Lors de la COP 16 sur la désertification qui s’est achevée le 13 décembre dernier à Riyad, la France a annoncé pour la première fois que des parties de son territoire présentaient un risque de désertification. Face au dérèglement climatique et en pleine crise agricole, le pays doit maintenant concevoir une feuille de route pour éviter de perdre des terres cultivables.
« La désertification est à l’intersection de plusieurs crises. La crise climatique, l’effondrement de la biodiversité et la crise agricole. » C’est ainsi que Nicolas Gross, chercheur en écologie à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), décrit ce phénomène de dégradation abrupte des sols, qui rend certaines terres complètement stériles.
Mieux connaître le territoire
Selon le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), 12 millions d’hectares de terres cultivables sont ainsi perdues chaque année dans le monde. Pour la France, cela paraissait jusqu’à présent un phénomène lointain, mais la COP 16 sur la désertification à Riyad en Arabie saoudite a changé la donne. Le pays s’est déclaré « Partie affectée » parmi les États signataires de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (UNCDD).
La désertification est un phénomène scientifique très documenté dans les pays les plus touchés. Mais sur le territoire français, que l’on pensait épargné, peu de connaissances précises existent. Se déclarer « Partie affectée » va entraîner un appel d’air dans les milieux de recherche, puisque l’État devra maintenant faire tous les quatre ans un état des lieux des connaissances et présenter les mesures prises pour lutter contre le phénomène.
1% du territoire directement concerné
Concrètement, 1% du territoire national est concerné par le risque de désertification selon le Comité scientifique français sur la désertification. On parle essentiellement du pourtour méditerranéen et de la Corse du Sud, mais aussi de La Réunion, de la Guadeloupe et de Mayotte.
Pour bien comprendre le phénomène, il faut dissocier la désertification et les déserts. « Les mots sont proches, mais il ne faut pas confondre les deux, insiste Nicolas Gross, chercheur à l’Inrae. En fait la désertification c’est le processus de dégradation abrupte de la productivité de la végétation, et de la fertilité des sols. » Les déserts sont des écosystèmes emblématiques des zones arides. Mais ils peuvent être des écosystèmes stables et complexes. Il est donc possible de désertifier un désert.
Selon la Convention des Nations-unies pour la lutte contre la désertification, ce sont les zones arides, semi-arides et subhumides qui présentent un risque de désertification. Avec le réchauffement climatique, de plus en plus de territoires européens connaissent ce type de climat. Dans certaines régions comme le pourtour méditerranéen, le réchauffement climatique accentue les sécheresses en concentrant les pluies sur des périodes plus courtes. Et les précipitations annuelles diminuent, avec un fort impact sur les écosystèmes qui n’ont pas le temps de s’adapter.
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Des seuils qui changent brutalement les écosystèmes
La désertification devient un risque majeur en milieux arides où la croissances des plantes est d’abord limitée par les pluies. Une étude internationale parue dans Science en 2020 à laquelle Nicolas Gross a pris part montre trois seuils de réponse des écosystèmes.
« Pour simplifier, si on tombe en dessous de 600 mm de précipitation annuelle, on voit un déclin de la photosynthèse qui explique la diminution de la productivité des plantes, détaille le scientifique. Par exemple, mon laboratoire est à Clermont-Ferrand, où la pluviométrie en 2023 était de 520 mm. En 2019 on a connu une sécheresse importante. Tous les champs sont devenus jaunes, et les éleveurs ont dû pour la première fois acheter du foin pour nourrir leurs bêtes en fin de saison. »
Le deuxième seuil se situe autour de 400 mm, et provoque une baisse drastique de la fertilité des sols, l’apparition de sols nus, ou avec des végétations qui peuvent survivre en milieux arides comme autour du pourtour méditerranéen. Les sols sont alors plus susceptibles de s’éroder. Enfin, si un territoire tombe en dessous de 200 mm de pluie, « c’est l’effondrement total de l’écosystème du sol ». Il est alors impossible de cultiver quoi que ce soit, à part irriguer massivement.
L’agriculture, problème mais aussi solution
La désertification n’est pas seulement due au manque d’eau. La dégradation des sols par les activités humaines est également responsable de la concrétisation du risque. Ici, il faut regarder en priorité le surpâturage et l’agriculture intensive. « L’agriculture intensive se matérialise aujourd’hui souvent par de la monoculture et par l’introduction massive d’intrants chimiques comme des engrais, explique Nicolas Gross. Ajoutez à cela les labours qui laissent les sols nus, on arrive à une simplification des écosystèmes qui va rendre ces systèmes beaucoup plus sensibles à l’aridité croissante. »
Pour le chercheur, face aux menaces que fait peser la désertification, le monde agricole est à la fois un facteur aggravant mais aussi une solution avec un grand potentiel, même s’il faut pour cela rediriger les modes de production. « On peut jouer sur tous les leviers disponibles, dont l’efficacité est prouvée scientifiquement. Remettre des haies dans les champs, faire une agriculture sans labour, diversifier les cultures, favoriser le pastoralisme et la diversité animale, développer les pratiques d’agroécologie et favoriser la biodiversité. Cette dernière n’est pas là pour faire joli, elle confère aux écosystèmes une plus grande résistance et résilience face à l’aridité croissante et les aléas climatiques. »
Un constat partagé par la communauté scientifique. Dans un rapport publié en 2024 par la Convention nationale pour la lutte contre la désertification des Nations-Unies (UNCDD), les experts insistent sur le fait que la question des sols est « à l’intersection entre le bien-être humain et la santé des écosystèmes ». Les protéger pourrait être une porte d’entrée pour « lutter contre le changement climatique, stopper le déclin de biodiversité » voire « construire la paix ». Car dans les pays où la désertification est bien plus importante qu’en France comme la Somalie, la déstructuration des systèmes agricoles est telle qu’elle alimente des conflits meurtriers et s’additionne à d’autres crises.