La Commission européenne a dévoilé le 6 février 2024 ses recommandations pour l’objectif climatique 2040 de l’UE, feuille de route pour la poursuite du « Pacte vert ». Le niveau d’ambition à atteindre, le détournement des énergies fossiles, ainsi que le capture et le stockage du CO2 sont au cœur des enjeux.
Les 27 pays de l’UE visent une réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici 2030 par rapport à 1990, en vue d’atteindre la neutralité carbone en 2050. En 2020, la baisse atteignait 31%. Tout l’enjeu des négociations actuelles est d’aboutir à une cible intermédiaire pour 2040. Mardi 6 février 204, la Commission a recommandé une baisse nette de 90% à cet horizon par rapport à 1990. C’est en-deçà de la baisse « de 90-95% » préconisée par le Conseil scientifique consultatif européen sur le climat.
La prochaine Commission, constituée à l’automne après les élections européennes, devra soumettre une proposition législative formelle aux États et eurodéputés, pour en débattre avant la COP30 au Brésil en 2025. C’est alors que l’Europe devra fournir sa nouvelle contribution déterminée au niveau national (NDC), soit son nouvel engagement de réduction des émissions pour se mettre dans les clous de l’Accord de Paris. Vue l’ampleur des défis qui s’attaqueront notamment aux industries polluantes et aux modes de vie des ménages, la Commission craint pour l’acceptation sociale des mesures. D’où la nécessité selon Bruxelles d’un « Pacte vert industriel » garantissant des conditions adéquates aux entreprises, et d’un renforcement des « politiques sociales ».
Se détourner des énergies fossiles
Le Bilan mondial de l’accord de Paris adopté à la COP28 en décembre 2023 appelle à « s’éloigner des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action au cours de cette décennie critique, afin d’atteindre zéro émission nette d’ici 2050, conformément à la science ». Dans cette lignée, la Commission prévoit une chute d’environ 80% des combustibles fossiles brûlés à des fins énergétiques en 2040 par rapport à 2021. Seule la sortie du charbon est programmée.
La production d’électricité devrait, elle, « être quasi-décarbonée dans la seconde moitié des années 2030″, grâce à l’essor des renouvelables, de l’hydrogène et du nucléaire, avec « une alliance industrielle » pour les petits réacteurs modulaires. Ce soutien affiché à l’atome civil marque un changement de paradigme. Huit ONG dont Greenpeace et le WWF avaient appelé à fixer « des dates claires » de sortie des fossiles. Sinon, « les plans de réduction d’émissions ne sont pas crédibles, c’est un vélo sans pédales », s’insurge Dominic Eagleton, de Global Witness.
La porte ouverte au captage du CO2
La Commission a présenté une « stratégie de gestion du carbone », pour accompagner la décarbonation de l’énergie et l’industrie. Selon Bruxelles, une baisse nette de 90% reposerait sur le captage annuel en 2040 d’environ 280 millions de tonnes de CO2 dans l’industrie ou la biomasse brûlée, dont les deux tiers seraient ensuite séquestrés en sous-sol. « On ne peut aller jusqu’au ‘dernier kilomètre’ avec les renouvelables et l’hydrogène. Il s’agit d’aider les secteurs durs à décarboner : ciment, sidérurgie… Ces technologies – coûteuses – seront un outil disponible », explique Joop Hazenberg, directeur UE de CCSA, association oeuvrant à l’accélération du déploiement commercial des technologiqes de capture et de stockage de CO2.
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« Cette stratégie devrait catalyser des actions et financements coordonnés », afin de « surmonter les obstacles techniques, réglementaires et économiques » pour construire un réseau européen de transport de CO2, abonde Toby Lockwood, du think-tank CleanAirTaskForce. « Real Zero Europe », campagne réunissant quelque 140 ONG, dénonce au contraire « un écran de fumée pour poursuivre l’utilisation des fossiles ». Elle appelle à fixer des cibles « brutes » de réduction d’émissions. « Ce n’est pas une solution miracle », avertit Camille Maury, du WWF.
Bruxelles évoque des besoins totaux d’investissement avoisinant 1.530 milliards d’euros annuels sur la période 2031-2050 (660 dans l’énergie, 870 dans les transports), mêlant investissements publics et fonds privés. Ce n’est rien comparé au « coût de l’inaction », incluant les dommages économiques dus au changement climatique et la facture des importations de combustibles fossiles. À titre de comparaison, sur la seule période allant de septembre 2021 à septembre 202, les 27 ont déboursé près de 450 milliards d’euros pour lutter contre la flambée des prix du gaz et de l’électricité et soutenir particuliers et entreprises.
Matthieu Combe avec AFP