Une enquête publique préalable à désignation d’utilité publique du projet Cigéo à Bure vient de débuter et durera jusqu’au 23 octobre. Pour les opposants, cette concertation est inutile tant les réponses de l’Andra ne les convainquent pas.
Un pas de plus pour Cigéo. Depuis le 15 septembre, le projet d’enfouissement de déchets radioactifs à Bure (Meuse) fait l’objet d’une enquête publique. Cette phase préalable à une éventuelle déclaration d’utilité publique (DUP) du projet de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) durera jusqu’au 23 octobre prochain.
Le tribunal administratif de Nancy a nommé une commission indépendante qui se chargera de récolter les avis des partisans et des opposants du projet. En jeu, l’enfouissement de 85.000 m3 de déchets radioactifs 500 mètres sous terre. Ensuite, l’Andra pourrait demander une demande d’autorisation de création (DAC) dès 2022.
« Ni dupes, ni d’acc »
Les opposants au projet ont accueilli très froidement l’annonce de cette enquête publique. « On n’est ni dupes, ni d’acc« , ironise Juliette Geoffroy, animatrice du collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs (Cedra). Pour eux, les données de l’Andra ne suffisent pas à assurer que le projet est complètement sûr.
Lire aussi : Cigéo : un stockage « éternel » pour les déchets nucléaires?
« Ils sont loin de maîtriser le projet, les risques d’accidents existent », insiste Jean-Marc Fleury, porte-parole de l’association des élus opposés au projet (Eodra). Cet ancien élu de Vouthon (Meuse) considère que cette concertation ne mobilisera pas la population. « Le citoyen lambda ne peut pas comprendre ce dossier trop compliqué. Il est impossible de vulgariser le dossier de l’Andra », déplore-t-il. « Tout le projet depuis 30 ans est une vaste fumisterie », proteste même Juliette Geoffroy.
Démonstration de sûreté infaisable à Cigéo
Au cœur des préoccupation des sceptiques renseignés sur les enjeux du projet se niche la crainte de dégâts environnementaux. « Premièrement, nous craignons que les systèmes de ventilation émettent des déchets radioactifs dans l’air. Il y aura de l’air radioactif », explique Jean-Marc Fleury. Ce dernier redoute également que l’Andra ne sache pas actuellement quelle quantité de particules radioactives pourra émaner du site. « Il y aura des rejets, puis les autorisations viendront plus tard », redoute le porte-parole d’Eodra. « La démonstration de sûreté est infaisable », juge Juliette Geoffroy. Les éléments de réponse de l’Andra aux recommandations de l’Autorité environnementale présentés le 9 septembre à l’occasion d’une réunion publique n’ont pas suffi à répondre aux interrogations des réfractaires au projet.
Lire aussi : Stockage des déchets nucléaires : l’ASN demande des décisions rapides
Les opposants dénoncent également l’aspect hautement politique du projet Cigéo. « Le choix de Bure est hautement politique. Si le projet se tient dans ce secteur, c’est que l’opposition y est moins forte qu’ailleurs en France du fait d’une moindre densité de population », rappelle Juliette Geoffroy. « À l’origine, le laboratoire avait été présenté comme un lieu d’expérimentation. Élus comme habitants ont eu l’impression d’être roulés dans la farine », ajoute-t-elle.
Lire aussi : Nucléaire: comment assurer la mémoire de Cigéo?
L’animatrice du Cedra redoute également que l’élection présidentielle à venir accélère le calendrier de réalisation des travaux. « La France est un État nucléaire. Le gouvernement pourrait avoir envie de demander à l’Andra d’aller plus vite pour venir en aide à une filière nucléaire acculée », craint-elle. « La concertation sert surtout de moyen pour accélérer les expropriations. Il leur manque encore quelques parcelles qui appartiennent à des agriculteurs ou à des opposants pour pouvoir réaliser leur projet », explique Jean-Marc Fleury.
« Cigéo n’est pas mature et ne le sera jamais »
Les opposants au projet Cigéo dénoncent aussi le fait que les déchets puissent être définitivement enfouis à Bure. Selon Geneviève Baumont, experte senior de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), les terres argileuses de Bure sont étanches. De ce fait, le risque d’épanchement d’eau radioactive à l’extérieur de la bulle d’argile enfouie sous terre est très limité. Mais cet argument ne suffit pas à rassurer les plus sceptiques. « Il y a des risques d’incendie, de fuites, mais aussi d’accidents lors du transport en camion des déchets nucléaires », affirme Jean-Marc Fleury. « Le projet Cigéo n’est pas mature, et ne le sera jamais », enchérit Juliette Geoffroy. « L’IRSN travaille aux solutions », déclare Geneviève Baumont.
Lire aussi : Cigéo passe le cap de la réversibilité
Pour Juliette Geoffroy, le caractère potentiellement irrémédiable de l’enfouissement des déchets à Bure est également problématique. Pourtant, l’Andra atteste que le stockage des déchets nucléaires sera réversible pendant la période d’exploitation. Celle-ci devrait durer entre 100 et 150 ans. « Même l’Autorité environnementale pointe que l’Andra n’apporte pas les preuves de cette possible réversibilité », rappelle l’animatrice du Cedra. « Et de toute façon, ressortir ces déchets serait un aveu d’échec pour la filière nucléaire », convient Juliette Geoffroy.
Lire aussi : Quels sont les impacts environnementaux d’une centrale nucléaire ?
Et le souvenir laissé en 2001 par l’incendie dans le sous-sol du site de Stocamine à Wittelsheim (Alsace) laisse un goût amer. « Il est désormais impossible de récupérer les 42.000 tonnes de déchets nucléaires qui menacent de polluer la nappe phréatique », regrette l’opposante du Cedra. « Stocamine est passée de grande sœur de Bure à sujet tabou », conclut-elle, ne pouvant s’empêcher d’établir un étroit parallèle entre les deux projets.
Chaymaa Deb