Dans son plan France 2030, Emmanuel Macron a annoncé deux milliards d’euros consacrés à l’agriculture. Un plan aux mesures déjà mises en doute et critiquées. Une chercheuse de l’Inrae et la chargée de campagne agriculture des Amis de la Terre analysent le plan pour Natura Sciences.
Emmanuel Macron annonçait mardi dernier son plan France 2030. La moitié de ce plan est ainsi dédié à la transition écologique et deux milliards d’euros à l’agriculture. Le président a défendu un triptyque de taille : numérique, robotique et génétique. Mais les critiques sont vite arrivées, de la part d’associations mais aussi d’experts.
L’agriculture numérique?
Véronique Saint-Ges est chercheuse en sciences économiques à l’INRAE, spécialisée dans les agricultures urbaines. Elle définit l’agriculture numérique comme celle utilisant les technologies pour récupérer des données, analyser les plantes ou les élevages. « Ce qui permet de les cultiver et de les élever dans les meilleures conditions possibles. Tout ça dans le respect de l’animal, de l’environnement et de l’être humain », décrit la chercheuse.
L’association Les Amis de la Terre n’a rien contre l’agriculture numérique en tant que telle, « mais contre les usages qui en sont faits », explique la chargée de campagne agriculture Manon Castagné. « Il y a un certain nombre d’initiatives numériques qu’on soutient et qui contribuent à la transition agricole », argumente-t-elle.
Numérique : le problème des données
Qui dit agriculture numérique dit données. Mais comment la donnée est-elle possédée et comment est-elle transportée ? C’est la question que se pose Véronique Saint-Ges. « Par exemple, si je suis un nouvel agriculteur, il faut que j’achète et que je récupère des données. Déjà, je dois les mettre dans un logiciel qui va me coûter cher, mais il faut en plus que j’y ai accès », illustre la chercheuse.
Vigilance s’impose sur « les détenteurs de ces données ». « Elles ne doivent pas être possédées par un petit nombre, notamment par une grande multinationale », insiste Véronique Saint-Ges. Et pour les Amis de la Terre, aucun doute, « ces plateformes de données sont en général détenues et contrôlées par de grands groupes, voire par des gouvernements », expose l’association.
L’accès est tout aussi essentiel. « Il faut que toute cette numérisation soit accessible, sans investissement et abonnement lourds. Or ce genre d’annonce engouffre dans une seule voie plutôt que des voies multiples », argumente la chercheuse. Elle le soutient, une vie uniformisée ne tient pas, il faut de la diversité partout.
Le verre à moitié plein
Dans les élevages, les vaches laitières ont besoin d’être traies quotidiennement. « Automatiser la traite fait beaucoup bondir mais on pourrait mettre en place une application qui aiderait l’agriculteur. Il indiquerait ses dates de vacances sur l’application, et avec une bourse à l’emploi, quelqu’un viendrait traire ses vaches », propose Véronique Saint-Ges.
La chercheuse est certaine qu’il existe de nombreuses initiatives positives qui n’ont pas forcément besoin de grandes techniques. « Le constat est effectivement qu’il faut changer le modèle agricole et qu’en cela, le numérique peut aider », concède la spécialiste des agricultures urbaines.
En robotique surtout, des succès d’optimisation
Grâce à l’analyse d’images, avec des photos de culture, « on peut voir si la culture est malade ou bien nourrie », explique Véronique Saint-Ges. « Ça existe notamment pour les céréales et la vigne », précise la chercheuse. Un agriculteur peut aussi équiper son tracteur d’un capteur qui analyse la nature du sol. Le capteur indique alors le nutriment dont la plante a besoin. La robotique est aussi utile dans les fermes verticales où des robots aident à la plantation. « Un logiciel contrôle la nourriture, l’air, le rendement », énonce la chercheuse à l’INRAE.
Les Amis de la Terre soutiennent quant à eux des initiatives comme l’Atelier Paysan. « Il s’agit de robots qui permettent d’accroître l’autonomie des agriculteurs », résume Manon Castagné. Le travail se fait en collaboration avec les paysans et les produits développés sont sous licence Creative Commons, en open source. « Ce qui permet aux agriculteurs de s’approprier ces outils mais aussi de les adapter. Car ce qui est bon pour un agriculteur ne l’est pas forcément pour un autre », rappelle la chargée de campagne agriculture.
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Autre point positif que relève Véronique Saint-Ges : le cobot ou la cobotique, à savoir la collaboration homme-robot. « Aujourd’hui on a du mal à trouver des maraîchers puisque le métier est très difficile. En cela, les robots pourraient être l’assistant de l’homme et le soulager grandement », estime la chercheuse.
Génétique : entre naturel et OGM
Véronique Saint Ges constate qu’on « pensait tout faire avec le gène et on est presque au top de la productivité. » Mais la chercheuse rappelle que la plante et l’animal ne vivent pas seuls. « Ils ne sont pas dans des bulles stériles et vivent avec des micro-organismes bénéfiques. Mettre le paquet sur l’agriculture c’est bien, cependant il faut faire des choix raisonnés. Les gènes de résistance sont difficiles, ce n’est pas forcément monogénique », contrebalance la chercheuse.
« La génétique ne veut pas dire qu’il faille produire de nouvelles semences, races d’élevages dans des laboratoires », argumente Manon Castagné. Elle rapporte aussi que la résilience des nouvelles espèces végétales ou animales créées par les peuples indigènes est bien plus forte que celle des graines utilisées dans le commerce. La chercheuse de l’INRAE souligne quant à elle : « si on crée des plantes résistantes aux OGM, les microorganismes vont finir par contourner cette résistance. »
Les agriculteurs font depuis toujours de l’amélioration génétique. Les plantes sont constamment améliorées pour s’adapter aux changements climatiques. « C’est un processus naturel et les agriculteurs en ont un savoir », assure Manon Castagné.
À l’inverse, les Amis de la Terre pointent du doigt « des dépenses en milliards d’euros pour des nouveaux OGM dont on ne connait pas les risques ». « C’est mettre de l’argent dans de la recherche qui ne va potentiellement jamais aboutir, dénonce Manon Castagné. Ces pertes de temps, d’énergie et d’argent montrent que le gouvernement est à rebours de la transition nécessaire »
Le sort des agriculteurs…
Pour la chercheuse et les Amis de la Terre, la réflexion est à faire dans le sens des agriculteurs. « Comment accompagner l’homme plutôt que de le remplacer ? Car ces personnes vont se retrouver au chômage, il va y avoir des gros dégâts psychologiques et sociaux », alerte Véronique Saint-Ges.
Et la situation des agriculteurs est déjà inquiétante. « Chaque année, on perd toujours plus d’agriculteurs, car l’agriculture a été complètement abandonnée par les pouvoirs publics », regrette Manon Castagné. « Aujourd’hui, ils ne peuvent plus se rémunérer ni vivre dignement, c’est un métier difficile et ingrat. Même les ouvriers agricoles n’ont aucune autonomie décisionnelle et répondent à des grandes entreprises », dénonce la chargée de campagne.
Même son de cloche pour Véronique Saint-Ges qui confirme que « l’agriculteur perd en autonomie et se retrouve entre les mains de tiers. » Surtout que « quand quelqu’un crie famine, il n’a pas le temps de réfléchir et devient sujet à toute domination », déplore la chercheuse.
L’association alerte également sur l’enjeu de la chimie, rendue plus accessible aux agriculteurs. « On sait de source gouvernementale que comme pour le plan de relance, ils vont promouvoir le matériel de précision pour l’épandage des engrais, organiques ou de synthèse », déplore Manon Castagné. En outre, cesmachines risqueraient d’encourager les agriculteurs à utiliser plus d’engrais. « Alors qu’on sait justement que l’enjeu est d’en sortir », insiste-t-elle.
Et le sort de l’agriculture
La défense est unanime pour la chercheuse et l’association. « Il faut une agriculture en phase avec une transition écologique et sociale », appuie Manon Castagné. Il est nécessaire de soutenir une agriculture de proximité, « plutôt que d’exporter autant tout en important nos fruits et légumes », ironise Véronique Saint-Ges. La chercheuse invite à repenser de façon systémique l’agriculture avec les consommateurs et le territoire. « On ne doit pas tout uniformiser, on ne fait pas la même chose dans le sud et dans le nord de la France », rappelle la chercheuse.
Pour les Amis de la Terre, cette numérisation vise à faire toujours plus de rendement. « La question des objectifs derrière la digitalisation est très importante. En l’occurrence, Emmanuel Macron et Julien Denormandie ont été très clairs : le rendement est leur priorité absolue », explique Manon Castagné.
Les Amis de la Terre en sont convaincus, quand on promeut le numérique avec ces objectifs, l’agroécologie est écartée puisqu’elle a besoin d’expertise et de l’humain pour fonctionner. « Emmanuel Macron et Julien Denormandie font l’apologie des révolutions vertes et de la chimie. Alors qu’elles sont largement décriées pour leurs impacts sur la biodiversité et sur les agriculteurs. En plus du fait qu’on ne nourrit pas mieux le monde », s’insurge Manon Castagné.
Plus globalement, Véronique Saint-Ges invite à réfléchir à la notion de biens communs. « Je ne suis pas contre les entreprises mais il ne faut pas que notre alimentation soit détenue par les mains de quelques-uns », accentue la chercheuse. Elle encourage ainsi à valoriser les organisations de R&D tout en préservant l’accès des individus aux besoins essentiels.
Ces problématiques étant connues depuis longtemps, « prendre de grands engagements à quelques mois de la présidentielle est très commode », souligne Manon Castagné. « C’est bizarre car tout ça aurait pu être mis en lumière bien avant mais ça n’a jamais été fait », ironise Véronique Saint-Ges. « C’est une bataille de façade, de grands discours mais pas de réelle bataille politique derrière », conclut la chargée de campagne agriculture.
Jeanne Guarato
Bonsoir!
Je cherche le texte complet du plan 2030, et je tombe sur votre article. Moi aussi j’ai bondi. Mais qu’a t on fait de notre secteur primaire. De ceux qui nous nourrissent? Le progrès, oui. Le remplacement, la mort, la dénaturation, non! J’habitais Besançon il y a peu. De jeunes cadres réinvestissent le primaire, avec tout leur coeur, leur courage, leur intelligence et leur conscience. Vous le soulignez parfaitement, il faut garder l’Humain! Il faut encore caresser nos vaches même peu, si peu, sans cela nous perdrons tous nos fondamentaux. Merci!