Les criquets pèlerins sont à l’origine d’une nouvelle et spectaculaire propagation dans la Corne de l’Afrique. Ils envahissent neuf pays d’Afrique de l’Est depuis mi-2019. Se déplaçant en essaims dévastateurs de plusieurs millions, voire milliards d’insectes, ils parcourent jusqu’à 150 km par jour, ravageant les cultures sur leur passage.
Les criquets pèlerins envahissent le Kenya, l’Éthiopie et la Somalie. Mais aussi l’Érythrée, le Soudan, le Soudan du Sud, l’Ouganda, la Tanzanie et Djibouti. Alors qu’un criquet pèse environ deux grammes, il mange quotidiennement l’équivalent de son poids en végétation. Leur nombre se multiplie ainsi par 20 tous les trois mois. Les dernières saisons des pluies, parmi les plus humides depuis des décennies, ont favorisé leur reproduction.
Certains pays comme le Kenya n’avaient pas connu telle invasion depuis 70 ans, et la riposte initiale a souffert d’une mauvaise coordination et d’un manque de pesticides et d’avions pour les répandre, selon Cyril Ferrand, un expert installé à Nairobi auprès de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
Des pesticides pour enrayer leur progression
Le moyen le plus efficace pour enrayer une invasion est l’épandage de divers pesticides, pulvérisés à petites doses, tant par les airs que depuis le sol. Ces opérations ont généralement lieu en soirée, quand les criquets se reposent et ne sont plus mobiles.
Les produits agissent au bout de plusieurs heures, parfois plusieurs jours. Leur toxicité s’efface au bout d’une journée, mais cause toutefois la mort d’abeilles, papillons et autres insectes, selon la FAO. L’organisation assure que les opérations d’épandage sont ciblées et que des évaluations a posteriori sont menées.
Davantage de moyens face à la deuxième vague d’invasion de criquets
Pour endiguer la deuxième vague qui frappe aujourd’hui notamment le Kenya, l’Ethiopie et la Somalie, les autorités ont déployé des moyens supplémentaires. Au Kenya, la FAO s’est associée à la société 51 Degrees, spécialisée dans la gestion des réserves protégées. L’entreprise a réorganisé son logiciel servant à repérer le braconnage, les animaux sauvages blessés ou l’exploitation forestière illégale pour y ajouter les essaims de criquets.
Une ligne directe a également été installée pour recevoir les appels des chefs de village ou des 3.000 éclaireurs formés présents sur le terrain. Elle partage les informations sur la taille des essaims et leurs itinéraires avec les gouvernements et les organisations luttant contre ces nuisibles. « Notre approche a été complètement modifiée par de bonnes données, des données rapides et précises », explique le directeur de 51 Degrees, Batian Craig.
Coté kényan, les opérations se sont concentrées sur une « première ligne de défense » dans les zones frontalières reculées et parfois hostiles avec l’Éthiopie et la Somalie, permettant de briser des essaims massifs avant qu’ils n’atteignent les terres agricoles du Kenya, souligne-t-il. Quand les vents tournent et que les essaims reviennent vers l’Éthiopie, des pilotes en attente de l’autre côté de la frontière prennent le relais.
Les opérations sont en revanche impossibles dans le centre et le sud de la Somalie en raison de la présence des islamistes radicaux shebab, et n’ont lieu qu’une fois les essaims arrivés sur le sol kényan.
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Des criquets qui menacent la sécurité alimentaire
Selon Cyril Ferrand, l’invasion de criquets a affecté l’alimentation de quelque 2,5 millions de personnes en 2020 et devrait en toucher 3,5 millions en 2021, dans l’ensemble de la région. Les prévisions de précipitations inférieures à la moyenne combinées à une meilleure surveillance pourraient freiner l’invasion, mais il est difficile de dire quand elle prendra fin.
Il n’est pas à exclure que d’autres invasions suivront. Avec les fluctuations climatiques importantes dans la région, « nous devons commencer à regarder ce qui doit être mis en place, si nous commençons à avoir des invasions plus fréquentes », estime-t-il.
En attendant, la deuxième vague continue de faire des ravages. Dans le village de Meru, l’exploitation de Jane Gatumwa, où elle fait pousser maïs et haricots sur près de cinq hectares, grouille de criquets roses affamés. La couleur rose foncé indique que les insectes sont dans leur phase de croissance, celle où ils sont les plus affamés.
« Ils sont ici depuis environ cinq jours, ils détruisent tout. Ces cultures nous aident à payer les frais de scolarité des enfants et aussi à nous nourrir », se lamente-t-elle. « Maintenant qu’il ne reste plus rien, nous allons avoir un gros problème ».
Criquet pèlerin: une sauterelle qui ravage les cultures
Les criquets pèlerins sont une espèce de sauterelle originellement solitaire et inoffensive. Son aire de répartition comprend les régions désertiques ou semi-désertiques, sur une bande s’étendant de la Mauritanie jusqu’à l’Inde. Leur reproduction s’accélère sous l’effet de pluies abondantes. C’est quand leur nombre devient important que leur comportement se modifie. Ils se regroupent alors en essaims voraces pouvant se déplacer, au gré des vents dominants. Et ce, sur de grandes distances, dévorant la végétation sur leur passage.
La FAO qualifie le criquet pèlerin de « ravageur migrateur le plus destructeur au monde ». L’Afrique connait et redoute la menace depuis des siècles. Il s’agit de l’une des dix plaies d’Égypte évoquées par la Bible.
Jusqu’à 200 milliards de criquets
Selon la FAO, un essaim d’un km2 peut contenir jusqu’à 80 millions d’adultes. Ceux-ci consomment en une journée la même quantité de nourriture que 35.000 personnes. En 2020, au Kenya, un essaim a été estimé à 2.400 km³. Il s’agit d’une surface équivalent presque à une ville comme Moscou et, pouvant contenir jusqu’à 200 milliards de criquets.
Après une accalmie de quelques mois, de nouveaux essaims sont apparus en décembre en Somalie et Éthiopie, avant de gagner le Kenya. Ils n’atteignent pas plus de quelques km2. D’autres se déplacent à Djibouti, en Érythrée, en Tanzanie et au Soudan. « Nous avons évité une catastrophe majeure l’an dernier. Nous avons arrêté les criquets au Kenya, ils n’ont pas pu migrer vers le Sahel », souligne toutefois Cyril Ferrand.
Matthieu Combe, avec AFP