Les sénateurs écologistes ont présenté cette semaine leur projet de vraie loi climat. À la suite des travaux menés par leurs collègues députés à l’Assemblée nationale, ils portent de nouvelles propositions pour muscler un texte faiblard. Pour le sénateur Guillaume Gontard, seule une volonté politique forte pourra être à la hauteur des enjeux.
Acte II pour la loi climat. Cette fois-ci, la lutte se passe entre les murs du Palais du Luxembourg. Cette semaine, un groupe de douze sénateurs écologistes portés par Ronan Dantec ont présenté leur projet de vraie loi climat. Leur objectif est de présenter un texte plus ambitieux que celui voté en première lecture à l’Assemblée nationale en avril dernier. Pour le sénateur Guillaume Gontard, toutes les solutions pour atteindre des objectifs de réduction de gaz à effet de serre plus ambitieux existent. Entretien.
Natura Sciences : Pensez-vous que le Sénat pourrait être le lieu d’une reconstruction partielle du projet de loi climat?
Guillaume Gontard : Il est assez compliqué de savoir ce qui pourrait passer. Je ne sais pas comment va se placer la majorité sénatoriale. Ce qu’on peut savoir, c’est que dans les deux rapporteurs on a Eric Tabarot, sur la partie transport et déplacement, et Marta de Cidrac, sur le texte économie circulaire. Je me dis qu’à la fois dans le secteur des transports et des mobilités, dans la partie économie circulaire, et sur les questions de l’habitat, du bâtiment et de la rénovation thermique, on pourra peut-être obtenir des belles surprises, et faire progresser ce texte. Dans le cas des transports, la TVA réduite sur les transports en commun, c’est quelque chose que l’on a déjà voté ici. C’est une proposition de la Convention citoyenne que l’on a déjà voté au Sénat à plusieurs reprises.
Avez-vous des craintes sur certains volets du texte de loi?
Il y a d’autres secteurs sur lesquels je suis beaucoup plus inquiet. Il va certainement falloir que l’on se batte pour ne pas régresser par rapport au texte voté à l’Assemblée nationale. Je pense notamment à toutes les questions agricoles et alimentaires. Là, on risque d’avoir des difficultés. Peut-être aussi sur les questions industrielles. Sur la non artificialisation des sols, on a déjà un texte qui est plutôt faible. Je crains que l’on régresse encore un petit peu également sur ce point.
Quelles sont les principales préconisations contenues dans votre projet?
Nous portons plusieurs propositions sur le monde agricole. Nous prônons un plan de plantation de haies, puisque l’on sait qu’à la fois en termes de biodiversité et de captation carbone c’est quelque chose de particulièrement important. Idem sur l’utilisation d’engrais azotés, on préconise de s’appuyer sur la loi Labbé, sur l’interdiction des pesticides dans les espaces publics, pour trouver des alternatives à ces engrais azotés. Nous aurons beaucoup de mal sur ces sujets, et probablement même des retours en arrière.
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On propose l’arrêt de la vente de voitures thermiques d’ici 2030. C’est loin d’être une punition, au contraire. C’est permettre à l’industrie automobile de se réorienter vers des véhicules moins polluants et d’autres types de mobilités. Si, à un moment donné, la puissance publique ne donne pas d’orientations claires, notamment à l’industrie automobile, si on continue à développer, à aller encore dans le sens des véhicules thermiques, on ne rend pas service à l’industrie automobile. On risque au contraire de créer un désastre en termes d’emplois. Il faut s’apercevoir que ces modifications peuvent être créatrices d’emplois. À condition que l’on s’y prenne en amont.
Comprenez-vous les craintes de ceux qui renvoient dos à dos intérêts économiques et intérêts écologiques?
On nous renvoie tout le temps une écologie punitive. Mais cela ne veut absolument rien dire. On s’aperçoit bien que c’est ce conservatisme et le fait de ne rien faire qui est punitif. Ces objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre ont un intérêt en termes de redistribution, de création d’emplois. Il y a de réels enjeux sociaux. Selon l’association négaWatt, il serait possible de créer 300.000 emplois dans les énergies renouvelables si on met le paquet sur la filière photovoltaïque. Si on investit massivement dans la rénovation des bâtiments, on pourrait créer jusqu’à 473.000 ETP [équivalent temps plein, NDLR]. Idem pour l’agriculture. Avoir des plans alimentaires territoriaux, qui vont permettre de relocaliser une production maraîchère plus riche en emplois, c’est créer quatre ETP supplémentaires pour deux hectares installés. Donc, on voit qu’à chaque fois, dans tous ces secteurs, la production d’emplois est là. On va vers une chance.
Comment expliquez-vous la nécessité d’avoir une loi climat plus vigoureuse?
On a 115 mois pour réduire de 55% les émissions de CO2. Chaque mois perdu est un mois que l’on ne rattrapera pas. Quand j’entends Pascal Canfin [député LREM, NDLR] dire que cette loi n’est pas terrible mais qu’elle fait un premier pas et qu’on en fera une autre en 2022, je dis non. On ne peut plus attendre, on est dans l’urgence. On doit accompagner le secteur économique qui doit se réinventer et se restructurer. En agriculture par exemple, on ne peut pas se satisfaire du modèle actuel. Julien Denormandie [ministre de l’Agriculture, NDLR], à travers les propositions qu’il fait pour la PAC, dit « il faut continuer comme avant, on ne change rien ». Je ne comprends pas. On est dans un modèle où l’on a X suicides d’agriculteurs par semaine. Des gens qui travaillent entre douze et quatorze heures par jour ne peuvent plus se payer. Ils ne s’en sortent pas. Est-ce qu’on veut encore de ce modèle-là ? Un modèle qui pollue les rivières et les sols, qui au bout du compte pollue aussi les paysans qui travaillent avec ces produits-là.
Comment expliquer la tiédeur à l’encontre de la loi climat et des prises de décision en faveur de la réduction des émissions de CO2?
Je crois que c’est un ensemble. Le poids des lobbys joue, on le voit sur l’agriculture par exemple. Le ministre est à la botte de la FNSEA. Mais il n’y a pas que ça. Emmanuel Macron et son gouvernement n’ont jamais compris l’urgence climatique, n’ont jamais compris l’intérêt écologique. Ils parlent d’écologie punitive, mais on n’en est plus là. C’est ceux qui n’ont pas d’argument qui utilisent ça. Au contraire, c’est ce conservatisme qui est punitif. Tout simplement, nous sommes face à des hommes politiques qui n’ont pas compris l’enjeu, ni l’urgence qu’il pouvait y avoir.
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Sur cette période de Covid, on a aussi vu qu’on pouvait faire changer des habitudes très rapidement à partir du moment où il y a une volonté politique. On a vu dans la période que nous venons de vivre que lorsqu’il y a urgence, on sait trouver l’argent. On sait également où l’injecter, et cela peut avoir des effets très intéressants. L’argent n’est plus un problème. On voit juste qu’il manque de la volonté politique. Or, cette volonté politique devient véritablement urgente. Sinon, on se dirige vers une situation qui peut être dramatique.
Comment faire en sorte d’aboutir à une politique plus ambitieuse en termes de climat?
Dans un premier temps, nous devons monter un projet, montrer sa crédibilité, son efficacité. Nous devons montrer que c’est ce projet là que nous devons mettre en place face aux urgences auxquelles nous sommes confrontés. Dans le contexte actuel, on a cinq ans. C’est le mandat qu’il ne faut pas louper. Pour cela, on pourrait se mettre d’accord sur un pôle écolo de gauche assez large sur des mesures très précises, dont la vraie loi climat fait partie.
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C’est indispensable pour nous, pour nos petits-enfants. Je pense qu’on serait capables de créer un socle et de laisser de côté les sujets sur lesquels nous ne sommes pas d’accord. D’ailleurs, il existe déjà et se trouvent notamment dans les travaux de Yannick Jadot ou Éric Piolle. Après, il faudra trouver une femme ou un homme qui incarnera ces valeurs. Les candidats ne manquent pas, mais il y aura surtout derrière lui une équipe.
Propos recueillis par Chaymaa Deb