et d’emballages des entreprises. Mais les engagements volontaires ne suffisent pas, et donnent des résultats insuffisants.
L’importance d’un traité juridiquement contraignant
Un accord international juridiquement contraignant, comme discuté au sein de l’ONU Environnement est donc indispensable. Ce traité devrait se décliner sous la forme d’objectifs nationaux pour favoriser la réduction, le réemploi et le recyclage du plastique. Il permettrait aussi de créer un mécanisme mondial de responsabilité élargie des producteurs dans tous les secteurs producteurs de plastique. Il pourrait également envisager la création d’un fonds mondial dédié à la mise en œuvre du traité, ainsi qu’une taxe mondiale sur les plastiques.
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Si ce principe du « pollueur – payeur » est insuffisant, il reste indispensable pour répartir les responsabilités de manière appropriée tout au long du cycle de vie du matériau. Il doit prévoir les moyens financiers et les transferts de technologie suffisants pour parvenir à cette ambition. Ces financements permettraient d’investir dans des systèmes de gestion des déchets efficaces, notamment pour développer le réemploi et le recyclage, diminuer l’incinération et la mise en décharge.
Le traité devra s’intéresser aux types de matières premières utilisées pour fabriquer le plastique. Dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique et la raréfaction des matières premières non renouvelables, il faudra donner des moyens au réemploi, remettre la consigne au goût du jour et revoir les circuits de consommation et de distribution. Il faudra aussi accompagner l’émergence de nouveaux plastiques biosourcés, réutilisables, recyclables, ou compostables à base d’algues, de déchets organiques ou de CO2.
Les citoyens, au cœur de l’action
En plus des entreprises et des politiques, il est essentiel que les citoyens modifient leurs comportements. Les projets de ramassage en mer sont complexes, d’où l’importance de se mobiliser à terre pour changer les comportements. Surfrider Foundation, Vacances Propres, Let’s do it et de nombreuses associations locales organisent différentes campagnes de sensibilisation ou opérations de nettoyage.
Le changement de comportement des citoyens implique en premier lieu de ne plus jeter un seul déchet dans la nature. Il suppose en plus de comprendre que toute action peut avoir un impact sur la pollution aquatique. Qu’il s’agisse d’un mégot jeté dans le caniveau, des cosmétiques contenant des microbilles ou le lavage de vêtements synthétiques. Le changement de comportement passe par le fait d’acheter moins de produits emballés, privilégier le vrac, les circuits courts, la seconde main et les produits réutilisables.
Tribune de Matthieu Combe, auteur du livre Survivre au péril plastique, directeur de la publication de Natura Sciences