Sandrine Rousseau, finaliste de la primaire écologiste, se réclame de l’écoféminisme. Comment les militants ressentent-ils cette justification relativement controversée ? La candidate est-elle la première écoféministe présidentiable ?
En politique française, Sandrine Rousseau, finaliste de la primaire EELV, est la première candidate à se réclamer de l’écoféminisme. À l’instar du féminisme, l’écologie de Sandrine Rousseau et la justice sociale qu’elle défend divisent. Ses partisans veulent comme elle changer le paradigme social en liant les deux causes. Mais la candidate est aussi publiquement décriée, tant par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin que par le chroniqueur de CNews Guillaume Bigot.
L’écoféminisme, comme son nom l’indique, porte à la fois la lutte écologique et féministe. Le terme apparaît pour la première fois en 1974 dans l’ouvrage de Françoise d’Eaubonne Le Féminisme ou la mort. L’écoféminisme défend l’idée qu’il existe des liens étroits entre l’exploitation de l’environnement par l’espèce humaine et l’oppression des femmes par les hommes. En cela, ces deux formes d’oppressions découleraient des mêmes mécanismes de domination et peuvent être combattues ensemble.
Complémentarité des causes
Membre de la communauté LGBTQIA, Merlin Delcher estime que le féminisme a pour force de recouper toutes les causes sociales. Son opinion sur l’écoféminisme est plus que positive, puisqu’en « aidant l’un, on fait avancer l’autre. » Il ajoute à cela que « la source du problème est la même, à savoir le patriarcat. Les hommes au pouvoir n’aident pas. »
En 2020, la journaliste féministe Anne Billoët crée le podcast Cultivez vos fils. En 2017, elle se présente aux élections législatives et représente Allons Enfants, parti qui veut réconcilier les jeunes avec la politique. Si elle est engagée politiquement et socialement, elle ne connait pas Sandrine Rousseau.
Anne Billoët donne l’exemple des femmes qui choisissent de ne pas avoir d’enfant. « D’abord, parce qu’elles ne le désirent pas, pour des raisons personnelles. Ensuite, parce qu’on est déjà trop sur Terre, et qu’y mettre des individus supplémentaires ne feraient qu’y nuire encore plus », explique la journaliste.
Un autre podcasteur, Pierre Jouquan, réfléchit à la question du féminisme et écoféminisme en lien avec la démocratie. Car en plus d’être un objectif indéniable, le féminisme est pour lui « une nouvelle grille de lecture à lier à la lutte des classes pour atteindre l’universalisme. »
Défendre le vivant
Elise Thiébaut est auteure et journaliste française. Son dernier livre l’Amazone Verte retrace le parcours de la première écoféministe Françoise d’Eaubonne.
Pour l’auteure, le mouvement est « une analyse de la société qui s’appuie sur la logique des dominations masculines. » Cette domination considère donc que le vivant, à commencer par les femmes mais aussi la terre et les animaux, peut être approprié. Par conséquent, l’enjeu est de « changer le paradigme en partant de la domination patriarcale. »
Un mouvement qui « existe d’ailleurs en Inde, en Afrique, ou encore dans le cadre de la lutte anti-nucléaire », selon Élise Thiébaut.
L’écoféminisme de Sandrine Rousseau
C’est grâce à des comptes féministes sur Instagram que Merlin Delcher découvre Sandrine Rousseau. En effet, de nombreux relais féministes soutiennent la candidate sur le réseau social. Le 26 septembre sur CNews, le chroniqueur Guillaume Bigot comparait Sandrine Rousseau à une « Greta Thunberg ménopausée ». Des propos condamnés par la sphère écologiste et féministe, notamment l’élue EELV Alice Coffin. Préparez vous pour la bagarre, compte Instagram féministe suivi par 170 000 abonnés, supporte également la candidate.
Électeur de Sandrine Rousseau lors du premier tour de la primaire écologiste, Steven Syp ne craint pas la radicalité. En cela, il estime qu’être radical « dans son coin ne sert à rien. Être radical dans un mouvement qui prend de l’inertie, c’est mieux. Et Rousseau a créé cela. »
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Pour lui, aucun doute sur la nécessité de porter une candidate comme Sandrine Rousseau. « Le féminisme et l’écologie sont des chantiers actifs actuellement qu’il faut faire avancer. Et il faut un seul et même chantier de justice sociale. », estime l’ingénieur.
Merlin Delcher en est aussi convaincu, la candidate EELV est la seule à pouvoir représenter et porter ces causes. « Contrairement à d’autres, on sent une sincérité et une réelle implication dans la lutte. Les politiques ne s’intéressent qu’à la croissance, pas à l’écologie », dénonce le jeune militant.
« Faire justice climatique sans féminisme, c’est du jardinage »
Le podcasteur Pierre Jouqan est lui aussi électeur de Sandrine Rousseau. En somme, il affirme que « faire justice climatique sans féminisme, c’est du jardinage. » En écho aux précédents avis, il considère que les luttes sont interdépendantes. « Elles ne doivent pas être menées en silo comme depuis ces 40 dernières années. »
« Il s’agit de comprendre qu’il faut bouger tous les pions en même temps. Si on veut que la devise de la France « Liberté, égalité, fraternité » ait du sens, il faut agir sur tous les plans. C’est comme ça qu’on va vers une société durable où chacun est pris en compte », estime Pierre Jouquan.
Auteure de l’Amazone Verte, Élise Thiébaut soutient qu’il fallait que quelqu’un se saisisse de l’écoféminisme. « C’est la réponse politique qu’on attendait, qui lie les enjeux sociaux. C’est en tout cas la seule dans laquelle je me reconnais pleinement. », déclare l’auteure. De plus, Élise Thiébaut estime que « le fait qu’elle soit prise pour cible est le signal qu’elle tape dans le vrai. C’est la persistance d’une domination masculine qui se manifeste. »
Première candidate écoféministe à la présidentielle ?
Pour Steven Syp, la réponse est évidente. « Aujourd’hui, c’est la candidate qui met le plus en priorité cette cause. Et certainement celle qui l’a le plus revendiqué dans l’histoire des présidentielles. » Merlin Delcher le pense également, en plus d’affirmer qu’elle « porte un projet jamais vu auparavant. » Elise Thiébaut estime quant à elle que Sandrine Rousseau « serait la première à représenter l’écoféminisme dans l’histoire de la politique française. »
Cependant, Pierre Jouquan considère que Sandrine Rousseau n’est pas la première candidate à prôner l’écoféminisme. « C’est la première à le faire aussi frontalement, à le revendiquer haut et fort. » Mais il se rappelle, « en 2002, Christiane Taubira commençait déjà à exposer ces idées. Mélenchon par bribes également, même si ça n’a jamais été annoncé aussi frontalement. »
Jeanne Guarato