Dans son rapport Pollution lumineuse et santé publique, l’Académie Nationale de Médecine demande aux pouvoirs publics de considérer la lumière artificielle de nuit et les écrans comme des perturbateurs endocriniens.
Ce 9 octobre, c’est le jour de la nuit. Une initiative nationale, coordonnée l’association par Agir pour l’Environnement, et portée par plusieurs organisations. Cet évènement a pour objectif de sensibiliser le grand public aux risques liés à la pollution lumineuse. Si cette nuisance menace la biodiversité nocturne, elle a également des impacts concrets sur l’être humain. « Par son mésusage, la bienfaisante lumière peut devenir une redoutable pollueuse », signale Jean-Louis Dufier, professeur en ophtalmologie et membre de l’Académie Nationale de Médecine.
Face aux constats de la communauté scientifique, la pollution lumineuse et les écrans devraient désormais être considérés comme des perturbateurs endocriniens. C’est du moins ce que souligne le rapport Pollution lumineuse et santé publique, publié par l’Académie Nationale de Médecine et piloté par les professeurs Jean-Louis Dufier et Yvan Touitou. « La lumière artificielle peut être un agent polluant, délétère pour la rétine, à cause de la toxicité de la bande bleue », explique Jean-Louis Dufier.
La lumière bleue et lésions de la rétine
Les risques pour la rétine sont liés aux fréquences lumineuses détectables par l’homme. Pour comprendre le phénomène, il faut savoir que les humains ne peuvent percevoir la lumière que si son spectre est entre 380 et 700 nanomètres (nm). En dessous, se situent les rayons ultra-violets, toxiques pour la peau et les yeux. Au-dessus, se trouvent les rayons infrarouges, qui chauffent et brûlent. « Le spectre de la lumière visible tient à peu de choses. Dans celui-ci, vous avez d’abord la bande du bleu-violet, qui est très proche de l’ultra-violet. C’est cette bande là qui est toxique », précise le Jean-Louis Dufier.
Le professeur en ophtalmologie poursuit en expliquant que, « cette lumière artificielle est un polluant, notamment lorsqu’elle est utilisée avec des diodes électroluminescentes. Les LED, qui sont les plus communément utilisées, et ce sont celles qui émettent dans le bleu précisément. Et aujourd’hui, tous nos écrans ont des LED. Plus on les regarde de près, plus l’impact des LED grand ».
Les lumières bleues peuvent alors provoquer des lésions photochimiques au niveau de la rétine. « Ce ne sont pas des brûlures, comme on pourrait en avoir si on regarde une éclipse solaire. Ce ne sont pas des lésions thermiques, mais des lésions chimiques », énonce le professeur. Celles-ci vont affecter les cellules de la rétine spécialisées dans la réception de la lumière : les photorécepteurs. Chacun de ces photorécepteurs possède des pigments qui lui sont propres. « Ces pigments sont consommés le jour pour permettre le phénomène de la vision, et régénérés la nuit. L’exposition à la lumière la nuit perturbe donc gravement le métabolisme de ces pigments », alerte Jean-Louis Dufier.
Phénomène en cascade et impact sur l’hormone du sommeil
Parmi ces pigments contenus dans notre rétine se trouve la mélanopsine. Cette dernière « intervient sur des structures cérébrales, qui vont sécréter la mélatonine, l’hormone du sommeil », explique le professeur. Ce dernier souligne que, « si la moindre lumière – il suffit d’un filet – touche la rétine, cela va atteindre la mélanopsine et entraîner l’arrêt de la sécrétion de mélatonine ». Or, c’est une hormone endocrinienne. Comme la lumière perturbe sa sécrétion, « la lumière de nuit doit être considérée comme un perturbateur endocrinien », démontre Jean-Louis Dufier.
En ce sens, l’Académie nationale de médecine recommande aux pouvoirs publics d’inclure l’exposition à la lumière la nuit dans la liste des agents perturbateurs endocriniens. Elle souhaite également voir émerger une réglementation sur les éclairages nocturnes à visée publicitaire ou décorative. Les auteurs du rapport espèrent aussi voir apparaître un encadrement de la bande bleue émise par les écrans. De plus, il préconisent la mise en place d’un étiquetage approprié et compréhensible par les consommateurs.
La mélatonine, hormone essentielle
Une telle sensibilisation semble essentielle pour Jean-Louis Dufier etYvan Touitou car l’inhibition de la mélatonine déclenche des conséquences en cascade. Cette dernière impacte notamment l’horloge interne. Le professeur précise que « la lumière est un puissant synchroniseur externe. Si on y est exposé la nuit, cela entraîne une désynchronisation du rythme veille sommeil ». Du fait de l’éclairage nocturne, plus de sécrétion de mélatonine. « C’est ce qui explique que vous êtes éveillé », ajoute l’ophtalmologue. Par conséquent, « en l’espace d’une dizaine d’années, les adolescents ont perdu 50 minutes de sommeil par jour », signale Jean-Louis Dufier.
Cette réduction du temps de sommeil a des conséquences sur le quotidien. « Cela provoque des troubles mineurs comme l’insomnie chronique, la fatigue persistante, les troubles de l’humeur et de la mémoire. Mais aussi une diminution de la vigilance qui peut augmenter les risques d’accidents » déplore-t-il. En ce sens, l’Académie nationale de médecine recommande l’introduction, dans le cursus scolaire, d’une formation au sommeil et aux usages des écrans pour une utilisation plus raisonnée.
La diminution du temps de sommeil et cette inhibition de la mélatonine a également des répercussions physiologiques. « Cette dette de sommeil, sur le long terme, peut fortement impacter le système neuro-immuno-endocrinien », explique le professeur Dufier. En d’autres termes, la mélatonine joue un rôle essentiel dans notre système immunitaire. Sans elle, il devient moins efficace, « il y a un fléchissement des défenses et un déficit immunitaire », souligne-t-il.
Le rôle protecteur de la mélatonine
Le manque de mélatonine peut avoir d’autres conséquences sur l’organisme. Sans elle, les femmes peuvent connaître l’augmentation d’une autre hormone: l’œstradiol. « Les effets protecteurs de la mélatonine, et son pouvoir anti-œstrogène disparaissent ». En forte dose dans l’organisme, ces œstrogènes « sont cancérigènes chez la femme à partir d’un certain âge », rappelle Jean-Louis Dufier.
Le manque de mélatonine touche particulièrement les travailleurs nocturnes, exposés à la lumière artificielle. « Une étude américaine a suivi 115.000 infirmières pendant 10 ans. Elle a montré l’augmentation significative, de près de 79%, de risque de cancer du sein lorsqu’elles ont au moins trois nuits travaillées par semaine pendant 20 ans. L’incidence de cancers du sein est de 50 à 200% plus élevée chez celles exposées à la lumière artificielle de nuit. Tout ça est rapporté à l’inhibition de la mélatonine », détaille le professeur. Avec ces connaissances, l’Académie de médecine recommande aux pouvoirs publics de favoriser les études épidémiologiques sur les seuils d’exposition à la lumière lors du travail de nuit.
Les recommandations de l’Académie nationale de médecine
Le rapport de l’Académie nationale de médecine rappelle également que cette pollution lumineuse constitue, avec l’hérédité et l’âge, un facteur majeur dans l’apparition de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). À un stade avancé, cette maladie ne permet plus de voir au centre de son champ de vision. Chez les personnes atteintes de cette maladie, la cécité limitée arrive progressivement, généralement autour de 60-70 ans.
Face à ces dangers, l’Académie de médecine a émis plusieurs recommandations. Celles-ci s’adressent à la fois aux pouvoirs publics, aux industriels et aux travailleurs de nuit, mais aussi à tous pour éviter les dommages causés par cette pollution lumineuse et les écrans de nuit. Elle préconise par exemple aux parents de limiter la durée d’exposition aux écrans, peu importe l’âge des enfants. Des horaires de lever et coucher sont également préconisés. Il est aussi conseillé d’utiliser les verres teintés en jaune et des options de filtre anti-lumière bleue pour les écrans.
Ouns Hamdi