Le 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris reconnaissait l’État coupable d’inaction climatique et l’existence d’un préjudice écologique. Le jeudi 30 septembre la rapporteure publique a proposé aux juges d’enjoindre l’Etat à prendre toutes les mesures nécessaires pour cesser l’aggravation climatique d’ici la fin de l’année 2022. Ce jeudi 14 octobre, le tribunal administratif de Paris a donné raison à l’Affaire du Siècle. L’État français est sommé de réparer les dommages causés à l’environnement par son inaction climatique, avant le 31 décembre 2022.
L’Etat devra donc réparer les conséquences de son inaction climatique et réparer son préjudice écologique d’ici fin 2022. Ce jugement du tribunal administratif de Paris ouvre une nouvelle ère. Le gouvernement actuel et les prochains devront respecter les engagements climatiques de la France. Les organisations à l’origine de la plainte – Notre Affaire à Tous, la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France -, appellent donc les candidats et candidates à démontrer, chiffres à l’appui, comment ils comptent sortir l’État de l’illégalité et respecter les objectifs climatiques. Les organisations évalueront ces feuilles de route avant l’élection présidentielle.
« Il y a lieu d’ordonner au Premier ministre et aux ministres compétents de prendre toutes les mesures sectorielles utiles de nature à réparer le préjudice à hauteur de la part non compensée d’émissions de gaz à effet de serre au titre du premier budget carbone« , écrivent les juges, quantifiant le déficit par rapport aux objectifs à 15 millions de tonne d’équivalent CO2. Ils laissent par contre le choix des mesures à prendre à « la libre appréciation du gouvernement » et rejettent à ce stade la demande des ONG d’une astreinte financière de 78 millions par semestre de retard. « Cette décision impose donc à l’État de doubler les réductions d’émissions prévues entre 2021 et 2022« , avance l’Affaire du siècle.
Rattraper le retard climatique
Le gouvernement a « pris acte » de la décision, se disant « pleinement conscient de ses obligations et de la nécessité de toujours accélérer l’effort climatique« . Il a rappelé à nouveau les différentes actions entreprises. En plus, il met en avant une accélération du rythme de la baisse des émissions depuis le début du quinquennat.
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Saluant la décision de jeudi comme une « jurisprudence essentielle« , la directrice de Notre Affaire à Tous, Cécilia Rinaudo, a estimé que tous les gouvernements seraient désormais pris « dans l’étau d’une double obligation« : « prouver l’efficacité de leur politique climatique et respecter les engagements pris« , sous la menace d’une condamnation à « réparer toute sortie de route« . Pour les organisations de l’Affaire du Siècle : “L’État a désormais une obligation de résultats pour le climat. Cette rupture nécessaire avec la politique climatique telle qu’elle est actuellement nous la devons aux juges qui se sont saisis de la question climatique et à la mobilisation sans précédent des 2,3 millions de personnes qui ont soutenu l’Affaire du Siècle.”
L’audience du 30 septembre en détails
Devant le tribunal administratif de Paris, peu avant quatorze heures, des militants s’affichent avec des pancartes. « L’inaction climatique de l’Etat est illégale« , peut-on lire. Parmi eux, les représentants des quatre associations à l’origine de l’Affaire du siècle.. Ces ONG, soutenues par une pétition de 2,3 millions de signatures, assument la responsabilité juridique et financière de ce recours porté au nom de l’intérêt général devant le juge. C’est la seconde audience depuis le début de cette bataille juridique, commencée il y a plus de deux ans.
Cette deuxième audience suit une première victoire pour ces associations le 3 février 2021. Le tribunal reconnaît alors que l’État a manqué à ses engagements climatiques et reconnaît un préjudice écologique. Le 30 septembre 2021, les juges ont évalué la mise en place d’une injonction envers l’État français. « Nous attendons de cette seconde audience que le tribunal condamne l’État à agir plus et à revoir sa politique climatique » s’exprime Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France pour Natura Sciences. Il rappelle que la France est « en retard sur les objectifs qu’elle s’est fixés » et « n’est pas sur la bonne trajectoire ».
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Un délai imposé au gouvernement
L’audience commence par les propositions de la rapporteure publique, magistrate chargée de donner un avis aux juges. Elle liste notamment les objectifs fixés par la stratégie nationale bas carbone de la France, sur la période 2015-2018. Cette feuille de route, publiée en 2015, vise la transition écologique. Son respect doit permettre à la France de respecter ses engagements de réduction d’émissions de gaz à effet de serre aux horizons 2030 et 2050. Mais ces engagements n’ont pas été respectés selon la magistrate. A titre d’exemple, l’État a « dépassé son premier budget carbone de 15 millions de tonnes« . La représentante de l’État a quant à elle estimé que grâce à la récente loi « climat et résilience », la France allait se retrouver sur la bonne trajectoire de réduction des émissions. « Ce qui compte, c’est le résultat effectif » a-t-elle déclaré.
« Il reste moins de dix ans pour atteindre 2030 » rappelle la rapporteure publique. Afin de rattraper son retard, la France devra « compenser son budget carbone, mais au prix d’efforts inédits ». Elle estime toutefois que ce retard ne sera pas rattrapable d’ici « la fin de la décennie ». Elle a ainsi proposé au tribunal d’enjoindre au gouvernement « de prendre d’ici le 31 décembre 2022 toutes mesures nécessaires pour faire cesser le préjudice et empêcher son aggravation ».
Cette injonction s’oriente dans la même voie que la décision du Conseil d’État, exprimée en juillet dernier. La plus haute juridiction administrative avait alors ordonné au Premier ministre, de prendre, dans ce même délai, des mesures permettant de respecter ses engagements de baisse des émissions de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique. L’objectif vise une réduction des émissions de 40% d’ici 2030. La magistrate n’a en revanche pas proposé de mesures spécifiques. En effet, elle estime qu’il ne revient pas au tribunal de se « substituer à l’exécutif » pour choisir parmi « la multiplicité des réparations possibles ».
« Une immense victoire » pour les ONG
À la fin de l’audience, les avocats des ONG ne cachent pas leur satisfaction. « C’est une immense victoire, se réjouit Me Emmanuel Douad, représentant de Notre Affaire à tous. Nous avons eu la confirmation que nous avions eu raison d’engager cette action il y a trois ans ». Reste néanmoins une question qui fait débat selon Arié Alimi, représentant d’Oxfam France. « Au delà de cette injonction, le tribunal administratif aura-il une confiance suffisante dans la capacité de l’Etat à prendre les mesures à venir pour réparer ce préjudice écologique et respecter sa trajectoire ? ». C’est dans le cadre de cette interrogation que les quatre associations présentes ont sollicité une astreinte financière de 78 millions d’euros, « obligeant l’État à respecter ses obligations » détaille l’avocat. La magistrate n’a pas soutenu cette demande.
Ce n’est pas la première fois qu’un État de l’Union Européenne est attaqué en justice pour son « inaction climatique« . En 2015, le gouvernement des Pays-Bas a été saisi par le tribunal de La Haye pour davantage réduire ses émissions de gaz à effet de serre. En juin dernier, la justice allemande a également contraint son gouvernement à revoir sa politique climat.« Beaucoup de pays ne font pas ce qu’ils devraient faire, estime Jean-François Julliard. Cela s’inscrit aujourd’hui dans une responsabilité collective et mondiale ». Le directeur de Greenpeace France espère le déploiement d’une justice climatique à l’échelle nationale et internationale. « Ça va être de plus en plus difficile pour les politiques d’échapper à leurs responsabilités » glisse-t-il.
Sophie Cayuela