Selon une nouvelle évaluation des baleines et dauphins de la mer Méditerranée, dix nouvelles espèces intègrent la liste rouge des espèces menacées de l’UICN. Y figurent notamment le rorqual commun, les orques et les globicéphales communs du détroit de Gibraltar.
Nouveau coup dur pour les animaux de la planète. Suite à une nouvelle évaluation des espèces de baleines et de dauphins de la mer Méditerranée, dix sous-populations sont désormais classées sur la liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Parmi ces animaux figurent le rorqual commun, désormais considéré comme espèce dite « en danger ». « On sait que la sous-population de rorquals communs de Méditerranée est tombée aujourd’hui en-dessous de 1.800 individus adultes. Au vu de toutes les menaces qui continuent à frapper les populations, on sait que le déclin va continuer », rapporte Aurore Morin, chargée de campagne conservation marine et politique internationale pour l’IFAW (Fonds international pour la protection des animaux). Ce cétacé rejoint donc les cachalots et les globicéphales communs de Méditerranée déjà sur la liste.
D’autres sous-populations sont quant à elles proches de l’extinction. Après cette nouvelle évaluation de l’UICN, les orques et les globicéphales communs du détroit de Gibraltar intègrent quant à eux la liste des espèces « en danger critique d’extinction », soit la dernière étape avant l’extinction. « En Méditerranée, les activités humaines, qui tuent ces animaux, sont en augmentation exponentielle depuis une soixantaine d’années. Ils ne sont pas tués de manière volontaire, on n’est pas sur de la chasse à la baleine comme on peut observer au Japon, en Islande ou en Norvège. Là, on est plutôt sur des décès accidentels, mais malheureusement du fait de l’homme à chaque fois », souligne la chargée de campagne pour l’IFAW.
Des animaux en proie aux collisions
Ces animaux rejoignent aujourd’hui ces listes à cause de leur considérable déclin. Une baisse des populations, essentiellement causée par les collisions avec les navires en circulation. « La Méditerranée est une autoroute maritime. Il y a énormément de navires qui transitent, et qui peuvent notamment être des navires à grande vitesse, comme les ferry qui font les liaisons entre la France, l’Italie et la Corse par exemple. Il y a également de grands navires, qui sont de véritables immeubles sur l’eau, comme les porte-conteneurs, ou les tanqueurs. Ils sont gigantesques, et donc difficiles à éviter pour les animaux », précise Aurore Morin.
Les collisions avec de grands navires seraient responsables de plus de 20 % des décès de rorquals communs en Méditerranée. En comparaison, les accidents de la route représentent moins d’un pour cent des décès humains dans la plupart des pays. « Il y a eu pas mal de cas de collisions. Notamment dans les ports en France ou en Italie, certains navires arrivaient dans le port et découvraient des rorquals qui restaient accrochés après une collision. Des espèces un peu plus petites, elles, vont être heurtées sans pour autant rester accrochées au navire. Du coup, on ne sait pas exactement combien d’animaux entrent en collision de cette façon, meurent et passent inaperçus », déplore Aurore Morin.
Lutter contre les accidents
Un système existe pourtant pour tenter de pallier ce problème et éviter les collisions possibles avec ces animaux marins. Baptisé Repcet, il est obligatoire par la France sur les bateaux de pavillon français de grande taille. « C’est un système qui permet aux mariniers de collecter les positions des cétacés en temps réel. Ces données sont ensuite transmises à tous les navires dans la zone. De manière à lutter contre la collision avec les cétacés », explique la membre de l’IFAW.
Malheureusement, le système Repcet n’est pas encore suffisant. « Malgré le fait qu’il soit obligatoire, ce n’est que pour certains types de navires. Les autres ne l’utilisent pas, ou rarement, car c’est un système extrêmement coûteux. Par ailleurs, le système est limité à la vision. Ne sont déclarés que les animaux que les mariniers peuvent voir, il n’y a pas de sonars par exemple. Donc la nuit, c’est extrêmement limité par exemple. Ce n’est pas suffisant, c’est un début, mais ça reste un super outil déjà », explique Aurore Morin.
Une autre piste pour tenter d’endiguer ce problème de collision, serait la réduction de la vitesse de navigation. « Ce qui serait la mesure la plus rapide, la plus facile et la plus efficace serait le ralentissement de la vitesse des navires. Il y a pas mal d’études qui démontrent qu’une réduction, de quelques nœuds seulement, permet de réduire de près de 50% le risque de collisions. Moins de bateaux en Méditerranée ce serait encore mieux, c’est certain », encourage la chargée de campagne.
Un brouillard sonore catastrophique
La pollution chimique est également l’une des raisons avancées pour expliquer le déclin de ces animaux. « Les rejets de carburants des bateaux impactent les animaux. Il y a aussi les rejets d’eaux usées qui viennent de la terre pour se retrouver dans la mer », précise Aurore Morin.
La pollution sonore est aussi une autre piste pour expliquer le déclin des baleines et dauphins. « La pollution sonore est principalement causée par le transport maritime. Les plus gros navires sont évidemment les plus bruyants. Le bruit vient de ce qu’on appelle le phénomène de cavitation. C’est-à-dire que l’hélice du bateau, en tournant, va créer des micro-bulles qui vont venir s’exploser à la surface de l’eau. Cela va créer qui n’est pas forcément très élevé, mais qui est continue », précise Aurore Morin.
Ce phénomène va créer un brouillard acoustique très impactant pour toutes les espèces sous-marines. « Comme ils se basent sur les sons pour tout faire, pour se guider, pour communiquer, pour manger, ça les empêchent de remplir toutes leurs fonctions vitales essentielles. C’est assez catastrophique », souligne la chargée de campagne pour l’IFAW. Cette pollution sonore rend les navires plus difficiles à détecter pour les animaux. Ce qui augmente encore le risque de collision.
La liste des espèces menacées en attente d’actions
Aujourd’hui, le rorqual commun, les orques et les globicéphales communs du détroit de Gibraltar rejoignent donc la liste rouge de l’UICN. Ils viennent grossir les rangs de plus de 40.000 espèces répertoriées comme étant en danger. Un chiffre qui représente près de 28% de toutes les espèces répertoriées dans le monde. « L’UICN a établi cette liste rouge de manière à sonner l’alerte pour montrer qu’il y a une réelle problématique par rapport à des espèces qui sont en voie de disparition. C’est aujourd’hui l’outil scientifique qui est reconnu mondialement pour établir le statut de conservation des espèces », précise Aurore Morin. Pour autant, l’institution n’a aucun pouvoir réglementaire pour agir pour la conservation de ces animaux.
De nombreux pays font tout de même partie de l’UICN. « C’est une forte recommandation pour que ces états agissent. Les pays écoutent, et ont vraiment reconnu l’utilité de cette liste de manière générale. C’est donc un gros signal d’alerte, lancé par une communauté scientifique reconnue, pour désigner les espèces en voie d’extinction. Maintenant, c’est au bon vouloir des États d’agir ou non, pour essayer d’inverser la tendance », lance la chargée de campagne pour l’IFAW. La France a adopté en 2019 un plan d’action pour la protection des cétacés. Aurore Morin admet que « des efforts sont faits, mais il faut faire plus car on voit que le statut des espèces est en train de décliner ».
Ouns Hamdi