Sous l’impulsion de Tran To Nga, Franco-Vietnamienne de 79 ans, un procès inédit contre l’agent orange s’est ouvert le 25 janvier 2021 au tribunal d’Évry. Mais ce lundi 20 mai le tribunal d’Évry a jugé « irrecevables » ses demandes. Les quatorze multinationales impliquées dans la fabrication de l’agent orange ne sont pas inquiétées car elles auraient agi sur ordre des États-Unis. Immédiatement après l’annonce du verdict, Tran To Nga et ses avocats ont annoncé qu’ils feraient appel.

Ce lundi 10 mai, le tribunal d’Évry a jugé « irrecevables » les demandes de la Franco-Vietnamienne de 79 ans dans l’affaire de l’agent orange. Durant la guerre du Vietnam, les États-Unis ont utilisé ce puissant herbicide comme une arme contre les combattant communistes. En janvier dernier, l’ancienne combattante devenue journaliste avait déposé plainte contre ses quatorze fabricants. Face à ces multinationales parmi lesquelles se trouvent Bayer Monsanto et Dow Chemical, elle mène « le dernier combat de sa vie ». Elle souhaite que « la communauté internationale se mobilise pour (établir) l’écocide » provoqué par ce puissant herbicide durant la guerre du Vietnam. Immédiatement après l’annonce du verdict, Tran To Nga et ses avocats ont annoncé qu’ils feraient appel. Celle qui vit en France depuis 1992 s’engage vigoureusement dans ce combat aux allures de lutte de David contre Goliath.
Le tribunal déboute Tran To Nga
Le tribunal d’Évry n’a pas reconnu la responsabilité des multinationales. Au contraire, il a retenu que ces dernières ont agi « sur ordre et pour le compte de l’État américain, dans l’accomplissement d’un acte de souveraineté ». En ce sens, le tribunal a estimé qu’elles pouvaient légitimement « se prévaloir de l’immunité de juridiction ». Or, en janvier, l’objet de la plainte de Tran To Nga était justement de faire reconnaître leur implication dans le désastre sanitaire causé par l’agent orange.
Les avocats de Tran To Nga s’insurgent contre ce jugement. « On ne peut que s’étonner que le tribunal reconnaisse que les entreprises concernées auraient agi sous la contrainte du gouvernement américain alors qu’elles ont répondu à un appel d’offre », déclarent maîtres William Bourdon, Amélie Lefèbvre et Bertrand Repolt dans un communiqué. Ainsi, ils estiment « qu’elles étaient libres ou de [le] faire ou pas ».
Ainsi, les avocats souhaitent que la Cour d’appel puisse avoir accès à des documents relatant les communications entre les entreprises et le gouvernement américain. Leur objectif est de démontrer que ces dernières n’étaient pas dans un rapport de soumission total, et qu’elles disposaient d’une « marge de manœuvre ».
« Extermination familiale » avec l’agent orange
Entre 1961 et 1971, l’armée américaine utilise l’agent orange pour détruire les forêts dans lesquels se cachaient les combattants communistes. Durant cette période, plus de 80 millions de litres de cet herbicides sont épandus sur les terres vietnamiennes. Au cours de cette période, l’agent orange a causé des effets délétères et irréversibles. En tout, environ cinq millions de personnes auraient été victimes de cette pollution. Et plus de quarante ans après la fin du conflit, les dommages persistent. Tran To Nga, aujourd’hui âgée de 79 ans, n’avait qu’une vingtaine d’années lorsqu’elle a subi la pollution à l’agent orange. Elle était alors engagée dans le camp du Nord.
De cette époque, cette ancienne journaliste garde de lourds stigmates sur sa santé. Ses pathologies sont nombreuses : cancer du sein, tuberculose, taux de dioxine élevé dans le sang. Elle souffre également d’hypertension, de diabète de type 2 et d’anomalies génétiques. Dans sa famille, elle n’est pas la seule à être victime des ravages causés par l’agent orange. Sa fille aînée est morte après seulement quelques mois de vie des suites de malformations. « On transmet ce poison à nos enfants, déplore-t-elle. Je suis la première génération à avoir des séquelles, mes filles elles aussi sont victimes, et maintenant mes petits-enfants ont aussi ces maladies. Rien que dans ma famille, trois générations ont déjà subi ça. »
En effet, les dommages causés sur la santé par cet herbicide se transmettent de génération en génération. Pour Tran To Nga, c’est ainsi une « extermination familiale » qui ainsi s’opère. Et selon la juriste en droit international Valérie Cabanes « 6.000 enfants naissent au Vietnam avec des malformations congénitales ». Puis cette dernière ajoute que la toxicité de l’agent orange est « absolument phénoménale ». D’après elle, sa toxicité serait 13 fois plus importante que celle du glyphosate.
« Écocide » causé par l’agent orange
Selon le Collectif Vietnam Dioxine, Tran To Nga est l’une des seules personnes à pouvoir intenter ce type de procès. Avant elle, très peu de personnes avaient pu intenter ce type de procès. L’association rappelle que la plaignante a subi directement la pollution à l’agent orange durant la guerre du Vietnam. « Un matin dans la jungle vietnamienne, alors que la guerre bat son plein, Nga entend les avions américains au-dessus d’elle puis elle sent une pluie visqueuse s’abattre sur elle. C’est l’agent orange-dioxine » indique l’association. De plus, le procès se tient car la France fait partie des pays où peuvent se dérouler des procès multinationaux.
Dans l’histoire de la justice environnementale, ce procès exceptionnel aurait pu faire date. Si la responsabilité des entreprises impliquées est reconnue, « la reconnaissance de victimes civiles vietnamiennes créera un précédent juridique », indique Valérie Cabanes. La juriste considère qu’une telle décision contribuerait à la reconnaissance du crime d’ « écocide » à l’échelle internationale. À ce jour, peu indemnisations ont été versées au nom du préjudice sanitaire causé par l’agent orange. Entre 1987 et 2013, quelques anciens combattants américains, australiens et coréens ont reçu des compensations lors de procès.
Face à ces accusations, le groupe agrochimique Bayer, qui a racheté Monsanto en 2018, renvoie la faute sur le gouvernement américain. Ainsi, il rappelle que l’agent orange avait « été fabriqué sous la seule direction du gouvernement américain à des fins exclusivement militaires ». La firme en déduit donc que seuls les États-Unis sont responsable, « et non les fournisseurs en temps de guerre, de son utilisation ». À cette allégation, Tran To Nga répond que les États-Unis ont été dupés au sujet de la toxicité du produit.
Chaymaa Deb