Une étude publiée ce mercredi dans Nature révèle que la fonte des glaciers, partout dans le monde, s’est accélérée depuis 20 ans. Ce qui représente une perte moyenne de 267 milliards de tonnes de glace. Étienne Berthier, glaciologue à l’Université de Toulouse revient sur l’importance de cette étude.
Les glaciers sont les témoins visibles du réchauffement climatique. Depuis les années 2000, on sait qu’ils reculent. Cependant, on n’avait jamais quantifié précisément combien de glace ils perdaient chaque année. C’est maintenant chose faite : Une équipe internationale composée des scientifiques du CNRS, de l’IRD et de l’Université Toulouse a calculé que les glaciers du globe perdent chaque année 267 milliards de tonnes de glace. Étienne Berthier, glaciologue à l’Université de Toulouse et co-auteur de cette étude parue dans la revue Nature nous explique ce que cela implique.
Natura Sciences : Quelle est la nouveauté apportée par votre étude ?
Étienne Berthier : La nouveauté c’est qu’on a maintenant des cartes individuelles des pertes pour l’ensemble des glaciers du globe entre 2000 et 2019. Avant, ce n’était pas le cas. On peut donc comparer les différentes régions planétaires et voir celles qui s’amincissent le plus vite, ou celles qui perdent moins vite de la masse. Le résultat fort c’est que, dans toutes les régions du globe, les glaciers reculent et perdent de la masse.
Bien-sûr, on savait déjà que les glaciers perdent de la glace, mais maintenant on arrive à mesurer l’augmentation de la vitesse de fonte. Elle est beaucoup plus rapide sur les 5 dernières années (entre 2014 et 2019) que sur les 5 premières années (entre 2000 et 2005). Il y a aussi des différences assez fortes d’une région à l’autre du monde. Dans l’étude, nous montrons que, dans une région donnée et pour une sous-période donnée, les précipitations peuvent avoir une influence assez forte. Mais dès qu’on regarde les moyennes globales, les précipitations restent relativement stables au cours de ces 20 dernières années. En revanche, on voit bien l’effet du réchauffement, qui conduit à la perte de masse des glaciers.
Globalement, les glaciers perdent 267 gigatonnes d’eau par an. Combien cela représente-t-il par rapport à la masse moyenne d’un glacier? Beaucoup ?
Oui, c’est beaucoup. Imaginez que chaque année, la France métropolitaine soit recouverte d ‘une couche d’un demi-mètre d ‘eau. Sur 20 ans, l’ensemble des glaciers du globe ont perdu 4 % de leur volume, en moyenne. C’est beaucoup. Soit les glaces partent directement dans la mer, soit elles transitent par les cours d’eau qui au final, se retrouvent dans la mer. La perte de masse des glaciers est responsable de 20 % de la hausse du niveau des mers sur ces 20 dernières années.
Dans combien de temps les glaciers auront-ils complètement disparu ?
Ça dépend des régions. Dans les Pyrénées, les glaciers auront probablement disparu entre 2030 et 2040. Dans les Alpes, ils auront perdu 90 % de leur volume vers 2100. Selon la taille des glaciers et les régions où ils se trouvent, le résultat va être très différent. On estime qu’un tiers du volume des glaciers aura disparu en 2100 mais ça dépend aussi beaucoup des scénarios climatiques. Ici, ce n’est pas le pire des scénarios du GIEC, c’est plutôt un scénario moyen.
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Quelles seraient les conséquences d’une disparition totale des glaciers sur terre ?
Les glaciers jouent un rôle de châteaux d’eau. C’est-à-dire qu’ils vont accumuler la neige en hiver et la rendre en été, au moment où on en a besoin (agriculture, alimentation, refroidissement des centrales nucléaires). Si vous prenez la même montagne, sans glacier, il va toujours tomber de la neige en hiver mais en revanche, elle va fondre beaucoup plus vite. Et donc aux mois de juillet-août, toute la neige aura fondu dans les montagnes. Ce service de château d’eau des glaciers aura disparu.
C’est particulièrement important pour les régions arides comme la partie centrale des Andes ou comme l’Asie centrale où la dépendance à l’eau des glaciers est très forte en été. Donc quand les glaciers auront disparu, ce sont des régions qui auront de gros problèmes de ressources en eau. En France, la contribution des glaciers aux eaux de rivière est faible. Ça a pu devenir important, par exemple en 2003, au moment de la canicule. L’apport des glaciers est alors devenu un peu plus important parce que c’était une période aride avec une fonte accélérée des glaciers.
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Dans votre étude, vous parlez des risques naturels qu’engendrent le recul des glaciers. Quels sont-ils ?
Dans certaines régions, quand les glaciers reculent, ils laissent devant eux des lacs glaciaires. Ces lacs glaciaires sont potentiellement dangereux donc il faut les surveiller. Ils sont retenus par des barrages naturels de moraines, de débris glaciaires qui ne sont pas toujours bien consolidés et il y a toujours un risque qu’ils soient déstabilisés. Cela peut créer des inondations. Ça s’est déjà produit dans le passé. Plus il y a de lacs glaciaires, plus il y a de risques de vidanges de ces lacs qu’on appelle pro-glaciaires.
Propos recueillis par Fanny Bouchaud