Le gouvernement de Michel Barnier a annoncé dans le projet de budget pour 2025 vouloir faire contribuer les grandes fortunes. Mais il n’évoque aucune justification écologique. L’idée d’ISF climatique existe-t-elle toujours ? Retour sur une proposition qui a pris de nombreuses formes au fil des ans.
C’est une des annonces importantes du gouvernement de Michel Barnier dans le budget 2025. Les ménages les plus aisés et les grandes entreprises vont être mis à contribution pour tenter de combler le déficit public. Le Figaro va même jusqu’à titrer : Comment Michel Barnier va recréer l’impôt sur la fortune (ISF) sans l’appeler ISF.
Le débat sur la taxation des plus riches est donc rouvert. Faut-il les taxer, et pour quoi faire ? Pour Michel Barnier, ce doit être limité dans le temps, et cela vient avant tout d’une volonté de rééquilibrer les comptes publics. Du côté de la gauche, dès le lendemain dans la matinale de France Inter, Marine Tondelier remet sur la table l’idée d’ISF climatique, c’est-à-dire taxer les plus riches pour financer directement la transition écologique. Les racines de ce clivage viennent de l’histoire de l’ISF climatique.
Un blocage politique
« Si un impôt de ce type n’a jamais vu le jour, c’est avant tout pour des raisons politiques », explique Gunther Capelle-Blancard, économiste spécialiste des marchés financiers et professeur à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. En France, l’idée d’ISF climatique vient pourtant d’une institution créée par Emmanuel Macron. En mars 2020, la Convention citoyenne pour le climat présente sur demande du président 150 propositions pour « dessiner un nouveau modèle de société ». On y trouve le rétablissement de l’impôt sur la fortune (ISF), avec la suggestion d’une « forme rénovée d’impôt écologique sur la fortune », en s’inspirant des travaux des économistes français Thomas Picketty et Lucas Chancel.
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« A première vue, il n’y a pas forcément un lien direct entre la lutte contre les inégalités par une taxe sur les plus riches et le financement de la transition écologique, explique Gunther Capelle-Blancard. Ce sont deux objets qui se rencontrent et se télescopent, et c’est assez représentatif d’un rapprochement ces dernières années des idées sociales et écologiques. »
Des avantages et des inconvénients
Pour l’économiste, le concept a aussi pour avantage de proposer une fiscalité intégrant les questions écologiques sans passer par une taxe carbone, jugée trop sensible électoralement par les politiques. Mais taxer les riches en fonction de leur impact carbone présente aussi des problématiques. Car cela suppose de bien identifier dans les patrimoines financiers ce qui est brun, c’est à dire très polluants, et ce qui est vert, c’est à dire bons pour la transition. « Ça peut finir en casse-tête, et on peut craindre que cela devienne une usine à gaz, très compliquée à mettre en place, détaille Gunther Cappelle-Blancard. Nous avons des outils de classification, comme la taxonomie verte au niveau européen, mais aucun n’est parfait et ne fait consensus. »
Ce type de débat n’aura finalement pas lieu à l’assemblée nationale. Comme de nombreuses autres propositions de la Convention citoyenne pour le climat, l’idée d’ISF climatique est finalement balayée d’un revers de main par Emmanuel Macron. L’abrogation de l’impôt sur la fortune était une promesse emblématique de sa campagne de 2017. Il était hors de question pour le président de la remettre au goût du jour trois ans plus tard.
Greenpeace s’empare de l’idée, puis la gauche
Le concept a cependant mis un pied dans la porte du débat. En octobre 2020, Greenpeace tente d’imaginer un chiffrage de la mesure dans un rapport nommé explicitement L’argent sale du capital : pour l’instauration d’un ISF climatique. Le plan vise les ménages dont le patrimoine dépasse les 1,3 millions d’euros, en visant les placements financiers qui financent des activités polluantes. L’ONG estime les recettes fiscales potentielles pour l’Etat à 4,3 milliards d’euros.
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« Notre objectif était d’infuser l’idée dans le débat public, explique Kim Dallet, chargée de communication climat chez Greenpeace France qui a travaillé sur ce rapport. La proposition plait, notamment à gauche de l’échiquier politique. « C’est pendant la primaire d’Europe écologie les verts que l’idée a vraiment ressurgi, se souvient Kim Dallet. D’abord avec Eric Piolle (maire de Grenoble), puis ensuite d’autres candidats se sont réappropriés le concept. » Le gagnant Yannick Jadot inscrira la proposition dans son programme présidentiel.
L’ISF climatique devient alors un vrai clivage politique entre les libéraux et les candidats de gauche. Mais la victoire d’Emmanuel Macron le 25 avril 2022 semble clore le débat.
Les alliés d’Emmanuel Macron la remettent sur la table
Mais c’est sans compter sur les propres alliés du président de la République. En mai 2023, un rapport commandé par Emmanuel Macron lui-même à Jean Pisani-Ferry, artisan de son programme économique en 2017, et Selma Mahfouz, inspectrice générale des finances, préconise « un impôt exceptionnel et temporaire » de 5 milliards d’euros par an qui viserait le patrimoine financier des 10 % des Français les plus riches.
La réaction du président de la République est claire. Il enjoint ses ministres d’éviter le « piège à la con du débat sur la fiscalité des plus riches », selon ses mots rapportés par Le Figaro. Mais le rapport inspire un député du MoDem, Jean-Paul Mattéi, qui à la veille de la présentation du projet de loi de finances pour l’année 2024 co-signe avec le député communiste Nicolas Sansu un rapport parlementaire sur la question. La proposition devient même un projet de loi, mais encore une fois, le camp macroniste a le dernier mot. C’est non.
Une carrière à l’international ?
Si en France, l’ISF climatique n’a pas réussi à prendre une forme concrète, l’idée n’est pas perdue pour autant. Aucun pays n’a pour l’instant adopté une telle mesure, mais ce n’est peut-être qu’une question de temps.
Une équipe d’économistes menés par José Pedro Bastos Neves, chargé du développement durable au ministère des Finances brésilien, et Willi Semmler, directeur de thèse à la New school University de New York, défendent depuis des mois dans les conférences économiques l’idée d’une taxe sur le capital qui ferait la distinction entre les actifs « bruns » et les actifs « verts ».
Quand on regarde leurs références, on s’aperçoit qu’il y a un lien direct avec la France. L’idée d’ISF climatique est nommément citée, de même que les travaux des économistes français qui ont travaillé sur la question comme Thomas Picketty, Gabriel Zucman ou encore Esther Duflo, prix nobel d’économie. Les idées, comme les hommes, ne s’empêchent pas de prendre l’avion.