Les nanoplastiques sont omniprésents dans l’environnement et présentent un risque pour la santé. Dans une étude récente, les chercheurs du Korea Institute of Science and Technology apportent une solution originale à ce problème. Elle se présente sous la forme d’un agglomérant issu du bleu de prusse, le pigment bleu foncé caractéristique des jeans.
Les nanoplastiques se retrouvent partout, que cela soit dans les environnements marins, terrestres ou le corps humain. Ces déchets présentent également un risque pour la santé. Il est donc nécessaire de les retirer des eaux usées et de l’eau potable. Dans une nouvelle étude publiée le 1er octobre dans le journal Water Research, les chercheurs du Centre de Recherche sur le Cycle de l’Eau du Korea Institute of Science and Technology (KIST), menés par le Dr. Jae-Woo Choi, dévoilent “une approche hautement efficace de l’élimination des nanoplastiques présents dans l’eau”.
Aujourd’hui, selon l’étude, les systèmes de filtration utilisés dans les usines de traitement des eaux usées parviennent à filtrer plus de 95% des déchets plastiques d’une taille supérieure à 20 μm. Cependant, selon le KIST, en dessous de cette taille, le pourcentage de filtration tombe en dessous des 40%. Une solution plus efficace est donc nécessaire.
Un floculant couleur jean
Les usines de traitement des eaux usées utilisent déjà plusieurs produits et techniques qui peuvent retirer certains nanoplastiques de l’eau. La méthode la plus répandue consiste à utiliser un floculant, c’est-à-dire un produit capable de coaguler les nanoplastiques, en suspension dans l’eau. Une fois agglomérés, les déchets plastiques sont alors bien plus imposants. Ils peuvent passer d’une taille de quelques dizaines de nanomètres à plusieurs centaines de micromètres (1 µm = 1000 nm). Il est alors beaucoup plus simple de les récupérer en les filtrant, là où les nanoplastiques échappent aux filtres les plus fins.
Cependant, les floculants actuels, souvent à base de fer ou d’aluminium, “restent dans l’eau et sont toxiques pour les humains, nécessitant alors un processus de traitement séparé”, explique le KIST. Pour créer leur floculant, les chercheurs du KIST se sont intéressés au bleu de prusse. Des produits analogues au bleu de prusse se sont en effet récemment révélés efficaces dans la dégradation de plusieurs matériaux, dont le plastique. Pour autant, ils n’arrivent pas à l’éliminer complètement. À partir du bleu de prusse, les chercheurs ont donc développé des “photocatalyseurs autopropulsés”. Ces matériaux ont la capacité d’absorber la lumière. Ils se servent de cette énergie pour provoquer des transformations chimiques chez les polluants avec lesquels ils entrent en contact. Les polluants sont alors transformés en “produits plus écologiques” selon la définition de ScienceDirect.
Un photocatalyseur de taille
D’après les chercheurs, les photocatalyseurs de bleu de prusse possèdent plusieurs propriétés les rendant plus efficaces dans l’élimination des nanoplastiques. Tout d’abord, ils sont capables de créer des agglomérations de plastiques rapidement et en grande quantité. Le KIST rapporte que des plastiques “avec un diamètre d’environ 0,15 μm, qui sont difficiles à éliminer en utilisant une technologie de filtration conventionnelle, peuvent être agglomérés en un complexe environ 4.100 fois plus grand, ce qui les rend plus aisément filtrables”.
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De plus, les photocatalyseurs de bleu de prusse sont capables d’agglomérer des déchets plastiques pesant jusqu’à trois fois leur poids. Selon les scientifiques cela “surpasse l’efficacité des floculants conventionnels, à base de fer ou d’aluminium, par un facteur de 250”.
Des liaisons plus stables qui facilitent le filtrage
Selon les expériences menées lors de l’étude, les photocatalyseurs de bleu de prusse forment des liaisons plus fortes avec les nanoplastiques que les floculants conventionnels. Ces liens renforcés garantissent la stabilité structurelle des agglomérats. Ainsi, ils ne risquent pas de se briser lors du filtrage de l’eau, et donc, d’échapper au filtre. “Par conséquent, nos découvertes suggèrent que l’utilisation de [photocatalyseurs de bleu de prusse] solides est préférable à celle des floculants conventionnels afin de garantir une élimination fiable des nanoplastiques”, expliquent les chercheurs.
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En vue d’une application pratique de leur découverte, les chercheurs du KIST ont également testé la durabilité de leurs photocatalyseurs. Résultat : au bout de 60 jours de stockage dans une eau “neutre”, les scientifiques n’ont observé aucune dégradation. Après tests, “la performance d’élimination des nanoplastiques, sous conditions identiques [aux tests initiaux], est restée consistante [avec celle observée lors des tests intiaux]”, détaille l’étude. Le floculant du KIST peut donc être stocké pendant un minimum de deux mois sans connaître d’altération. Cette caractéristique faciliterait donc sa commercialisation.
Une élimination des nanoplastiques plus efficace en conditions réelles
Lors de leurs expériences, les chercheurs ont également découvert une autre propriété des photocatalyseurs de bleu de prusse. “De façon assez intéressante, la [capacité d’absorption des nanoplastiques] des photocatalyseurs de bleu de prusse a raisonnablement augmenté dans des solutions contenant des cations [soit des ions chargés positivement] sodium, potassium, calcium et magnésium (par un facteur d’environ 1,7 à 2,3).” explique l’étude. De plus, selon les résultats des expériences du KIST, cela s’applique aussi en présence d’anions, des ions chargés négativement. “La coexistence d’ions chlore, soufre, nobélium et polonium ont communément amélioré la performance d’élimination des nanoplastiques des photocatalyseurs de bleu de prusse par un facteur d’approximativement 1,8 à 2,4 comparé aux observations faites en l’absence de ces anions” détaillent les chercheurs.
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Cette propriété est particulièrement importante pour l’utilisation pratique de ce floculant. En effet, tous ces ions sont naturellement présents dans les environnements aquatiques. Ainsi, cela signifie que le produit du KIST est non seulement efficace en laboratoire mais qu’il le sera encore plus en conditions réelles. “Cette technologie a un potentiel élevé de commercialisation en tant que matériau candidat pouvant être appliqué aux rivières, aux installations de traitement des eaux usées et aux usines de purification de l’eau,” explique le Dr. Choi. “Le matériau développé peut être utilisé non seulement pour les nanoplastiques présents dans l’eau, mais aussi pour nettoyer le césium radioactif, fournissant ainsi une eau sûre”.
Seul bémol, mais non des moindres, la présence de matière organique dans l’eau diminue l’efficacité des photocatalyseurs du KIST. En effet, ces matériaux organiques tendent à s’agglomérer aux photocatalyseurs de bleu de prusse. Ils entrent alors en compétition avec les nanoplastiques. “Ainsi, la purification après un pré-traitement des matières organiques est nécessaire pour éliminer de manière efficace les nanoplastiques en utilisant des photocatalyseurs de bleu de prusse”, conclut le KIST. Suite à ce pré-traitement, le floculant du KIST pourra alors intervenir dans les stations d’épurations en remplaçant les floculants actuels. Grâce aux propriétés des photocatalyseurs de bleu de prusse, l’élimination des nanoplastiques serait alors bien plus efficace qu’actuellement.
Un produit non-toxique
Le dernier avantage des photocatalyseurs de bleu de prusse est leur non-toxicité. En effet, selon l’étude du KIST, la plupart des photocatalyseurs sont “toxiques et non-recyclables”. Ces deux caractéristiques réduisent les possibilités d’utilisation de ces autres photocatalyseurs, notamment dans des environnements naturels.
Le bleu de prusse est quant à lui reconnu “sans danger pour le corps humain” selon les chercheurs. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et la Société française de médecine d’urgence partagent cet avis. Ainsi, les photocatalyseurs de bleu de prusse “ne sont pas toxiques et ont même été proposés aux industries alimentaires”, assurent les chercheurs du KIST.