L’ « effet cocktail » inquiète les scientifiques et les organisations non gouvernementales (ONG). Cet effet suspecté sur des molécules peu ou pas toxiques prises isolément les rend nocives une fois associées. Pour la première fois, des chercheurs français ont démontré cet effet cocktail in vitro entre un pesticide et une hormone contenue dans les pilules contraceptives. Cette étude est publiée dans la revue Nature Communications.
Bien que très faiblement actifs lorsqu’ils sont pris indépendamment, un œstrogène contenu dans les pilules contraceptives (l’éthinylestradiol,) et un insecticide reconnu comme perturbateur endocrinien (trans-nonachlor,) ont la capacité de se fixer simultanément au récepteur des xénobiotiques (PXR) situé dans le noyau des cellules et l’activent de façon synergique. C’est ce que viennent de démontrer 3 équipes de recherche associant des chercheurs de l’Inserm et du CNRS à Montpellier.
Toute substance étrangère à notre organisme, ou xénobiotique, se fixe sur ce récepteur PXR. Des enzymes et des transporteurs de détoxification cellulaire sont alors synthétisés pour éliminer ces molécules étrangères. « On pourrait penser que la liaison de l’éthinylestradiol et de l’insecticide trans-nonachlor est bénéfique pour l’organisme, puisqu’elle stimule la synthèse de protéines de détoxification cellulaire, confie William Bourguet, chercheur du Centre de biochimie structurale de l’université de Montpellier (CNRS/Inserm), et co-auteur de cette étude à Sciences et Avenir. Sauf que ces protéines peuvent détériorer toutes sortes de molécules de manière anarchique, et détruire des médicaments par exemple. C’est une vraie perturbation endocrinienne pour l’organisme ! ». Si le trans-nonachlor est interdit dans l’Union européenne depuis 1981, on le retrouve encore dans l’environnement et dans les tissus adipeux en raison de son caractère persistant.
« Les analyses à l’échelle moléculaire indiquent que les deux composés se lient coopérativement au récepteur, c’est-à-dire que la fixation du premier favorise la liaison du second, expliquent les chercheurs de l’Inserm et du CNRS dans un communiqué. Cette coopérativité est due à de fortes interactions au niveau du site de liaison du récepteur, de sorte que le mélange binaire induit un effet toxique à des concentrations largement plus faibles que les molécules individuelles.» Lors de ce travail, les chercheurs ont analysé une quarantaine de produits chimiques, deux par deux, soit 750 combinaisons possibles. Mais cet effet n’a été retrouvé qu’entre ces deux molécules.
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Les chercheurs s’activent pour comprendre l’effet cocktail
Si cet effet a été observé in vitro, il devra être vérifié chez les animaux. « Si ces travaux sont confirmés in vivo, des retombées importantes sont attendues dans les domaines de la perturbation endocrinienne, la toxicologie et l’évaluation des risques liés à l’utilisation des produits chimiques », préviennent les deux instituts. Il y a sans doute d’autres mécanismes en jeu de la part des perturbateurs endocriniens. Ailleurs dans le monde, des équipes de chercheurs travaillent sur des récepteurs différents. À raison d’au moins 150 000 molécules qui pourraient avoir un impact en mélange sur 48 récepteurs différents, les chercheurs ont en effet du pain sur la planche ! En attendant, les équipes du CNRS et de l’Inserm projettent désormais de tester l’effet cocktail possible, deux par deux, parmi 1 600 médicaments couramment utilisés.
L’effet cocktail pourrait bientôt être prouvé scientifiquement à grande échelle. Les industriels de la chimie se contentant encore d’étudier l’effet toxique des molécules individuellement, sans se préoccuper de l’effet cocktail, doivent commencer à avoir des sueurs froides. Car les perturbateurs endocriniens nous envahissent et leur absence de précaution pourrait être mise en cause.
La pollution est généralisée. Selon une étude de l’association Générations Futures publié en mars 2015, 21,35 résidus de perturbateurs endocriniens ont été retrouvés dans des mèches de cheveux de 28 franciliennes âgées entre 18 et 44 ans. Fin septembre, la même association trouvait 4 résidus de pesticides, dont 2 résidus perturbateurs endocriniens, dans 31 échantillons de salades. De quoi faire froid dans le dos.
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Auteur : Matthieu Combe, fondateur du webzine Natura-sciences.com