La question des énergies fossiles sera capitale lors de la COP28. Si les constats scientifiques montrent l’importance de sortir des énergies fossiles, l’industrie pétrolière préfèrerait développer des technologies de captage et de stockage des émissions. On vous explique la différence !
La COP28 s’est ouverte à Dubaï aux Émirats arabes Unis le 30 novembre et durera jusqu’au 12 décembre prochain. Le président de cette COP, le Sultan Ahmed Al Jaber est ministre de l’Industrie et des Technologies, également PDG de Dhabi National Oil Company (Adnoc), la 12e compagnie de production de pétrole selon l’AIE. Lors de la COP27, 636 représentants du secteur pétrolier et gazier étaient réunis à Charm-el-Cheikh, selon l’ONG Global Witness.
Ce choix comme pays hôte fait craindre le pire pour ONG de défense du climat et à certains observateurs. Ils redoutent la mainmise des lobbies des énergies fossiles sur les négociations. Et pour cause, les Émirats arabes unis sont le troisième pays producteur de pétrole et prévoient une hausse de 7% de leur capacité de production d’ici 2026, selon l’AIE. Mais cela pourrait aussi être une chance pour enfin inclure le rôle des énergies fossiles dans la transition.
L’encadrement de la production contre les technologies de CSC
Lors de la COP27 en Égypte, l’Inde avait proposé de mentionner la réduction de tous les combustibles fossiles dans les décisions finales. 80 pays l’ont soutenue, mais le sujet n’a pas été repris dans les versions finales en raison d’une forte opposition de l’Arabie Saoudite, de l’Iran et de la Russie. La question est de savoir comment le sujet va ressortir à Dubaï.
Lire aussi : Le Bilan mondial de l’Accord de Paris, un enjeu politique majeur de la COP28
Il y a en effet urgence à planifier la fin des énergies fossiles. Selon l’agence internationale de l’énergie (AIE), pour limiter le réchauffement climatique à 1.5°C d’ici la fin du siècle, il faudrait réduire la consommation d’énergie fossile de 25% d’ici 2030 et de 95% d’ici 2040. Parmi les options très discutées, la question de la place donnée aux technologies de capture et de stockage de carbone (CSC).
Le discours du Sultan Ahmed Al Jabeb défend en effet les technologies de CSC comme solution afin de pouvoir continuer à utiliser des énergies fossiles. Il place plutôt les émissions de gaz en effet de serre en tant qu’ennemi que les différents types de combustibles fossiles. Le défi pour les Émirats arabes unis est de jouer le rôle de pilote du secteur pétrolier et gazier sur les conditions à réunir pour que les compagnies pétrolières et gazières puissent prendre des engagements conformes avec l’urgence climatique.
« Unabated fossil fuels »: le diable est dans les détails
Le sujet capital va ainsi être l’élimination progressive ou la réduction progressive d’un ou plusieurs combustibles fossiles. Le mot « unabated » sera au cœur des négociations. Si le terme est « flou », il désigne globalement « les combustibles fossiles non couplés avec des dispositifs de captage et de stockage du carbone », explique Lola Vallejo, directrice du programme climat de l’Iddri. « L’idée serait d’installer des sortes d’aspirateurs de CO2 au-dessus des centrales qui fonctionnent au gaz ou au charbon pour avoir ainsi des fossiles qui n’émettent pas de CO2″, complète-t-elle.
Le discours du président de la COP-28 a tout de même évolué. En mai 2023 à Berlin, il évoquait simplement la nécessaire élimination progressive des émissions des combustibles fossiles. Désormais, il parle bien de la réduction progressive des combustibles, mais sous-entend qu’il est possible de continuer à brûler les combustibles fossiles, du moment que l’on capte et stocke le CO2 émis. Le 17 octobre 2023, la lettre du président de la COP-28 aux pays signataires de l’Accord de Paris défend qu’ « il faut… travailler vers un futur système énergétique libre de combustibles fossiles sans dispositif d’atténuation [captage et stockage des émissions, ndlr] d’ici le milieu du siècle ».
En ouverture de la COP28, il a déclaré : « Nous devons trouver des moyens et s’assurer de l’inclusion du rôle des énergies fossiles. Je sais qu’il y a des positions fortes sur l’idée d’inclure un langage sur les énergies fossiles et les énergies renouvelables dans le texte négocié. Ensemble, nous avons le pouvoir de faire quelque chose sans précédent. » Chacun pourra interpréter cette déclaration à sa manière.
Les discussions autour d’une première version d’un texte faisant office de Bilan mondial commencent ce 1er décembre. Les pays doivent préparer une « réduction/sortie des énergies fossiles », selon les termes de ce document. Il servira de base de discussion en vue d’une adoption d’ici la fin de la COP, prévue officiellement le 12 décembre.
Sortir, réduire, ou relancer la production ?
Le choix des mots sera important. Parlera-t-on de « phase down » ou de « phase out », soit de réduction ou de sortie des énergies fossiles ? La mention ou non d’une échéance changera également beaucoup les choses. Retiendra-t-on au final l’encadrement de toutes les énergies fossiles ou seulement de celles « unabated »? La deuxième option reviendrait à faire le pari technologique du captage et du stockage du CO2. Il pourrait alors être possible de continuer à faire de grands plans de production d’énergie fossile du moment que les industriels installent du CSC dans leurs procédés.
Dans l’état actuel des développements, c’est d’ailleurs déjà ce qu’il se passe. Lola Vallejo détaille : « La technologie est très clairement déployée pour générer plus de fossile. C’est une façon d’éviter les fuites de méthane et lorsque l’on récupère le CO2 lié à la production de gaz ou de pétrole, c’est pour le réinjecter afin d’aller dans des fosses plus profondes pour générer davantage de pétrole. »
Trouver un consensus, un défi majeur
L’agence internationale de l’énergie (AIE) reste très critique dans son rapport Net-zéro sur les technologies de CSC. La position européenne adoptée en Conseil de l’environnement est également que l’on ne peut pas faire de pari à large échelle sur cette technologie. Celle-ci devrait rester cantonnée aux secteurs difficilement électrifiables, comme l’industrie lourde, mais pas le secteur électrique. De leur côté les États-Unis ont lancé le Carbon Management Challenge. L’initiative veut accélérer le développement et le déploiement des technologies de CSC. Une série d’annonces et d’objectifs devraient être présentés à Dubaï.
La COP28 devra être très claire sur le rôle que peut jouer le CSC. « Un des risques majeurs est d’avoir un accord très général qui n’essaie pas d’avoir une limitation du rôle potentiel de ces technologies et ouvrir la porte à la poursuite des combustibles fossiles pour lesquels seulement quelques pour-cents des émissions de CO2 sont captés en sortie », prévient Lola Vallejo.