De plus en plus de couples ont du mal à avoir des enfants. Le volume de l’éjaculat masculin a baissé, sa concentration en spermatozoïdes aussi. La fertilité diminue dramatiquement. Le nombre et la qualité des spermatozoïdes humains auraient ainsi diminué d’environ 50 % par rapport à 1950. Ce déclin de la production spermatique s’accompagne d’une hausse des cancers du sein et des testicules. Les malformations du système reproducteur se multiplient. Au banc des accusés figurent en premier lieu les perturbateurs endocriniens.
L’hypothèse la plus probable est que toutes ces anomalies résultent d’une exposition à ces produits lors de la vie fœtale, néonatale et lors de la petite enfance. De fortes préoccupations sont exprimées par les scientifiques sur les effets de ces produits présents dans l’environnement (air, eau, sol) et dans certains produits du quotidien. Le mode d’action des perturbateurs endocriniens et leur rôle dans l’accroissement de ces pathologies fait l’objet de nombreuses études internationales.
Qu’entend-on par « perturbateurs endocriniens » ?
Le système endocrinien est un vaste ensemble de glandes réparties dans l’organisme. Ces glandes sécrètent des hormones, véhiculées par le sang. Les hormones agissent alors sur les cellules des organes, par l’intermédiaire de récepteurs, et vont réguler leurs fonctions. On entend par « perturbateur endocrinien » toute molécule ou agent chimique qui va interférer avec les fonctions de ce système hormonal. Ces perturbateurs imitent l’action des hormones naturelles. Ils risquent alors de perturber les processus de synthèse, de sécrétion, de transport, d’action, de métabolisme ou d’élimination des hormones. Ils entravent en fait la bonne communication au travers du système endocrinien. Les teneurs hormonales s’en trouvent modifiées, ce qui peut conduire à une panoplie d’effets néfastes pour la santé.
Aujourd’hui plus d’une centaine de substances dont des substances naturelles ont été identifiées comme des perturbateurs endocriniens. Environ 500 sont suspectés de l’être. Plusieurs familles de composés peuvent être définies. On retrouve nos amis les pesticides, avec les organochlorés, les pyréthroïdes et le bromure de méthyle. Il y a également les produits pharmaceutiques avec notamment les hormones de synthèse. On retrouve les produits de combustion, à savoir les dioxines et les furanes. Les produits retardateurs de flammes sont également au rendez-vous : PBDE, PCB et organoétains. On rencontre également les plastifiants, avec les phtalates, le bisphénol A et les styrènes. Enfin, on n’oubliera pas de citer en vrac les détergents (alkylphénols), les antioxydants alimentaires (nonylphénol), les parabènes dans les cosmétiques et les hormones naturelles (hormones animales et phyto-oestogènes). Cette liste est bien évidemment non exhaustive.
Les sources potentielles de perturbateurs endocriniens sont multiples. Elles ne se limitent pas, comme il est souvent admis par le grand public, à la seule alimentation et au shampoing contenant des parabènes. La contamination se fait dans notre foyer, par l’air et les poussières intérieurs, par certains objets, par nos textiles, nos produits cosmétiques et produits d’entretien. Elle peut également se faire par l’eau que nous buvons. Enfin, le matériel médical et les produits pharmaceutiques sont également des sources à ne pas minimiser.
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Quels sont les effets de ces perturbateurs endocriniens ?
Les perturbateurs endocriniens sont particulièrement dangereux pour les femmes enceintes, les nourrissons, les jeunes enfants et les adolescents pendant la puberté. Les expositions lors de ce que l’on appelle les « fenêtres critiques de développement » sont à éviter. Durant ces périodes, de petites perturbations du système hormonal peuvent dérégler la mise en place des structures et fonctions de l’organisme. [1]
Les effets des perturbateurs endocriniens sont prouvés sur les animaux. Ils sont cependant difficilement transposables à l’Homme. Quoi qu’il en soit, les effets suspectés sur l’Homme sont potentiellement nombreux. Il y a notamment des atteintes sur les appareils reproducteurs : malformations, diminution de la distance ano-génitale, baisse du sex-ratio (augmentation du nombre de filles par rapport au nombre de garçons), baisse de la fertilité. On suspecte également, entre autres, des pubertés précoces, des troubles du comportement (notamment augmentation des troubles de type autistique), des troubles de la fonction thyroïdienne et un le développement de cancers hormono-dépendants.[2] De nombreuses questions se posent alors.
Pourquoi est-il compliqué d’évaluer la toxicité à ces substances ?
Il est souvent difficile, voire impossible, de prouver un lien entre une exposition à un composé ou une famille de composés et une pathologie donnée. Pour comprendre les effets des perturbateurs endocriniens, il faut adopter une vision intégrative de l’Homme dans un environnement globalisé. Le défi est de comprendre les effets d’une exposition simultanée à une multitude de substances. Il faut alors être capable d’étudier également leurs interactions au sein de l’organisme sur le long terme. Les études actuelles se heurtent alors inévitablement à des limites méthodologiques. Les toxicologues sont incapables de recréer une exposition environnementale en laboratoire. La solution est de recourir à des études épidémiologiques, mais là encore, les conclusions sont très difficiles à obtenir. Les études épidémiologiques sont difficiles à mettre en œuvre. Les expositions sont souvent multiples, diffèrent suivant les régions d’un même pays et en fonction des modes de vie.
Les facteurs conditionnant la toxicité d’une substance sont multiples. On notera la nature de l’espèce concernée, la voie d’introduction dans l’organisme (orale, dermique ou respiratoire) et les variations individuelles dans les populations étudiées (âge, sexe, facteurs physiologiques, maladies). Des facteurs environnementaux interviennent, notamment la température, l’altitude ou l’ensoleillement. La toxicité d’une substance variera également suivant les interactions avec d’autres substances. Selon les cas, la synergie sera additive ou antagoniste. Une substance pourra aussi s’accumuler dans l’organisme, être métabolisée et donner à naissance à des sous produits plus toxiques. S’ajoute à ces facteurs la problématique des « faibles doses ». Ainsi, certains toxiques peuvent avoir des effets à petites doses, ces effets n’étant pas forcément retrouvés à des doses plus élevées. [3]Un mélange de plusieurs molécules à faibles doses peut aussi être toxique, alors que pris indépendamment aux mêmes concentrations, chaque composé ne l’est pas forcément. C’est l’ « effet cocktail ».
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Toutes ces considérations expliquent pourquoi il est si difficile d’évaluer la toxicité des perturbateurs endocriniens. Les études montrent généralement une exposition de la population générale le plus souvent inférieure à la dose journalière tolérable. Elle peut être dépassée pour certaines catégories d’individus.Cependant, ces doses ne garantissent pas la sécurité de la population. Doit-on attendre que la toxicité de ces produits soit confirmée par les scientifiques ? Faut-il appliquer des principes de prévention et précaution ? À vous de choisir !
Auteur : Matthieu Combe, fondateur du webzine Natura-sciences.com
Notes et Références
[1] SCENIHR (Scientific Committee on Emerging and Newly-Identified Health Risks), Preliminary report on the safety of medical devices containing DEHP-plasticized PVC or other plasticizers on neonates and other groups possibly at risk, 21-22 June 2007
[2] Wittassek M, Angerer J, Kolossa-Gehring M, Schäfer SD, et al. Fetal exposure to phthalates–a pilot study. International Journal of Hygiene and Environmental Health, 2009, Vol.212, N°5, pages. 492-498
[3] Vom Saal FS, Akingbemi BT, et al. Chapel Hill bisphenol A expert panel consensus statement: integration of mechanisms, effects in animals and potential to impact human health at current levels of exposure. Reproductive Toxicoligy, 2007, Vol.24, N°2, pages 131-138
Merci pour cette explication sur l’évaluation de la toxicité, c’est vrai qu’on n’y pense pas toujours !