Le Parlement européen a voté en octobre dernier un texte encadrant la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) qui entrera en vigueur en 2023. Le plan stratégique national (PSN), déclinaison de la future politique agricole commune (PAC), vient d’être présenté par le ministre de l’agriculture Julien Denormandie. Entretien avec Mathieu Courgeau, président de Pour une autre PAC, qui nous explique en quoi ce plan constitue « un statu quo irresponsable ».
Vendredi 21 mai, le ministre de l’Agriculture annonçait officiellement les premiers arbitrages du plan stratégique national (PSN), déclinaison de la future Politique Agricole commune (PAC). Le ministre évoque un maître mot : « la consolidation ». Il s’agit d’une PAC consolidée qui maintient les grands équilibres économiques en place. La France conserve son budget global à 9,4 milliards d’euros par an, soit 43,7 milliards d’euros sur la période 2023-2027 pour un total européen de 269,5 milliards d’euros.
La plateforme Pour une autre PAC défend des propositions qui permettraient d’enclencher une réelle transition agroécologique. Elle fédère 46 organisations issues du monde paysan, des citoyens-consommateurs, des organisations de solidarité internationale, de protection de l’environnement et du bien-être animal. Parmi elles, citons la Confédération paysanne, la fédération nationale d’agriculture biologique, Greenpeace, Attac et le Secours Catholique. Son président Mathieu Courgeau, paysan en Vendée, nous explique les raisons qui poussent ces organisations à dénoncer un «statu quo irresponsable».
Natura Sciences : Comment se décompose le budget actuel et à venir de la PAC ?
Mathieu Courgeau : Le budget de la PAC se répartit selon deux piliers. Le premier pilier regroupe les aides directes, découplées de la production agricole, liées à taille des surfaces cultivées, ainsi que les aides couplées à la production, principalement pour l’élevage laitier. Elles totalisent environ 70 % du budget pour soutenir les marchés et les revenus des agriculteurs. Les 30 % restant concernent les aides du deuxième pilier, à savoir les aides liées au développement rural et à l’environnement. Il s’agit des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), des mesures d’aides à l’agriculture bio, des aides à l’investissement et à l’installation de jeunes agriculteurs et de l’indemnité compensatoire d’handicap naturel (ICHN).
Avec la nouvelle PAC, les subventions distribuées aux agriculteurs continueront d’être principalement déterminées par le nombre de surfaces cultivées et concernent avant tout le premier pilier de la PAC. Mais un nouvel outil intéressant entre en jeu pour accompagner la transition écologique : l’écorégime. Avec lui, les États membres s’engagent à consacrer au moins 20 % de l’enveloppe du premier pilier à des programmes ayant un bénéfice environnemental. Mais le plan stratégique national français ne profite pas du tout de cette opportunité pour enclencher la transition agroécologique.
Quelle est votre analyse de ce plan stratégique nationale français ?
Chaque État membre doit élaborer son plan stratégique national (PSN). Il s’agit de la déclinaison nationale que chaque pays entend faire des mesures de la PAC. Au sein des organisations de Pour une autre PAC, nous avons dénoncé un « statu quo irresponsable ». Nous avons parlé de renoncements et d’immobilisme, et sommes extrêmement critiques sur ces premiers arbitrages. C’est pourquoi nous nous sommes permis de claquer la porte du conseil supérieur d’orientation vendredi dernier.
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Le ministre Julien Denormandie parle lui-même d’une PAC de la stabilité. Lorsqu’on stabilise par rapport à ce qui était avant, forcément on n’encourage pas à faire autrement. Par rapport à la PAC 2014-2020, peu de choses vont changer. On garde la même architecture et des enveloppes budgétaires similaires. On revendiquait une aide aux petites fermes, une hausse du paiement sur les 52 premiers hectares qui vise à conforter les fermes moyennes, ainsi qu’un plafonnement des aides. Le plan rejette l’ensemble de ces demandes. On revendiquait aussi des mesures agro-environnementales et climatiques fortes et ouvertes sur tous les territoires qui nécessitaient un transfert du premier au deuxième pilier. Le plan refuse aussi cette proposition.
Sur la bio, il y a une hausse du budget sur les conversions, ce qui est intéressant. Mais avec une baisse du budget sur les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) dites « systèmes » et un vrai renoncement sur le maintien à l’agriculture bio, on considère que le nombre de conversions va difficilement augmenter. Les agriculteurs bio actuels vont perdre une partie importante de leurs subventions. Selon la fédération nationale de l’agriculture biologique, cette baisse pourrait atteindre – 66% en 2023.
Il était question de transférer certaines aides du premier au deuxième pilier pour verdir la PAC, mais cela n’a pas été le choix retenu. L’écorégime pourra-t-il jouer ce rôle?
Nous revendiquions un transfert de 15% du montant des aides du premier au deuxième pilier. Le ministre a fait le choix de maintenir ce taux de transfert à 7,53%. Il s’agit du taux utilisé depuis 2014. Il n’y a pas de profonds changements, simplement des modifications d’équilibres internes. Dans les principales mesures du deuxième pilier, il va y avoir une hausse du budget sur l’assurance récolte. Mais il n’y aura pas de nouveaux moyens sur la prévention des risques, ni sur l’adaptation des systèmes pour gagner en résilience. Julien Denormandie a plutôt choisi le curatif au préventif.
Au sein du premier pilier de la PAC, chaque État membre doit consacrer au moins 20% du budget à l’écorégime. Le ministre propose de de le fixer à 25%. Le ministre a retenu un écorégime accessible à tous : la quasi-totalité des agriculteurs pourraient prétendre au moins à l’écorégime de base.
Les critiquent fusent contre l’écorégime, pourquoi?
Il y aura deux niveaux d’écorégime : un niveau standard et un supérieur, à deux niveaux de paiement différents. Pour chaque niveau, il y a trois voies d’accès : la certification, la présence d’infrastructures agroécologiques et l’application de pratiques particulières. Le degré d’exigence dépendra évidemment du niveau recherché. Le niveau standard serait par exemple accessible à toutes les exploitations certifiées dotées d’une certification environnementale 2+. Ce niveau reste à construire. Malheureusement, il risque de ne pas être assez ambitieux lorsque l’on sait que le niveau 2 de la certification environnementale est le simple respect de la réglementation et que le niveau 3 – le plus haut niveau – a déjà plusieurs trous dans la raquette. Pour le niveau supérieur, l’écorégime sera accessible aux exploitations certifiées Haute Valeur Envrionnementale et aux exploitations certifiées bio.
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On met sur un même montant de rémunération le bio et l’HVE. Pourtant, ces deux systèmes ne rendent pas du tout le même service environnemental. Le Monde révélait encore hier le greenwashing de la certification HVE. Avec le cahier des charges actuel, il y a plein de trous dans la raquette. Il n’y a donc aucune raison d’avoir un montant de rémunération équivalent pour les deux systèmes dans cet écorégime.
L’écorégime prend la place du paiement vert : procède-t-on uniquement à un changement de nom pour faire la même chose?
Dans la PAC actuelle, le paiement vert représente 30% des aides directes. Tout exploitant qui respecte trois critères environnementaux simples peut en bénéficier. Ces critères étaient tellement peu ambitieux que presque l’ensemble des agriculteurs y avaient accès sans avoir à faire évoluer leurs pratiques. Il a donc a été décidé d’inclure ces critères en tant que conditionnalité à l’ensemble des aides. Leur budget dédié est donc réorienté sur différents postes. Désormais, l’écorégime représente 25% des aides du premier pilier. On reproduit donc le même modèle : les niveaux sont tellement facilement accessibles que les agriculteurs n’ont pas besoin de faire évoluer radicalement leurs pratiques.
Une première version rédigée du plan est attendue pour fin juillet. Puis, il sera soumis à l’Autorité environnementale qui aura trois mois pour rendre son avis. Ensuite, il partira à la Commission européenne pour validation avec des allers-retours à prévoir et une validation finale au 1er trimestre 2022.
Propos recueillis par Matthieu Combe