Une dérogation permet aux planteurs de betterave sucrière d’utiliser des semences traitées par des néonicotinoïdes jusqu’en 2023. L’Anses a identifié vingt-deux solutions alternatives à ces insecticides qui présentent « des efficacités correctes mais insuffisantes en utilisation seule ». Elles nécessiteront une approche de lutte intégrée, voire une évolution des pratiques culturales, prévient l’Anses.
La dérogation permettant à nouveau l’utilisation de néonicotinoïdes pour les traitements de semences de betteraves sucrières jusqu’en 2023 a été promulguée le 14 décembre 2020. Ces insecticides avaient été interdits en septembre 2018, mais les solutions alternatives se sont révélées être insuffisantes pour les planteurs de betterave face à des invasions de pucerons.
« Cette dérogation est une solution de transition, déclare Vincent Laudinat, directeur de l’Institut technique de la betterave (ITB). On a demandé cette dérogation parce que les solutions alternatives ne fonctionnent pas. » Pourtant, il existe bien plusieurs solutions alternatives aux néonicotinoïdes pour réduire les effets des pucerons sur les betteraves. Dans une mise à jour de son avis de 2018 sur les alternatives aux néonicotinoïdes, l’Anses identifie vingt-deux solutions pour lutter contre les pucerons et la maladie de la jaunisse dans les cultures de betteraves sucrières. Mais ces solutions restent insuffisantes. L’agence souligne la nécessité d’envisager des combinaisons de solutions disponibles, dans une démarche agroécologique. Et elle invite à envisager une diversification des cultures.
22 solutions à court ou moyen terme
L’Anses a identifié quatre alternatives déployables à court terme : deux insecticides conventionnels et deux pratiques agricoles afin de réduire les populations de puceron. Il s’agit du paillage et de la fertilisation organique, pour contrôler les apports d’azote. L’agence sanitaire en charge de l’autorisation de mise sur le marché des pesticides recense également 18 autres moyens de lutte qui devraient être disponibles « dans un délai de deux à trois ans ».
Parmi ces solutions : des pesticides de synthèse ou d’origine naturelle, des microorganismes, des insectes prédateurs ou parasitoïdes des pucerons. Ces parasitoïdes pondent leurs œufs à l’intérieur des pucerons. L’Anses a aussi identifié des huiles végétales ou minérales, qui assurent une protection physique des betteraves, des méthodes de stimulation des défenses naturelles des plantes, la sélection de variétés de betteraves résistantes au virus de la jaunisse et enfin des méthodes culturales combinant la culture de la betterave avec d’autres plantes. Cette combinaison vise à réduire l’accès des pucerons aux plants de betterave ou de favoriser l’action des arthropodes prédateurs ou parasitoïdes des pucerons. En plus, certains pesticides déjà autorisés pour d’autres cultures pourraient bénéficier d’une extension d’usage de leurs autorisations de mise sur le marché.
Ces solutions de substitution ont « des efficacités correctes mais insuffisantes, en utilisation seule, pour réduire les niveaux de dégâts à un seuil économique acceptable », estime toutefois l’agence. Elle invite donc à soutenir l’effort de recherche et développement pour tester des combinaisons de solutions dans une approche de lutte intégrée.
La lutte par biocontrôle : une piste intéressante mais insuffisante
La lutte par biocontrôle figure dans la liste des solutions alternatives identifiées par l’Anses. Les coccinelles peuvent par exemple jouer le rôle de très bons prédateurs naturels. Une larve de coccinelle indigène peut consommer jusqu’à 50 pucerons par jour. Les larves de coccinelles asiatiques en mangent 100 par jour, selon le site de jardinage Rustica. D’après le même site, les larves de syrphes ne sont pas en reste en terme de résultat contre les pucerons. Ces insectes, de la famille des hyménoptères, en consomment aussi. Elles peuvent tuer jusqu’à 300 pucerons.
« Les solutions alternatives, chimiques ou non, que nous avons testé ne fonctionnent pas, explique Hélène Dorchies, responsable de la communication de l’ITB. Par exemple, les coccinelles régulent tout à fait la population de pucerons, mais elles mettent cinq semaines à arriver. Or, ce délai est trop long pour enrayer la maladie. Cependant, un plan de recherche et d’innovation a été lancé avec l’INRAE pour en tester d’autres. »
Hélène Dorchies explique qu’une quinzaine de pucerons peuvent se trouver par plant de betterave. Or, la moyenne d’une parcelle agricole en France est de 63 hectares et chaque hectare compte environ 120 000 pieds de betterave. Il pourrait donc y avoir près de 115 millions de pucerons sur une parcelle. Guy Richard, expert à l’INRAE et président du Conseil Scientifique de l’ITB affirme donc que : « La taille des parcelles est telle que les coccinelles ne peuvent pas, à elles seules , réguler la population des pucerons. »
Les cultures mellifères comme intercalaire entre les betteraves
Pour endiguer la mortalité des abeilles par les néonicotinoïdes, l’Anses met en avant la combinaison de la culture de la betterave avec d’autres plantes. L’INRAE a par exemple mené des travaux sur des cultures mellifères. Le principe : intercaler des plantes entre les plants de betterave. Ces plantes, comme l’érable plane ou le merisier, visent à réguler l’attrait des pucerons pour les plants de betterave. De plus, ils visent à réorienter les abeilles sur ces végétations qui ne contiennent pas de néonicotinoïdes.
Guy Richard, explique que les résultats restent là encore insuffisantes. « Les scientifiques belges ont fait des essais. Mais nous n’avons pas travaillé assez suffisamment le choix des espèces. Maintenant que nous connaissons mieux le sujet, nous allons étudier avec des spécimens qui ont une floraison très précoce. » Vincent Laudinat, directeur de l’ITB, complète : « C’est à nous de trouver de nouvelles techniques, de nouvelles approches. Avec l’INRAE sur des approches paysagères. Et tous ces travaux, nous les fédérons au niveau européen. »
23 organisations contre la dérogation
L’association Generations Futures relève que cinq des sept familles de méthodes identifiées par l’Anses ne font pas appel à des pesticides chimiques de synthèse. Elle demande la mise en œuvre de ces solutions dès la prochaine campagne betteravière pour mettre fin le plus rapidement possible à la dérogation.
En octobre dernier, 23 organisations – associations environnementales et de défense des consommateurs, syndicats agricoles et apicoles – adressaient aux sénateurs une note de synthèse sur les conséquences économiques, agronomiques, environnementales et sanitaires de la dérogation accordée. Elles évaluaient la dérogation à 27 tonnes de néonicotinoïdes annuelles. De quoi tuer entre 3 et 4 millions de milliards d’abeilles, si elles y étaient directement exposées. Les organisations proposaient donc des solutions économiques et agronomiques pour préserver les emplois et rendre cette filière plus résiliente, sans ré-autorisation des néonicotinoïdes.
Ces organisations alertent contre le risque d’apparition de résistances des pucerons verts aux néonicotinoïdes et proposent des pratiques alternatives. La note reprend les justifications de l’agronome Marc Dufumier avancées dans une tribune parue dans le Monde le 21 août. « Ces pratiques […] visent plutôt à pouvoir les côtoyer tout en minorant leur prolifération et leurs ravages. Ces pratiques sont, entre autres, le choix de variétés tolérantes ou résistantes, l’allongement des rotations de cultures, la diversification des espèces cultivées au sein des mêmes terroirs, la plantation de haies vives, de bandes enherbées et d’autres infrastructures écologiques destinées à héberger des insectes auxiliaires tels que les coccinelles, syrphes et chrysopes, aptes à neutraliser les pucerons ». D’autres adaptations, comme le choix de la date de semis, peuvent limiter les attaques de pucerons.
Les organisations s’interrogent sur le manque de consolidation de ces alternatives par la recherche agronomique. Elles appellent à plus de moyens et à en faire une priorité de recherche. Mais elles vont aussi plus que l’Anses dans la réflexion. Certaines zones géographiques étant visiblement peu ou pas touchées par la jaunisse, elles s’interrogent sur la pertinence de s’obstiner à planter de la betterave dans les zones à risque, « l’adaptation d’une culture à un territoire faisant partie des bases de l’agronomie« .
Manu Lassabe et Matthieu Combe