L’industrie pétrolière est sous pression croissante pour arrêter l’exploration de ressources fossiles au nom du climat. Pourtant, le secteur n’a définitivement pas renoncé à chercher de nouvelles ressources, et insiste sur la nécessité d’une transition énergétique progressive.

Oublier dès « maintenant » tout nouveau projet d’exploration pour garder le réchauffement sous contrôle. Le 18 mai, l’AIE (Agence internationale de l’énergie) a provoqué un séisme au sein l’industrie pétrolière en annonçant son changement de paradigme. Historiquement, cet organisme qui conseille des pays développés n’est pas connu pour sa fibre écologiste. L’agence avait jusqu’ici surtout souligné le besoin d’investir dans le pétrole pour assurer les approvisionnements… Alors, quand la neutralité carbone d’ici 2050 est devenue le nouveau cap de l’AIE, la réaction des géants pétroliers ne s’est pas faite attendre. « C’est un scénario sur un morceau de papier », a ainsi réagi le directeur de BP, Bernard Looney. L’Irlandais n’a tout de même pas oublié d’assurer que sa stratégie était « alignée sur l’AIE« .
Les géants du secteur pétrolier et gazier sont sous une pression croissante de la justice afin de faire plus pour le climat. La condamnation par la justice néerlandaise de Shell, qui devra réduire de 45% ses émissions de CO2 d’ici fin 2030, en est la preuve. Pour Lucie Pinson, directrice de l’ONG Reclaim Finance, « l’arme juridique va être extrêmement importante » dans le futur de la lutte pour le climat. La directrice de cet organisme, qui alerte sur les impacts des acteurs financiers sur le climat et les populations, poursuit : « Ça permet d’envoyer un signal fort aux acteurs économiques et financiers qui pensent pouvoir s’en sortir en étant sauvés par les acteurs publics. »
Le climat en objectif « cosmétique »
Les votes impressionnants aux dernières A.G (assemblées générales) de Chevron et d’Exxon ont montré le pouvoir que pouvaient avoir les actionnaires sur les géants du secteur. Les investisseurs de Chevron ont voté pour l’adoption d’un objectif de baisse des émissions. Ceux d’Exxon ont forcé le remplacement de deux administrateurs par des personnes disant vouloir prioriser la question climatique. Mais alors, comment expliquer que parmi ces personnes figurent certains des actionnaires qui ont voté à l’inverse pour le maintien de la stratégie d’expansion dans les hydrocarbures de Total, lors de son A.G du 28 mai ? Pour Lucie Pinson, l’objectif climat affichés par les majors américaines reste avant tout un objectif « cosmétique ».
Les compagnies pétrolières et gazières, surtout européennes, ont pourtant commencé leur transition. Elles investissent dans l’électricité renouvelable et prévoient de produire moins de pétrole d’ici dix ans. Pour Nicolas Berghmans, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales, il s’agit surtout d’une « question de rythme ». Ces compagnies pétrolières et gazières « ont un temps en retard dans leur adaptation », confie le chercheur à l’AFP. En réalité, le secteur est loin d’avoir renoncé à l’exploration d’énergies fossiles. Le cabinet spécialisé Westwood n’a relevé « aucune preuve d’un changement systématique de la stratégie d’exploration du secteur » au regard de la transition énergétique. Encore cette année, des dizaines de forages exploratoires à la recherche de grosses réserves de pétrole ou de gaz vont être réalisés.
Le nouvel eldorado du gaz
Les compagnies comme BP, Shell ou Total misent sur le gaz pour les années à venir. Présenté comme moins émetteur que le pétrole et surtout le charbon, le gaz n’a pourtant rien d’une énergie de transition pour l’AIE. Preuve en est que l’AIE a souligné la nécessité de réduire la consommation de gaz de 55% d’ici 2050. « Il est vrai que, à la combustion, les centrales à gaz émettent deux fois moins de CO2 que les centrales à charbon. Mais c’est nier l’intégralité des émissions d’équivalents CO2, notamment celles de méthane, qu’il faut prendre en compte sur toute la chaîne de production du gaz. Le gaz reste une énergie fossile qui a un impact sur le climat », explique Lucie Pinson.
Pour la directrice de l’ONG Reclaim Finance, la création par les majeures pétrolières et gazières d’un narratif pour promouvoir le gaz comme une énergie de transition est une manière de cacher des opportunités de business lucratives. « La raison pour laquelle les entreprises pétrolières et gazières ne font pas blocage sur les conclusions de l’AIE sur le pétrole, mais bloquent totalement sur le gaz, c’est tout simplement parce que les réserves de pétrole sont de plus en plus compliquées et chères à aller chercher. Or le gaz présente d’énormes opportunités pour ces entreprises. » Plutôt qu’une question de rythme, la militante y voit une « question d’accessibilité de la ressource.«
Jérémy Hernando