« La baisse récente observée du puits de carbone des forêts françaises devrait se poursuivre sur les prochaines décennies ». Voilà ce que déclarent l’IGN et l’Institut technologique FCBA dans une récente étude. Ce constat est d’autant plus alarmant que, pour atteindre la neutralité carbone en 2050, la France compte sur ses forêts afin de séquestrer le carbone. Mais rien n’est écrit d’avance…
Les forêts sont au cœur des stratégies françaises pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Selon le ministère de l’agriculture, « la filière forêt-bois permet de compenser environ 20% des émissions françaises de CO2″. Mais une étude de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) et de l’Institut technologique FCBA (forêt, cellulose, bois, construction, ameublement) souligne plusieurs menaces qui pèsent sur ces écosystèmes.
L’étude, publiée le 13 mai, « propose différentes simulations d’évolution de la ressource forestière sur le territoire hexagonal d’une part. De récolte et des usages du bois d’autre part. Et dresse le bilan carbone associé à chaque scénario », précise l’IGN dans un communiqué. Selon l’IGN, l’étude a pour objectif de fournir « des éléments chiffrés en appui aux politiques publiques relatives à la forêt, à la récolte et aux usages du bois, et au climat ».
Le dérèglement climatique, principal facteur de la baisse du puits de carbone
L’étude se base sur différents scénarios d’évolution des forêts à l’horizon 2050. D’un côté, ils prennent en compte les niveaux de récolte ou de prélèvement ainsi que les effets du dérèglement climatique. De l’autre, ils explorent le rythme du plan de renouvellement des forêts et les filières qui exploitent le bois récolté. Ces différents critères sont ensuite assemblés pour créer des combinaisons de scénarios.
D’après l’IGN, « la baisse récente observée du puits de carbone des forêts françaises devrait se poursuivre sur les prochaines décennies ». Et ce, dans la plupart de ces scénarios étudiés. En effet, selon un rapport de l’Académie des Sciences datant de juin 2023, le puits de carbone forestier a diminué de 25% ces dix dernières années. Ces résultats « suggèrent que les objectifs gouvernementaux de lutte contre le changement climatique ne pourront pas être tenus et doivent être révisés », ajoute l’Académie.
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Selon l’Académie des sciences, cette chute du puits de carbone s’explique par deux facteurs. D’un côté l’augmentation des prélèvements et, de l’autre, par l’action du dérèglement climatique. Pour l’IGN, c’est bien l’aggravation des conditions climatiques qui cause principalement cette diminution. Celles-ci affectent notamment « deux paramètres clés du stockage de carbone en forêt : la croissance et la mortalité des arbres », ajoute le rapport. « Les scénarios d’effets du climat sont de loin le premier facteur de sensibilité des bilans totaux en carbone », explique l’IGN.
Ainsi, un scénario pessimiste sur les effets climatiques, même associé à des scénarios de récolte et de renouvellement optimistes, où le volume de récolte est maintenu à 53 millions de m3 (Mm3/an) et l’objectif gouvernemental d’un milliard d’arbres plantés dès 2030 est atteint, aboutit à « –25 % pour la production et +77% pour la mortalité par rapport à l’actuel », calcule le rapport.
Un renouvellement des forêts métropolitaines obligatoire
L’IGN met en avant le plan de renouvellement forestier mené par le ministère de l’agriculture. Selon le rapport, à l’horizon 2050, les forêts renouvelées devraient capter deux fois plus de CO2 que les autres. Mais ce résultat ne sera possible qu’avec une « bonne réussite des plantations ». Pour l’IGN, cela dépend « du choix d’essences et de sylvicultures adaptées, de l’atteinte de l’équilibre sylvo-cynégétique. Ainsi que de la préparation des terrains et de la réalisation des entretiens des plantations, etc ».
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Cependant, l’IGN rappelle également le « caractère dépérissant ou vulnérable des peuplements reboisés ». Selon les observations du Département de la santé des forêts, excepté pour 2021, l’échec des plantations augmente depuis 2017. De plus, 2022 « présente le taux d’échec le plus élevé depuis la mise en place de ce suivi sanitaire en 2007″. En effet, en moyenne, sur la période 2007-2022, 19,7% des plantations forestières étaient considérées comme ratées. Selon le département, une plantation est ratée à partir du moment où la mortalité des arbres dépasse les 20%. En 2022, ce nombre a atteint les 37,7%. Près de 92 % de cette mortalité a été causée par des événements météorologiques. Le département de la santé des forêts cite par exemple le gel, les fortes températures ou encore la sécheresse.
Un secteur à préserver malgré tout
« Malgré cette dégradation du climat et la survenue de crises, la forêt et le bois restent des alliés dans la lutte contre l’augmentation de l’effet de serre », affirme l’IGN. « En effet, la contribution intégrée du secteur forêt-bois à l’atténuation du changement climatique demeure positive à l’horizon 2050 dans la plupart des cas simulés », ajoute l’institut. Malgré ce constat rassurant, l’IGN rappelle que les forêts ne sont pas des puits de carbone sans fond. Il reste donc primordial de les protéger, notamment en incitant à « développer une culture du risque et à renforcer la vitalité des filières, la protection des forêts face aux aléas et l’adaptation du secteur forestier ». « Cette question sollicite des choix de société et des arbitrages politiques, conduits notamment dans le cadre de la planification écologique et des travaux de la SNBC [stratégie nationale bas carbone] », ajoute-t-il.
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Dans ce cadre, l’IGN affirme l’importance « de considérer l’intérêt de la complémentarité et de la diversité de stratégies ». Il ressort ainsi de cette étude avec quatre enseignements principaux. Tout d’abord, faut construire une complémentarité essentielle entre l’amont et l’aval de la filière. Selon l’IGN, « plus le climat se dégrade, plus le rôle de la filière [vers laquelle sont envoyées les récoltes de bois] devient important dans le maintien d’un climat favorable ». Ensuite la nécessité « de prendre en compte de multiples enjeux dépassant le carbone » et « d’adapter chaque maillon du secteur forêt-bois au changement climatique pour préserver voire renforcer le stockage de carbone ». Enfin, l’IGN conclut que cette étude « souligne des incertitudes et appelle à poursuivre les recherches et expertises intersectorielles ».