Selon un suivi détaillé des expéditions et exportations de combustibles russes par le Centre de recherche sur l’énergie et l’air pur (CREA), les recettes de la Russie auraient fortement augmenté depuis le début de la guerre en Ukraine. Malgré les séries de sanctions apportées par l’Union Européenne, certains pays membres, dont l’Allemagne, restent encore d’importants importateurs.
Depuis son entrée en guerre contre l’Ukraine, la Russie continue de s’enrichir. Il n’y a qu’à observer l’évolution des exportations de combustibles fossiles pour le constater. Selon un rapport du Centre de recherche sur l’énergie et l’air pur (CREA), les recettes de la Russie liées à ces exportations ont atteint 63 milliards d’euros au cours des deux premiers mois de la guerre. L’Union Européenne (UE) et la Chine alimenteraient majoritairement cette manne, bien que d’autres pays soient également impliqués. Le financement de ces combustibles permet notamment à la Russie de financer la guerre en Ukraine.
Le rôle de l’Allemagne, mais pas que…
L’UE figure en tête des plus gros importateurs aussi bien pour le charbon, les productions pétroliers, le gaz naturel liquéfié que le pétrole brut ou encore le gaz fourni par pipeline. En tête, l’Allemagne a financé les combustibles fossiles à hauteur d’environ 9,1 milliards d’euros. « Il est inacceptable que l’Allemagne continue à importer des combustibles fossiles en grande quantité d’un pays qui a violé de manière flagrante et répétée le droit international », a réagi dans un communiqué Kira Vinke, directrice du Centre pour le climat et la politique étrangère au Conseil allemand des relations étrangères (DGAP).
« Le monde attend de l’Allemagne qu’elle fasse preuve de force et de détermination envers la Russie. Mais au lieu de cela, elle finance la guerre et bloque un embargo européen sur le pétrole russe », souligne à son tour Bernice Lee, directrice de recherche de Chatham House. Jeudi 21 avril, les représentants nationaux de l’UE se sont mis d’accord sur de nouvelles sanctions envers la Russie. Un embargo russe sur le charbon devrait entrer en vigueur dès le mois d’août. S’ajoutent à cela l’interdiction de quatre banques russes ainsi que l’accès des navires aux ports du continent européen. Ces décisions interviennent alors que des soldats russes auraient exécuté des civils dans les villes à l’extérieur de Kiev.
L’UE responsable de 71% des revenus fossiles de la Russie
Mais l’Allemagne est loin d’être la seule nation importatrice. Derrière elle, l’Italie et la Chine ont respectivement accordé la somme de 6,9 et 6,7 milliards d’euros. Suivent ensuite les Pays-Bas (5,6 milliards d’euros), la Turquie (4,1 milliards), mais aussi la France, en sixième position (3,8 milliards d’euros). Au total, l’UE serait responsable de 71% des revenus totaux de la Russie provenant du gaz, du pétrole et du charbon. Soit une valeur de 44 milliards d’euros.
En février et mars 2021, les importations de l’UE atteignaient seulement 18 milliards d’euros, rappelle Lauri Myllyvirta, analyste principal au Crea, à Reporterre. Mais cette explosion des revenus s’explique notamment par une forte hausse des prix des énergies fossiles russes. Si les sanctions envers Moscou ont abaissé ses exportations, le Kremlin a riposté avec une flambée des prix permettant ainsi de compenser ses pertes.
Ces dépenses ne représentent rien d’encourageant dans l’objectif d’indépendance vis-à-vis des énergies fossiles que s’est fixé l’UE. Le 8 mars dernier, la Commission européenne a présenté son plan baptisé « RePowerEu ». Cette action commune aux pays membres vise à réduire les importations de gaz russe d’ici 2030. Et cela, tout en favorisant la transition énergétique. « Nous avons l’occasion, en tant que communauté mondiale, de reconnaître que les combustibles fossiles sont à l’origine de la guerre et de la destruction du climat, s’est exprimée Anna Ackermann, membre fondateur de l’ONG ukrainienne Centre for Environmental Initiatives « Ecoaction » dans le même communiqué. Aujourd’hui, nous pouvons une fois pour toutes franchir une étape cruciale en choisissant la sécurité et la résilience énergétiques pour faire progresser la transition vers une énergie propre. » Un objectif à l’horizon 2030, mais pas pour 2022.
Des entreprises continuent leurs activités en Russie
Selon le document, les grandes entreprises « continuent également à faire des affaires avec la Russie ». Les données recueillies par le CREA ont suivi précisément les exportations de combustibles fossiles russes. Elles permettent alors d’identifier les destinations des cargaisons. Selon le CREA, celles-ci seraient étroitement liées aux compagnies pétrolières Exxon Mobil, Shell, Total, Repsol et BP. « Tous ceux qui achètent ces combustibles fossiles sont complices des violations du droit international perpétrées par l’armée russe », estime Lauri Myllyvirta, analyste principal du Centre de recherche sur l’énergie et l’air pur (CREA).
Le rapport stipule également qu’un quart des cargaisons de ces combustibles arriverait via six ports de l’UE, via cinq pays : Rotterdam (Pays-Bas), Maasvlakte (Pays-Bas), Trieste (Italie), Gdansk (Pologne) et Zeebrugge (Belgique). Pourtant, parmi les sanctions prononcées contre la Russie, l’UE avait bien exigé la fermeture de ses ports aux navires russes.
De premiers effets grâce aux sanctions
L’UE a formulé plusieurs sanctions contre la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine. Figurent notamment l’interdiction d’exportation des biens et technologies facilitant le raffinage du pétrole russe, l’interdiction de nouveaux investissements dans le secteur de l’énergie et des importations de charbon en provenance de Russie. Pour compléter ces sanctions, la Commission européenne devrait suggérer une interdiction d’importations de pétrole dans les prochains jours.
Bien que limitées, les sanctions actuelles commencent à produire leurs effets. « Les expéditions de pétrole brut de la Russie vers les ports étrangers ont diminué de 20% au cours des trois premières semaines d’avril, par rapport à janvier-février avant l’invasion », constatent les recherches du CREA. Le rapport précise par ailleurs que la Russie « ne peut pas remplacer l’Europe en tant que source de demande ». En effet, la majorité de ses exportations de combustibles fossiles sont acheminées par l’UE par des oléoducs et des ports de la mer Baltique.
Ces combustibles peinent à trouver d’autres acheteurs en raison du manque de raffineries et de centrales électriques conçues pour utiliser le pétrole. C’est pourquoi l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit une chute de la production de pétrole de près de 15% d’ici fin avril et de 25% en mai.
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Mais des sanctions encore inefficaces
Malgré une diminution non négligeable des expéditions de pétrole vers les ports étrangers, le CREA observe « une nette reprise [de ces expéditions] vers l’Inde, l’Égypte et d’autres destinations « inhabituelles » ». Mais celles-ci s’avèrent « loin d’être suffisantes » pour compenser la chute des exportations vers l’Europe.
Les sanctions économiques portées par l’UE sont perçues comme un « élément essentiel » pour répondre aux actions de guerre de la Russie, selon le CREA. Cependant, elles ont été « compromises par la poursuite des importations de combustibles fossiles » au sein même du territoire de l’UE qui devait répondre à ses approvisionnements. C’est pourquoi l’UE cherche à remplacer ces combustibles russes d’ici 2030. L’objectif est de répondre au conflit en cours mais également de renforcer son indépendance énergétique. Toutefois, les mesures décidées par l’UE « n’ont pratiquement aucun effet sur les recettes d’exportation de combustibles fossiles de la Russie à court terme », selon le rapport.
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Les recommandations du CREA
Pour mettre fin à cette dépendance de combustibles fossiles, le CREA recommande aux gouvernements et aux entreprises concernées de « mettre fin à tout achat » et de« renforcer l’effet des sanctions ». S’il ne peut pas instaurer une interdiction d’exportation, l’organisme propose l’institution de droits de douane sur les importations en provenance de Russie. « Des droits de douane suffisamment élevés encourageraient les acheteurs à ne pas à s’approvisionner en Russie ».
Enfin, le CREA évoque un plan pour remplacer les combustibles fossiles par des énergies renouvelables. « Cela aura beaucoup plus d’impact que le simple réaménagement des flux commerciaux mondiaux de combustibles fossiles, précise le rapport. Cela aura des avantages économiques, sanitaires et de sécurité nationale bien plus importants ». Kira Vinke rejoint cette analyse. « La réponse à ce défi doit consister à développer les énergies renouvelables, et non à encourager de nouvelles dépendances aux combustibles fossiles, comme le gaz de fracturation ou l’énergie nucléaire », indique-t-elle.
Dès aujourd’hui, le géant pétrolier Gazprom a arrêté ses livraisons de Gaz à la Pologne et à la Bulgarie . Une « tentative de chantage » pour Ursula Von Der Leyen qui a réagi quelques heures après l’annonce de Gazprom. « Cela montre une fois de plus le manque de fiabilité de la Russie en tant que fournisseur de gaz », indique-t-elle. Alors que la Pologne et la Bulgarie s’approvisionnent désormais chez leurs voisins européens, les dirigeants européens et mondiaux continuent de travailler avec la Commission européenne pour « assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique en Europe« . Des réponses devraient être apportées prochainement.