La probabilité d’un épisode de gel tardif comme celui qui a ravagé plusieurs vignobles français début avril a été nettement renforcée par le changement climatique et le sera encore plus à l’avenir, ont averti mardi des scientifiques du World Weather Attribution.

Entre le 6 et le 8 avril 2021, un épisode de gel tardif et intense a ravagé les cultures françaises. Le ministre de l’agriculture Julien Denormandie y voyait « probablement la plus grande catastrophe agronomique de ce début de XXIe siècle« . Cet épisode de gel a touché en particulier les vignobles avec une perte estimée à un tiers de la production viticole française. Cela représente presque 2 milliards d’euros de pertes selon les premières évaluations du syndicat agricole FNSEA. Arboriculteurs et betteraviers avaient également été affectés. Cette vague de froid faisait suite à des températures record en mars dernier. Le gouvernement a alors débloqué un « fonds de solidarité exceptionnel » d’un milliard d’euros pour l’ensemble des agriculteurs touchés.
Le réseau international World Weather Attribution s’est fait une spécialité d’analyser le lien possible entre un événement météo extrême précis et le réchauffement. Ses scientifiques ont planché sur cet épisode. Résultat: le changement climatique a « augmenté d’environ 60% la probabilité qu’un tel événement survienne en période de bourgeonnement« , explique Robert Vautard, directeur de l’Institut Pierre et Simon Laplace de recherche en sciences de l’environnement, un des auteurs de l’étude. Et le phénomène risque de « s’amplifier dans le futur« . Un réchauffement de 2°C par rapport à l’ère pré-industrielle verrait « encore 40% d’augmentation de la probabilité de ce type d’événement« , souligne le scientifique.
Le paradoxe des chaleurs précoces et des gelées tardives
Pour évaluer et quantifier l’effet du changement climatique, les chercheurs ont comparé les modèles climatiques qui incluent le réchauffement climatique d’origine humaine avec ceux ne l’incluant pas. Le rapport repose sur les données d’une zone couvrant notamment les vignobles de Bourgogne, Champagne et de la vallée de la Loire. Les chercheurs ont également passé au crible plus d’une centaine de modélisations climatiques.
Dans ces régions, les températures les plus basses entre avril et juillet ont déjà augmenté de 1,2°C sous l’effet du changement climatique. Le réchauffement climatique rend donc moins fréquents et moins intenses les épisodes de gel. Cependant, les hivers étant désormais plus chauds, la saison de croissance se déroule plus tôt dans l’année. Cela peut exposer les bourgeons et feuilles précoces à des épisodes de gel tardif.
Le réchauffement augmente ainsi dans des proportions encore plus grandes les phénomènes de chaleur précoce, comme la France en avait connu au mois de mars. Une douceur qui favorise le « débourrement » de la végétation, qui sort plus tôt de sa dormance hivernale et bourgeonne. Et ce processus « arrive de plus en plus tôt« , souligne Nicolas Viovy, du Laboratoire des sciences du climat de l’environnement, autre auteur de l’étude. « On a gagné quasiment 15 jours depuis les années 1980« .
Une combinaison de plus en plus probable
En fin de compte, « plus il fait chaud et plus la végétation est exposée au risque de gel tardif« . Or, cette notion même de tardif évolue, de plus en plus tôt dans la saison, poursuit Nicolas Viovy. Un processus complexe dans lequel « c’est la combinaison des deux facteurs qui cause la gravité« , souligne aussi Samuel Morin, directeur du Centre national de recherches météorologiques, unité mixte CNRS/Météo France, qui n’a pas personnellement participé à l’étude. Trois autres chercheurs de Météo-France co-signent le rapport, qui s’est notamment appuyé sur les relevés de l’établissement public.
« C’est un vrai pas en avant scientifique que d’être capable d’analyser des événements composites » de ce type, insiste Samuel Morin. Le chercheur rappelle qu’on « ne peut pas dire d’un événement météo ponctuel: c’est à cause du changement climatique, mais on peut mesurer à quel point le changement climatique a modifié la probabilité que cet événement puisse se produire« .
Une probabilité dont les conséquences peuvent peser lourd, comme le souligne Markus Reichstein du Max Planck Institute allemand, un des auteurs de l’étude. « Cela pourrait être essentiel d’un point de vue économique. Il y a la question de ce que feront les assureurs… Pour certains ça pourrait être une question existentielle« .
Matthieu Combe avec AFP