Les carburants alternatifs prennent leur envol. Avec le projet E-CHO, la PME industrielle française Elyse Énergie compte implanter trois usines de production autour de la commune de Lacq (64), en Nouvelle-Aquitaine. Pour produire ces carburants, E-CHO demanderait énormément d’eau et de bois. Les enjeux écologiques autour de ce projet inquiètent les associations locales.
De plus en plus de carburants alternatifs se développent : Hhydrogène, e-méthanol, e-biokérosène… Ils promettent de venir alimenter nos moyens de transports tout en réduisant leurs coûts écologiques. Le projet E-CHO, qui doit voir le jour entre 2027 et 2028, envisage de produire ces carburants en métropole. Pour cela, des usines doivent sortir de terre autour de la commune de Lacq (64) en Nouvelle-Aquitaine.
Alors qu’il est encore en phase de concertation, le projet alarme déjà les ONG et les riverains. Ce 12 avril, le collectif Touche Pas à Ma Forêt – Pour le Climat (TPMF-PLC), né en réaction au projet E-CHO et regroupant 37 associations environnementales, a organisé une grande réunion publique. Celle-ci a pour but « d’informer le grand public sur les conséquences désastreuses pour l’environnement du projet E-CHO ». Porté majoritairement par la PME industrielle française Elyse Énergie, E-CHO prévoit la mise en service de trois usines. Elles devraient produire de l’hydrogène, de l’e-méthanol et du e-biokérosène. Ces trois carburants servent notamment, et respectivement, aux bus, aux opérateurs maritimes et à l’aviation.
Un projet encore sous concertation
Censée rassurer le public, la concertation préalable a laissé en suspens de nombreuses interrogations soulevées par les riverains et les ONG. « Les porteurs de projet Elyse Energy et RTE ont fait l’effort de répondre à un maximum de questionnements eu égard aux informations disponibles et communicables, mais il reste toutefois de nombreuses précisions à apporter comme l’atteste la liste de plus de 90 questions auxquelles les porteurs de projet devront répondre à l’issue de ce bilan », rapporte le bilan de la concertation. Réunies en 15 thèmes, nombre de ces interrogations portent sur les enjeux écologiques du projet. Mi-avril, Elyse Energy et RTE, ont publié leur réponse à ce bilan sur le site de la concertation.
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« Si Elyse Energy décide de poursuivre son projet, la concertation continue devra réunir à nouveau tous les acteurs et le public afin de pouvoir débattre sur toutes ces thématiques et ainsi pouvoir aborder cette nouvelle étape de concertation avec plus d’informations jusqu’à l’enquête publique », atteste le bilan de la concertation préalable. Tout d’abord, le collectif TPMF-PLC dénonce les incertitudes tournant autour de la technologie envisagée pour ce projet. « Selon une enquête en cours de l’ONG internationale Biofuelwatch, le projet E-CHO présente un haut risque industriel », explique l’organisation. En effet, d’après Biofuelwatch, « chacune de ces usines nécessiterait la mise en place de technologies dont le développement n’est pas encore abouti, où que ce soit dans le monde ». L’ONG britannique cite notamment l’électrolyse de l’hydrogène, la production de carburants liquides pour le transport et d’e-méthanol à grande échelle.
Le bois : une ressource faussement illimitée…
Selon TPMF-PLC, le problème majeur du projet E-CHO est la quantité de bois que demande son fonctionnement. En effet, dans son dossier de présentation, Elyse Énergie prévoit l’utilisation, en moyenne, de « 300.000 tonnes de biomasse sèche (dont l’humidité a été retirée) par an. Ce qui équivaut, avant séchage, à environ 500.000 tonnes de biomasse brute entrante ». L’usine de production du e-biokérosène consommerait ces quantités à elle seule. Les premières années, d’après Elyse, l’usine n’utiliserait que de la biomasse primaire, soit du bois issu de forêts gérées durablement. Ensuite, « une quantité relativement similaire entre la biomasse primaire, secondaire et agricole afin de diversifier la consommation » devrait être utilisée. « Sur 15 ans, le volume des bois consommé équivaudrait à la totalité de la biomasse forestière des 20.000 ha du massif forestier d’Iraty », alerte TPMF-PLC.
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« On est en vraie crise forestière et la situation va s’aggraver très sérieusement », explique Jacques Descargues, ancien secrétaire général de l’ONF et président de l’Association 5 Cantons La Barre, lors d’une conférence de presse de TPMF-PLC, le 8 avril dernier. En effet, selon l’IGN, producteur de statistiques forestières nationales et cartographe de l’anthropocène, ces dix dernières années, la mortalité des arbres a augmentée « de près de 80% ». En cause, l’IGN pointe le changement climatique notamment avec les crises sanitaires forestières, les sécheresses et la prolifération de bioagresseurs. De plus, « un ralentissement global de la croissance des arbres a également été observé. De 91,5 millions de mètres cube par an (Mm3/an )en 2005-2013 à 87,8Mm3/an en 2013-2021, soit une baisse significative de 4% », ajoute l’IGN.
…et une filière déjà chargée
Le projet E-CHO n’est également pas le seul consommateur de bois. En effet, les forêts françaises fournissent déjà de la matière première pour les matériaux de construction et de rénovation des bâtiments ou encore pour la production de carton et de papier. Dans ces conditions, TPMF-PLC craint qu’E-CHO puisse « provoquer une déstabilisation sur secteur actuel de la filière bois en Nouvelle Aquitaine ». Selon le collectif, la « demande en croissance a déjà entraîné une augmentation de 20% du taux d’évolution de la récolte de bois sur les 7 dernières années ».
Dans ce contexte, « on comprend mieux pourquoi Elyse n’a toujours pas sorti son plan d’approvisionnement : c’est mission impossible », ajoute Jacques Descargues. En effet, le dossier de présentation d’Elyse Énergie indique que « les fournisseurs sont des négociants en exploitation forestière ou encore des spécialistes dans la récolte, le tri, la valorisation de la biomasse », sans donner pour le moment plus de précisions. « D’autant qu’ils ont bien dit, ce qui est logique, qu’ils voulaient privilégier du bois issu de forêts gérées durablement », explique Jacques Descargues. « Là, on est dans une impasse réelle. Le projet ne peut pas effectivement se concrétiser. Pour l’État, ce serait totalement irresponsable de donner un feu vert », conclut l’ancien secrétaire général de l’ONF.
3,9 millions de m3 d’eau consommée par an
Pour fonctionner, le projet E-CHO a également besoin de grandes quantités d’eau. Le dossier d’Elyse prévoit un débit collecté de 7,7 millions de m3/an et un débit rejeté de 3,9 millions de m3/an. Cela revient à 3,8 millions de m3/an d’eau consommée chaque année. Selon TPMF-PLC, « E-CHO a demandé une autorisation de prélèvements supplémentaires, alors que d’autres industries locales doivent diminuer les leurs et qu’il y a des restrictions de plus en plus fréquentes pour les particuliers et les agriculteurs en période de sécheresse ». La compatibilité d’E-CHO avec la future déclinaison locale du Plan de sobriété national sur l’eau interroge. « N’aurait-on pas pu réutiliser des eaux déjà utilisées par d’autres industriels pour limiter les prélèvements sur le milieu ? », demande Véronique Mabrut de l’agence de l’eau Adour Garonne.
Philippe Garcia, président de l’Association de Défense des Milieux Aquatiques, alerte également sur la qualité et la température de l’eau qui ressortira de ces usines. « Cette eau sera manifestement polluée, peut-être déminéralisée ou minéralisée avec des choses qui ne sont pas convenables comme des polluants. Aussi, le problème de la température de cette eau. Le gave de Pau est une rivière à salmonidés. Ces poissons ont besoin d’eau froide pour se soigner et, inversement, si l’eau est trop chaude ils tombent malades », explique-t-il.
Un projet qui encourage le trafic aérien
D’après le dossier d’Elyse Énergie, l’usine d’E-CHO qui produira du e-biokérosène est une réponse « à une partie des besoins de ce marché de Carburants d’Aviation Durables ». « L’Union Européenne prévoit d’imposer un minimum de 6 % de Carburants d’Aviation Durables dont 1,2 % de carburants de synthèse aux compagnies aériennes en 2030″, précise la PME. Cependant, « le secteur aérien fonde sa stratégie de décarbonation en partie sur les biocarburants et les utilise pour justifier la poursuite de sa croissance », rappelle TPMF-PLC.
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Rester sur Terre, membre du collectif TPMF-PLC, « milite contre toutes les annonces du secteur aérien qui annoncent une décarbonation. Elles sont du greenwashing dont le but est de permettre de continuer à faire croître ce secteur florissant. Le projet de Lacq fait partie de ce greenwashing », affirme Éric Lombard de Rester sur Terre. Pour le réseau, « la seule solution pour réduire rapidement les émissions de CO2, c’est de réduire le trafic ». En effet, « la décarbonation des carburants pour l’aviation pourrait être limitée par la disponibilité en ressources énergétiques bas-carbone. Leur utilisation massive pourrait alors entraîner un déplacement de problème environnemental, notamment lié à l’usage des sols. De façon générale, il est nécessaire de penser la transition du secteur aérien de manière systémique dans le cadre des limites planétaires », ajoute Éric Lombard.