L’industrie solaire européenne et française traverse une crise face à la concurrence chinoise. Les syndicats professionnels européens et français demandent des mesures d’urgence. Entretien.
L’Europe projette de produire 40 % des panneaux solaires qu’elle installe d’ici 2030. Et ce, alors qu’elle entend en parallèle tripler sa capacité solaire à cet horizon, la faisant passer de 260 gigawatts (GW) à 750 GW. Mais le secteur solaire traverse une crise qui compromet grandement cette vision et les annonces de fermetures de sites de production s’enchaînent. Panneau au sol ou sur bâtiment, carport solaire, agrivoltaïsme… Tout le secteur est menacé.
Dans ces circonstances, le Conseil européen de l’industrie solaire (ESMC) demande des mesures d’urgence à la Commission européenne. Cette organisation professionnelle qui représente les fabricants européens de panneaux solaires met en garde contre les risques de délocalisation à l’étranger et de faillite de ses membres dans les deux prochains mois. « Sans mesures d’urgence, nous sommes sur le point de perdre plus de 50 % des capacités modernes de production de modules solaires photovoltaïques de l’UE au cours des deux prochains mois« , alerte Žygimantas Vaičiūnas, directeur, directeur politique à l’ESMC.
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La Chine détient actuellement près de 80 % de la production mondiale d’énergie solaire. L’ESMC estime qu’il y a un stock de modules photovoltaïques importés de Chine, dans les ports et entrepôts européens, qui attend d’inonder le marché européen à bas prix. Compris entre 140 et 170 millions de modules, ce stock représenterait une capacité de 70 à 85 GW. À titre de comparaison, l’UE a installé environ 56 GW de nouvelles capacités solaires en 2023.
Selon l’ESMC, la capacité de production des modules photovoltaïques au niveau européen s’élève à 11 GW sur le papier. Mais « on estime que seulement la moitié environ de cette capacité est opérationnelle » et « environ 2 GW seulement de modules ont été produits par les fabricants européens de modules photovoltaïques en 2023 en raison de la faiblesse des prix des modules », calcule l’ESMC. David Gréau est secrétaire général d’Enerplan, syndicat français des professionnels de l’énergie solaire. Il nous explique la situation et les perspectives du secteur en France.
Natura Sciences : Quand on parle de panneaux chinois à bas prix, quel est l’ordre de grandeur par rapport aux panneaux européens ?
David Gréau : Si l’on regarde sur pvXchange, la référence du secteur, le meilleur prix des panneaux solaires bas de gamme sur le marché de gros, fin janvier 2024, se situait autour de 9 centimes le Watt-crête [prix inchangé fin février]. Cela a entraîné une baisse similaire sur cette période de 53,3% sur les panneaux « mainstream » et de 42,5% sur les panneaux « haute efficacité« , les plus vendus en France. Les prix atteignent respectivement pour ces panneaux 14 et 23 centimes le watt-crête fin janvier [14 et 22 centimes fin février].
La plupart des observateurs félicitent depuis plusieurs années de la baisse du prix des installations solaires. Cette baisse des prix n’est-elle donc pas une bonne nouvelle ?
Il faut différencier deux choses : la baisse de prix d’une installation solaire et la baisse du prix des panneaux. Ce n’est pas tout à fait la même chose, car une installation solaire, ce n’est pas que des panneaux. Selon que l’on soit au sol, sur bâtiment ou sur un carport, les panneaux représentent en moyenne entre 20% et 30% du CAPEX d’une installation solaire.
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La part du prix des modules dans une installation solaire a baissé au fur et à mesure de l’évolution du prix. Mais une division par deux du prix du panneau solaire « low-cost » ou « mainstream » ne signifie pas une division par deux du prix de l’installation.
Le problème est donc que le prix des panneaux solaires bas de gamme baisse trop, entraînant une distorsion de concurrence ?
Effectivement ! La distorsion s’explique par deux faits principaux. Premièrement, les industriels chinois sont en surproduction de manière assez claire. Et ils le sont d’autant plus que le marché américain leur a été fermé via l’IRA, l’Inflation Reduction Act de 2022 [la loi sur la réduction de l’inflation]. L’Inde a mis en place une politique protectionniste similaire, fermant ses frontières aux panneaux chinois. L’Europe est finalement un marché de redirection. Il y a un deuxième effet dû à une concurrence féroce entre industriels chinois eux-mêmes, que cela soit sur leur marché domestique ou à l’export.
Les producteurs chinois bénéficient-ils d’aides à l’export ?
L’Europe projette de lancer une enquête sur le sujet, j’espère qu’elle le fera. Nous sommes dans une dynamique où chaque province chinoise veut sa ou ses gigafactories. Les observateurs de l’industrie du module solaire disent très clairement qu’à 9 centimes, un panneau low-cost se situe en-dessous du coût de revient. Et ce, sans tenir compte du coût de l’export. Cela ne peut pas tenir dans une économie profitable, non aidée.
Les résultats de cette enquête permettraient de mettre en place une forme de réciprocité pour les industriels au niveau européen. Si le jeu est biaisé d’entrée, il faudra en effet soit arrêter de le biaiser, soit prendre les mêmes armes en face pour aider les industriels européens.
Quel est le niveau de production solaire au niveau français ?
Au niveau français,on est autour de 1 GW de potentiel de production avec les différents industriels actuels. Ils produisent autour de 0,8 GW. Leur capacité de production équivaut donc environ à un tiers de la capacité installée chaque année en France. Les deux projets de gigafactories, celle de Holosolis en Moselle et celle de Carbon à Fos-sur-mer visent à produire chacune 5 GW à l’horizon 2026. Elles participeront à atteindre l’objectif de 40% des panneaux solaires produits en Europe à l’horizon 2030.
L’Europe discute actuellement du règlement pour une industrie « zéro net ». Ce règlement vise à stimuler la production En Europe des technologies bas carbone nécessaires à la réalisation des objectifs climatiques de l’UE. L’objectif est de couvrir 40 % des besoins de déploiement de l’Union d’ici 2030 par des technologies produites sur son territoire. Comment protéger l’industrie solaire en attendant son entrée en vigueur?
L’objectif est que les capacités de production en Europe correspondent à 40% de ce qui est installé à l’horizon 2030. Le texte en discussion prévoit de réserver 30% des appels d’offre – ou 6 GW ( d’énergies renouvelables européens aux produits fabriqués en Europe. Ces dispositions s’appliqueront 18 mois après l’entrée en vigueur du règlement. Mais il doit encore être validé par le Parlement européen dans sa dernière version, normalement en avril. Si les discussions durent, le risque est qu’il soit reporté et examiné par le nouveau Parlement après les élections de juin.
En attendant l’entrée en vigueur d’ici 2026, le Conseil européen de l’industrie solaire demande qu’il y ait des mesures d’urgence. Il y a trois enjeux sur l’enjeu industriel. D’abord, il ne faut surtout pas casser la dynamique actuelle d’installation en Europe. Si l’on décidait de fermer les frontières aux panneaux chinois, on n’aurait pas la capacité de répondre aujourd’hui à nos besoins. On a aussi un enjeu de soutien aux investissements et à la construction des installations industrielles européennes. Enfin, il y a un enjeu autour des industriels actuels afin qu’ils puissent écouler à des prix corrects leur production et rentabiliser les usines qui fonctionnent déjà. Le surcoût est de l’ordre de 30% pour des modules français. Nous demandons à ce que ce surcoût soit en tout ou en partie compensé.