Depuis les annonces faites par le gouvernement le 15 mars dernier, l’économie française tourne au ralenti. Du fait des difficultés économiques rencontrées par les entreprises, l’économie française entrera en récession en 2020. Mais la crise économique ne se limitera pas aux frontières nationales. L’équilibre des marchés boursiers est également menacé. Pour Pascal Perri, journaliste et économiste, une crise financière plus profonde que celle de 2008 est à craindre.
Depuis le début de la crise liée à l’épidémie de coronavirus, les entreprises françaises sont sévèrement impactées. En effet, fermetures de commerces, rupture des approvisionnements, ou annulations de contrats provoquent un arrêt d’activité pour des centaines de milliers d’entreprises. Selon l’INSEE, l’économie française a fondu de 35% à cause du confinement. L’Institut estime en plus qu’un confinement d’une durée d’un mois entraînerait 3 points de produit intérieur brut (PIB) en moins sur une année pour l’économie française.
Malgré un soutien de l’État à hauteur de 40 milliards d’euros, les entreprises françaises sont promises à un futur proche morose. Les demandes de chômage partiel explosent. À moyen terme, le fonctionnement au ralenti des entreprises grippera l’économie. Ailleurs dans le monde, la situation sera peut-être même pire qu’en France. L’OMC a averti que le déclin économique et les pertes d’emploi dans le monde seraient pire que la crise de 2008. Pour mieux comprendre ce à quoi les marchés mondiaux doivent s’attendre, le journaliste et économiste Pascal Perri apporte quelques éclairages.
Natura Sciences : Les difficultés pour l’économie française se limiteront-t-elles aux simples frontières nationales ?
Pascal Perri : À l’échelon du monde, la récession sera considérable. Là on ne mesure que les effets budgétaires intérieurs. Mais cette crise implique moins d’échanges internationaux, et donc moins de valeur créée. Le monde va s’enfoncer dans un stock de dettes parce que l’argent que l’on mobilise aujourd’hui, il faudra le rembourser, d’une façon ou d’une autre.
Comment cela peut-il s’expliquer ?
Une chaîne d’approvisionnement ne se remet pas en route du jour au lendemain. Pour tout remettre en route, il faudrait que tous les acteurs soient prêts au même moment. Il va manquer des pièces détachées qui sont fabriquées très loin, parce que la chaîne logistique, que l’on appelle la chaîne de valeur, est très étirée. Cela va prendre du temps, car il y a un effet d’inertie. Il va y avoir des dégâts à réparer. Il y aura eu des morts, économiques, entre temps. Tout cela va se traduire par des semaines, des mois supplémentaires d’activité partielle. Donc j’ai tendance à penser que la récession de cette année sera extrêmement forte.
Bruno Le Maire table sur une récession de 1% pour l’année 2020. Ce chiffre vous semble-t-il réaliste ?
Non, cette estimation n’est pas suffisante. Je pense que cette estimation est très, très, très optimiste. La récession pourrait être beaucoup plus élevée. Le PIB, en cas de crise longue, peut plonger avec une décroissance à deux chiffres.
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Dans ce cas, pourrions-nous parler d’un phénomène sans précédent ?
À ma connaissance, oui. Dans notre histoire contemporaine, c’est la première fois que l’on procède à un confinement général de la population, à l’échelon d’un continent. Au XIXème siècle, il y avait eu un confinement en Bretagne, à cause d’une épidémie de variole. C’était très localisé. Alors que là, c’est toute la machine économique du monde qui est à l’arrêt.
Toutes les régions du monde vont-elles vivre la crise de façon similaire ?
J’attends de voir ce qu’il va se passer aux États-Unis. C’est dans des moments comme celui que nous vivons actuellement que l’on voit qu’il y a un lien entre politique de protection sociale et efficacité de l’économie. Compte tenu du fait qu’une grande part des Américains n’ont pas d’assurance de couverture santé, que les Américains n’ont pas placé la santé publique en haut de leurs préoccupations, l’épidémie peut se propager sur un marché de trois cent cinquante millions de personnes. Il n’y a pas de Sécurité sociale aux États-Unis, et cela peut produire une vraie catastrophe.
Qu’implique le plongement des bourses mondiales ?
Cela varie selon les pays. Aux États-Unis, la bourse est le thermomètre de l’économie. C’est vrai que Wall Street est très observée parce qu’il y a beaucoup d’agents économiques, des entreprises, qui dépendent de la bourse. D’abord, le modèle américain du financement de l’économie repose beaucoup sur la bourse. Chez nous, ce sont plutôt les banques qui financent l’économie.
Aux États-Unis, il y a beaucoup de ménages qui ont des retraites qui sont indexées sur des valeurs de bourse. Les retraites par capitalisation, ce sont des plans d’épargne en actions. Et quand la bourse plonge, cela a plus d’incidence que sur les entreprises comme en France, ou sur les quelques épargnants qui existent. Aux États-Unis cela a un impact récessif considérable. Cela peut tarir les retraites d’une partie de la population, qui est une retraite par capitalisation en actions. Donc la baisse de la bourse aux États-Unis, c’est un drame.
Cela vaut-il également pour le modèle français ?
En France, ou en Europe, la chute de la bourse n’est pas une bonne nouvelle certes, mais cela n’est pas dramatique. Heureusement, notre système de financement de l’économie repose plus sur les établissements bancaires, les établissements de crédit, que sur la bourse. Donc cela désensibilise l’économie française. Elle est moins sensible aux mouvements de la bourse que l’économie américaine.
Est-il logique que les bourses soient toujours ouvertes ?
Depuis ces dernières heures, je dis qu’il faut suspendre les cotations. La bourse, c’est un thermomètre en temps normal. En cas de crise, elle n’a plus aucun sens. En France, il faudrait fermer le CAC 40 et interrompre les cotations.
Propos recueillis par Chaymaa Deb, journaliste du magazine Natura Sciences