Le 17 juin, c’est la Journée mondiale de lutte contre la désertification et la sécheresse. A cette occasion, l’ONG LIFE explique à Natura Sciences comment, face à la sécheresse amplifiée par le changement climatique, la construction d’un puits modifie radicalement la vie de communautés entières.
L’eau ne coule pas dans tous les robinets ni sous tous les ponts. Les pays du Sahel comme le Mali, le Niger ou d’Afrique de l’Ouest comme le Cameroun ou encore le Bénin et le Togo sont confrontés à des sécheresses récurrentes et à une pénurie d’eau. Fin mars -début avril 2024, une vague de chaleur meurtrière, avec des températures dépassant les 45 °C, a gravement touché la région. 48,5° ont été relevés le 3 avril au Mali. L’Afrique de l’Est, comme le Kenya, l’Éthiopie ou la Somalie, est également très impacté. La construction de puits d’eau potable est d’une importance capitale pour ces pays.
Dans de nombreux pays, il faut parcourir quotidiennement des distances considérables pour collecter de l’eau. Selon l’Organisation mondiale de la santé, 4 % de la population mondiale doit marcher plus de 30 minutes aller-retour pour y accéder. Plusieurs ONG travaillent au développement de ce type de projets intégrés. Parmi elles, l’ONG LIFE a assuré la construction de puits dans plus de 10 pays différents. En dix ans, elle a déjà réalisé pas moins de 2000 puits d’eau potable principalement en Afrique (Mali, Niger, Tchad), en Asie (Cambodge, Inde, Bangladesh, Indonésie). Chaque projet est adapté aux besoins locaux, et se fait en partenariat avec des organisations locales, pour maximiser leur efficacité et l’impact. Attaher Souleymane, référent technique WASH (Water Sanitation and Hygiene) chez l’ONG LIFE nous explique l’intérêt de ces puits en situation de sécheresse.
Natura Sciences : Quel est l’intérêt des puits en situation de sécheresse ?
Attaher Souleymane : En période de sécheresse, les sources d’eau peuvent se tarir, ce qui rend les puits profonds essentiels pour fournir de l’eau aux communautés locales. Grâce à eux, les populations ne sont pas obligées de marcher des kilomètres pour trouver cette ressource vitale, voire de s’exiler vers des camps de réfugiés climatiques… D’ici 2050, le nombre de réfugiés climatiques pourrait être de 216 millions !
Les puits permettent aux populations qui en bénéficient de continuer à accéder à de l’eau potable à proximité pour la boisson, la cuisine et l’hygiène personnelle. En favorisant cette dernière, ils ont également un impact significatif sur la santé publique et l’eau potable réduit le risque de développement des maladies hydriques telles que le choléra, la diarrhée, qui touche de nombreux enfants. Une population en bonne santé est une population active qui participe au développement de l’économie. Ainsi, l’accès à l’eau potable contribue au développement économique des bénéficiaires.
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Les puits assurent aussi la sécurité alimentaire de la population en permettant la survie des animaux d’élevage ou l’irrigation des terres agricoles quand il n’y a pas d’autres alternatives. Certains puits peuvent également être utilisés pour maintenir les habitats des espèces sauvages en fournissant de l’eau dans les zones touchées par la sécheresse, aidant ainsi à préserver la biodiversité.
Quand on parle de puits, on imagine en France celui au fond du jardin. Mais de quelle taille de puits parle-t-on dans ces conditions ? Combien de personnes peuvent-ils alimenter en eau potable ?
Les puits traditionnels, creusés manuellement, sont de faible profondeur, généralement entre 5 et 30 mètres, voire plus dans certaines situations. Les puits tubulaires, ou forés, communément appelés forages, sont réalisés avec des machines. Ils ont souvent une profondeur comprise entre 30 et 100 mètres dans la plupart de nos projets, mais peuvent atteindre jusqu’à 200 mètres ou plus.
Un puits bien conçu et entretenu peut fournir entre 1 000 et 5 000 litres d’eau par jour, ce qui peut alimenter environ 200 à 500 personnes. La capacité d’un puits dépend de la recharge naturelle de la nappe phréatique, de la qualité de l’eau, de la technologie de pompage utilisée (manuelle, électrique, solaire) et de la maintenance régulière. Les puits à pompes manuelles peuvent suffire pour environ 250 à 300 personnes, tandis que les puits équipés de pompes solaires peuvent desservir jusqu’à 500 personnes ou plus.
En situation de sécheresse et donc de manque d’eau, ces puits n’épuisent-ils pas les nappes phréatiques ? Comment s’assurer de leur pérennité ?
Si les puits sont utilisés de manière intensive et sans respecter certaines règles, ils risquent effectivement d’épuiser les nappes phréatiques. Il faut mettre en place une gestion durable pour assurer leur pérennité et la conservation des ressources en eau. Quelles sont-elles ?
Tout d’abord il est essentiel d’installer des systèmes de surveillance des niveaux d’eau dans les nappes phréatiques pour comprendre leur dynamique et anticiper les risques de surexploitation. Sur la base de ces informations, des mesures de gestion peuvent être mises en œuvre pour réduire l’utilisation des puits lorsque les niveaux d’eau sont bas. On peut aussi limiter le pompage des nappes souterraines pendant la saison des pluies en réalisant des systèmes adaptés de collecte des eaux de pluie, qui sont souvent une source d’eau potable. Cela permettrait aux nappes de se recharger correctement pour une meilleure restitution pendant la période de basses eaux.
Ensuite, il faut promouvoir des pratiques d’utilisation efficace de l’eau, telles que l’irrigation goutte à goutte et la réutilisation des eaux grises. L’adoption de pratiques agricoles durables, telles que la rotation des cultures, la gestion de l’eau et la conservation des sols, peut également contribuer à réduire la demande en eau agricole. Et très important, les communautés locales doivent être sensibilisées et impliquées dans la gestion des ressources en eau. Il faut favoriser des comportements responsables et durables en matière d’utilisation de l’eau.
Quelles sont les bonnes pratiques à respecter pour installer un puits ?
Avant tout, il est crucial de recueillir les avis de la population pour comprendre leur besoin en matière d’accès à l’eau potable.
Puis, une étude préliminaire doit évaluer la géologie et la disponibilité des nappes phréatiques, en prenant soin d’éviter les sources locales de contamination. Le choix du type de puits dépend ensuite de la profondeur des nappes et aussi du besoin de la population.
Les puits forés sont plus adaptés aux nappes profondes et offrent une meilleure protection contre la contamination, comme dans les zones pastorales. Les puits creusés sont plus économiques, mais nécessitent des mesures de protection supplémentaires.
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Pour la construction, il est important d’utiliser des matériaux de tubage de qualité et d’installer une dalle en béton et un couvercle hermétique pour prévenir l’entrée de contaminants. La filtration et la désinfection de l’eau sont essentielles, avec des systèmes de filtration pour éliminer les sédiments et les contaminants chimiques, et des méthodes de désinfection comme la chloration ou les systèmes UV pour garantir la potabilité de l’eau. Ces dispositifs permettent de réduire les maladies d’origine hydrique telles que la diarrhée, le choléra et la dysenterie de manière significative.
Un entretien régulier et une surveillance de la qualité de l’eau doivent être effectués, avec des inspections et des nettoyages périodiques, ainsi que des tests de qualité de l’eau au moins une fois par an. Il est également important de tenir des registres détaillés des tests et des interventions d’entretien, et de maintenir un historique des travaux réalisés sur le puits.
Enfin, sensibiliser et former les communautés locales à l’importance de l’entretien du puits, des pratiques d’hygiène et de la conservation de l’eau est crucial !
En quoi un puits est-il une puissance source d’autonomisation des femmes et de scolarisation ?
Grâce aux précieuses heures gagnées par la proximité de l’eau potable, les femmes peuvent s’adonner à des activités génératrices de revenus telles que l’artisanat, l’agriculture ou le commerce. Cette autonomisation financière favorise non seulement le développement économique mis à mal par des épisodes de sécheresse, mais aussi l’équité entre les sexes au sein de la communauté.
L’accès facile à l’eau potable permet aux enfants de retourner sur les bancs de l’école, et encore une fois, les filles sont tout particulièrement concernées. Grâce à la construction d’un puits, le taux de scolarisation peut augmenter. Cela a des répercussions à long terme sur le développement de la communauté, car une meilleure éducation conduit à une main-d’œuvre plus qualifiée et à de meilleures opportunités économiques.
Comment s’assurer que le puits bénéficie réellement aux populations ?
Pour que la construction d’un puits ait des effets durables, il faut assurer son bon fonctionnement sur le long terme. Pour cela, il est important d’encourager l’appropriation des projets par les familles bénéficiaires et de motiver leur engagement dans l’entretien des puits d’eau potable. L’ONG LIFE par exemple facilite la mise en place de Comités de Gestion de l’Eau (CGE), constitués de villageois, que ses équipes forment. Et afin d’assurer une gestion autonome des puits, un système de participation financière des usagers est établi par rapport à l’utilisation et l’entretien des infrastructures.