La COP28 a débuté par un vote confirmant la mise en place d’un nouveau fonds spécifique sur les pertes et dommages liés au dérèglement climatique. Cette annonce surprise n’a pas manqué de réjouir en cette plénière d’ouverture. Désormais, plusieurs défis sont à relever pour transformer l’essai.
C’était une attente forte des pays du sud, qui l’espéraient depuis 30 ans. C’est une annonce qui apporte de l’émotion et du relief à cette session d’ouverture, qui aurait pu être moins éclatante. Au premier jour de la COP28 à Dubaï, les pays signataires de l’Accord de Paris ont adopté les règles définissant les contours d’un nouveau fonds dédié aux pertes et préjudices liés aux dommages irréversibles du changement climatique, décidé lors de la COP27 en Égypte.
Un fonds nouveau attendu de longue date
Cette nouvelle n’a pas manqué de surprendre et de ravir de nombreux acteurs, allant des ONG aux nations directement concernées par la mise en place de ce fonds. « C’est un jour remarquable », assure Avinash Persaud, envoyé spécial de la Première ministre des Barbade Mia Motley, les yeux et la voix empreints d’une joie certaine. « C’est inédit que la plénière d’ouverture soit un moment aussi émouvant », se réjouit Lola Vallejo, directrice du programme climat de l’IDDRI. « L’année dernière, il y avait eu cet accord complètement inédit sur le fait de créer ce fonds. Et là, en moins d’une année, on obtient l’accord pour le mettre sur pied », félicite Fanny Petitbon, responsable plaidoyer de l’association Care France.
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Il fallait au moins 200 millions de dollars pour qu’un fonds dédié au financement des pertes et préjudices puisse voir le jour. Ce seuil minimum est le fruit des annonces des Émirats arabes unis (100 millions de dollars), le pays hôte de cette COP28, de l’Allemagne (100 millions de dollars), du Royaume-Uni (75,7 millions de dollars), des États-Unis (17,5 millions de dollars) et du Japon (10 millions de dollars). Grâce à leur concours, l’enveloppe destinée aux pertes et dommages s’élève déjà à près de 303,5 millions de dollars. D’autres nations et organisations, dont la France, la Norvège et l’Union européenne, devraient annoncer d’autres contributions dans les deux prochains jours.
Un fonds dédié aux préjudices des pays en développement
En clair, l’adoption de ce nouveau fonds dédié aux pertes et préjudices constitue une véritable avancée pour les pays souffrant de dommages directement liés au dérèglement climatique. « Ce fonds permettra d’accéder à des financements pour faire face à des phénomènes à occurrence lente, comme la montée du niveau des mers ou les sécheresses, mais aussi des phénomènes extrêmes comme des cyclones ou des inondations, partage Fanny Petitbon. Le texte dit qu’il faudra savoir à la fois répondre aux pertes économiques, mais aussi aux pertes non économiques, y compris les pertes de vies humaines, les déplacements forcés de population, les pertes de culture et d’héritage. » Notons toutefois que sur ce dernier point, le texte adopté aujourd’hui ne précise pas les modalités et les montants d’indemnisations.
En dépit des avancées certaines qu’impliquent l’officialisation de ce fonds, plusieurs lacunes subsistent. « Ce fonds doit être de 100 milliards de dollars par an, nous voulons qu’il s’agisse d’un fonds moderne », partage Avinash Persaud. Or, les sommes annoncées aujourd’hui demeurent très en deçà des montants nécessaires pour répondre aux besoins de l’ensemble des pays confrontés à des pertes et dommages irréversibles. « Le compte n’y est pas », déplore Fanny Petitbon. « Les pays en développement s’attendent à tous être éligibles. Mais il y a une tension car les fonds sont limités. Si le fonds est ouvert à tous, et qu’un seul pays subit une grosse catastrophe, il risque d’aspirer tous les fonds », alerte Lola Vallejo.
Qui compter parmi les pays les plus vulnérables ?
Pour l’instant, les règles qui régissent la création et le fonctionnement de ce nouveau fonds ne sont pas nombreuses. L’une des seules certitudes est que la Banque mondiale l’hébergera pendant une période provisoire de 4 ans. La composition de son futur conseil d’administration est, elle aussi, déjà connue. Il comprendra 26 membres, dont 14 issus de pays en développement. Ces derniers, qui voulaient une structure indépendante sous mandat de l’ONU, ont obtenu un compromis : le fonds aura son propre instrument de gouvernance et de fonctionnement et sera géré par un nouveau secrétariat indépendant, qui lui sera dédié. Il incombera aux États membres de ce conseil d’administration de choisir la localisation géographique du secrétariat.
Le conseil d’administration aura aussi en charge la définition des types d’événements soutenus et les montants associés. « Le board décidera des critères d’éligibilité. Il devra également définir le pourcentage minimum de fonds alloué aux pays les moins avancés et aux petites îles en développement tout en évitant la sur-concentration des fonds », précise Lola Vallejo.
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D’autres pays comme la Libye, les Philippines, le Pakistan, qui ne font pas partie de ces pays les plus vulnérables, pourraient aussi être éligibles dans le cas où une partie importante de leur PIB est impactée à la suite d’une catastrophe climatique. Autre avancée notoire, des communautés pourraient recevoir directement des fonds. « Cela est essentiel pour redonner de la dignité à ces populations qui ne peuvent jamais avoir accès à ces financements. Elles pourraient demander de petites sommes : 5.000, 10.000, 50.000 dollars en fonction de leurs besoins, sans intermédiaire », déclare Fanny Petitbon. L’ensemble de ces règles devraient voir le jour dès 2024, puisque les modalités de fonctionnement doivent être approuvées lors de la COP29.
De premiers engagements timides, à consolider
Désormais, plusieurs défis restent à surmonter. Pour pouvoir faire face à un maximum de situations catastrophiques, l’objectif est également de parvenir à alimenter ce fonds grâce à des sources de financement innovantes. En plus des apports étatiques, ce fonds pourra recevoir des fonds venus d’organisations philanthropiques et d’entreprises. D’autres pistes d’approvisionnements financiers sont également possibles. Fanny Petitbon détaille les pistes soutenues par les ONG. « Le texte ouvre la voie à la possibilité de mettre en place des taxations sur les secteurs les plus polluants : énergies fossiles, aérien, maritime. Il permet également d’envisager une taxe sur les transactions financières, mais n’y a rien encore de décidé. »
À l’heure actuelle, la plus grande faiblesse de ce nouveau fonds dédié au financement des pertes et dommages est lié au manque d’assurance concernant les sources financières servant à l’alimenter. Il est nécessaire de savoir qui y prendra part, et dans quelle mesure. Le texte exhorte les pays industrialisés à y participer, en raison de leur responsabilité historique. Toutefois, rien ne les oblige à s’y soumettre. Les autres pays, comme la Chine, le Qatar, l’Arabie Saoudite, la Corée du Sud, ainsi que les autres pays émergents n’ont pas plus d’obligation, mais peuvent contribuer sur la base du volontariat. Au-delà de ces deux incitations, aucune autre piste n’existe pour le moment.