Un projet de rapport confidentiel du groupe d’experts climat de l’ONU a fuité dans la presse. Très alarmiste, il encourage les autorités à prendre des mesures radicales dès que possible. Le « pire est à venir » pour l’organisation, qui alerte sur les conséquences irréversibles du changement climatique.
Pénurie d’eau, exode, malnutrition, extinction d’espèces… Quand les enfants nés en 2021 auront 30 ans, voire plus tôt, la vie sur Terre telle que nous la connaissons sera inéluctablement transformée par le changement climatique. C’est l’alerte émise par un projet de rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), obtenu par l’AFP. Le rapport a circulé au sein des gouvernements internationaux pour être évalué entre décembre et janvier dernier. Il est important de noter qu’il s’agit d’un brouillon qui doit encore prendre en compte 40 000 commentaires.
Des impacts dévastateurs qui vont s’accélérer
Cette organisation qui dépend de l’ONU estime que les impacts dévastateurs du réchauffement sur la nature et l’humanité vont s’accélérer. Ces impacts vont devenir douloureusement palpables bien avant 2050. Et ce quel que soit le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre. « La vie sur Terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes ». Mais « l’humanité ne le peut pas », lit-on dans le résumé technique de 137 pages.
Le projet de rapport a été rédigé par les centaines de scientifiques rattachés au GIEC. L’organisation, qui fait autorité en la matière, jongle entre un ton apocalyptique et l’espoir offert aux hommes de changer leur destin. Mais pour ça, il faut adopter des mesures immédiates et drastiques. Le rapport d’évaluation complet de 4000 pages se veut bien plus alarmiste que le précédent de 2014. Il a pour vocation d’éclairer les décisions politiques. Même si ses principales conclusions ne changeront pas, a publication officielle aura lieu en février 2022. Il faut attendre son approbation par consensus par les 195 Etats membres du GIEC.
L’une des conclusions les plus importantes du rapport concerne la limitation du réchauffement climatique. En signant l’accord de Paris en 2015, le monde s’est engagé à limiter le réchauffement à +2°C par rapport à l’ère pré-industrielle. Les Etats sont encouragés à aller plus loin si possible, en limitant à +1,5°C. Mais le GIEC estime désormais que dépasser +1,5°C pourrait déjà entraîner « progressivement, des conséquences graves, pendant des siècles, et parfois irréversibles« . Or l’Organisation météorologique mondiale estime qu’il y a 40% de probabilité que ce seuil soit dépassé dès 2025.
« Le pire est à venir«
Le GIEC se veut alarmiste : « Le pire est à venir, avec des implications sur la vie de nos enfants et nos petits-enfants bien plus que sur la nôtre« . La hausse des températures moyennes depuis le milieu du XIXème siècle atteint 1,1°C. Ses effets sont déjà graves et seront de plus en plus violents, même si les émissions de CO2 sont freinées. Et les êtres vivants les moins à blâmer pour ces émissions sont ceux qui en souffriront le plus.
Pour certains animaux et variétés de plantes, il est peut-être même déjà trop tard. « Même à +1,5°C, les conditions de vie vont changer au-delà de la capacité de certains organismes à s’adapter« , souligne le rapport. Il cite en exemple les récifs coralliens, dont un demi-milliard de personnes dépendent. Parmi les espèces en sursis figurent les animaux de l’Arctique. La région se réchauffe trois plus vite que la moyenne. Sur place, des modes de vie ancestraux de peuples vivant en lien étroit avec la glace pourraient aussi disparaître.
Face à l’urgence, l’impréparation
Agriculture, élevage, pêche, aquaculture… « Dans tous les systèmes de production alimentaire, les pertes soudaines s’accroissent« , observe le rapport. Il pointe les aléas climatiques comme « principal moteur« . Or l’humanité n’est à ce stade pas armée pour faire face à la dégradation de cette situation. « Les niveaux actuels d’adaptation seront insuffisants pour répondre aux futurs risques climatiques« , prévient le GIEC.
Même en limitant la hausse à 2°C, jusqu’à 80 millions de personnes supplémentaires auront faim d’ici à 2050. 130 millions pourraient tomber dans la pauvreté extrême d’ici dix ans. En 2050, des centaines de millions d’habitants de villes côtières seront menacés par des vagues-submersion plus fréquentes, provoquées par la hausse du niveau de la mer. Cela entraînera à son tour des migrations importantes.
A +1,5°C, 350 millions d’habitants supplémentaires seront exposés aux pénuries d’eau dans les villes. Ce sera 400 millions à +2°C. Et avec ce demi degré supplémentaire, 420 millions de personnes de plus seront menacées par des canicules extrêmes. « Les coûts d’adaptation pour l’Afrique devraient augmenter de dizaines de milliards de dollars par an au-delà de +2°C« , estime le rapport.
Le GIEC alerte aussi sur le danger des effets en cascade. Certaines régions (est du Brésil, Asie du Sud-Est, Chine centrale) et presque toutes les zones côtières pourraient être frappées par des catastrophes météorologiques simultanées. Canicule, sécheresse, cyclone, incendies, inondation, maladies transportées par les moustiques… Trois ou quatre de ces phénomènes pourraient toucher en même temps ces régions.
Le GIEC note qu’il faut aussi prendre en compte les effets amplificateurs d’autres activités humaines néfastes pour la planète. Parmi ces activités : la destruction des habitats, la surexploitation des ressources, la pollution, la propagation des maladies…
La nécessité de choix radicaux
Des incertitudes subsistent autour des « points de bascule« . Ce terme désigne les éléments clés dont la modification substantielle pourrait entraîner un changement violent et irrémédiable du système climatique. Parmi ces points, la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique de l’Ouest. Ces calottes contiennent assez d’eau pour provoquer une hausse du niveau de la mer de 13 mètres. Au-delà de +2°C, leur fonte pourrait entraîner un point de non-retour selon de récents travaux. Le GIEC insiste donc sur le fait que « chaque fraction d’un degré compte« . Un autre point de rupture pourrait voir l’Amazonie, un des poumons de la planète, transformée en savane.
Face à ces problèmes systémiques, pas de remède miracle unique. Mais une seule action peut avoir des effets positifs en cascade. Le GIEC prend l’exemple de la conservation et la restauration des mangroves et des forêts sous-marines de kelp. Ces puits de « carbone bleu » accroissent le stockage du carbone, mais protègent aussi contre les submersions. Elle fournissent également un habitat à de nombreuses espèces et de la nourriture aux populations côtières.
Si les conclusions du GIEC se veulent alarmantes, le rapport offre ainsi une note d’espoir. L’humanité peut encore s’orienter vers un avenir meilleur. Mais il faut pour cela prendre dès aujourd’hui des mesures fortes. « Nous avons besoin d’une transformation radicale des processus et des comportements à tous les niveaux : individus, communautés, entreprises, institutions et gouvernement« , plaide le rapport. « Nous devons redéfinir notre mode de vie et de consommation« , conclut-il.
Jérémy Hernando avec AFP