Sur le fil, la COP28 s’est achevée sur un accord qui évoque la fin annoncée de l’ère des énergies fossiles. Une fois le dénouement frappé du marteau de Sultan al-Jaber, des faiblesses se sont fait jour. La conférence climat de Dubaï a obtenu des résultats décevants sur les financements dédiés à l’adaptation. L’argent manque, et cela crée des tensions.
Voilà, c’est fini. À Dubaï, la COP28 s’est clôturée ce 13 décembre, avec une journée de retard. Les 197 pays représentés à cette conférence climat ont fini par trouver un accord. Dans le texte final, plus question de « phase out fossil fuels ». Cette formulation revenant à inscrire dans un accord mondial la sortie progressive des énergies fossiles n’étaient finalement plus à l’ordre du jour ce mercredi matin.
Désormais, l’accord appelle à « s’éloigner progressivement des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action au cours de cette décennie critique, afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050, en accord avec la science ». Ce point représente l’avancée principale de cette COP28. Mais il ne faut pas s’y tromper. Ce n’est qu’un début. Reste à savoir comment les pays mettront en œuvre la sortie des énergies fossiles. Le texte final évoque le triplement de la capacité de production électrique grâce au énergies renouvelables d’ici 2030.
COP28 hors adaptation, victoire du « début de la fin »
Après des dernières journées de négociations incertaines, l’idée d’un éloignement progressif des énergies fossiles a un parfum de victoire. Malgré le coup de pression du secrétaire général de l’OPEP Haitam Al-Ghais, le balbutiement d’un déclin se dessine. Simon Stiell, secrétaire général de l’ONU Climat voit dans cet accord « le début de la fin » des énergies fossiles. Le président de la COP28, et de la compagnie pétrolière ADNOC, Sultan al-Jaber salue une « réussite historique ».
Côté français, le président de la République Emmanuel Macron voit dans cet accord « une étape importante », qui « engage le monde dans une transition sans énergies fossiles ». Et la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher a assuré que « l’accord de la COP28 […] est une victoire du multilatéralisme et de la diplomatie climatique ».
L’adaptation, un « combat pour notre survie »
Mais aujourd’hui à Dubaï, l’adoption du texte n’a pas mis fin à toutes les aigreurs. Une fois l’avancée sur les énergies fossiles de côté, les questions attenant à la finance climatique font grincer des dents. Les aides financières accordées aux pays du Sud manquent encore grandement. Cela concerne en particulier les besoins de l’adaptation au changement climatique. Si le début de la COP a marqué la création du fonds pertes et dommages, l’adaptation, elle, reste un parent pauvre. « L’adaptation, c’est la grande perdante de cette COP. On n’a pas de garantie que l’argent va être au rendez-vous », tance Fanny Petitbon, responsable plaidoyer de l’ONG Care France.
Plusieurs dirigeants de pays du Sud partagent cette opinion. Durant la plénière de clôture, réunion officielle durant laquelle l’ensemble des représentants des parties présentes à la COP28 se sont exprimées une dernière fois, plusieurs pays ont signalé leur amertume. Le Sénégal, également représentant des pays les moins avancés (PMA) a partagé son inquiétude lors d’un discours poignant. Sur l’adaptation, « le bilan mondial ne répond pas à l’ampleur ou à l’urgence de l’action climatique », alerte le représentant sénégalais. La cause : un manque évident de financements pour faire face à l’ensemble des besoins. « Nous sommes dans le combat pour notre survie », rappelle le Sénégal pour souligner l’urgence de la situation.
Le Paraguay partage le même agacement teinté d’inquiétude. « Nous célébrons la mise en place du fonds pertes et dommages, et les promesses de contributions financières. Cependant, cette réussite de bon augure ne doit pas nous faire perdre de vue qu’il est fondamental que la finance climatique augmente significativement. C’est pourquoi nous observons avec inquiétude certains points, comme celui concernant l’accord mondial sur l’adaptation », rappelle fermement la représentante paraguayenne.
L’Afrique est en colère
Les deux représentants partagent un même sentiment. Ils sont à l’avant-poste de dégâts climatiques qu’ils n’ont pas provoqués. « Nous sommes préoccupés par la faiblesse des contributions apportées à l’adaptation. Nous appelons les pays développés à prendre des engagements supplémentaires », déclare le Sénégal. Le Maroc est également de cet avis. « Les pays développés doivent prendre le lead » et leurs responsabilités sur la finance climatique, affirme le représentant marocain lors de la plénière de clôture.
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L’immobilisme des pays développés a provoqué la colère des pays africains durant la COP28. « On sous-estime à quel point l’Afrique aujourd’hui est en colère sur le fait que nous n’ayons pas tenu les engagements de Copenhague », analyse le sénateur Écologie Solidarité et Territoire de Loire-Atlantique, Ronan Dantec, durant son passage à la COP28. En 2009 au Danemark, lors de la COP15, les pays développés s’étaient engagés à trouver 100 milliards d’euros à partir de 2020 pour répondre aux besoins des pays en développement en termes d’adaptation et d’atténuation. Or, aujourd’hui, ces financement ne sont toujours pas atteints. Le bilan 2022 de l’OCDE fait état de 83,3 milliards de dollars réunis en 2020.
Objectif 40 milliards de dollars pour l’adaptation
En clair, les pays en développement exigent que les pays du Nord apportent davantage de financements. « En cumulant les besoins pour l’atténuation, l’adaptation et les pertes et dommages, il faudrait 3.000 milliards de dollars par an. Les pays développés ne doivent pas nécessairement tout financer. Mais on estime qu’ils devraient au moins décupler leurs contributions », déclare Guillaume Compain, chargé de plaidoyer climat de l’ONG Oxfam France.
Selon l’OCDE, à l’heure actuelle, les pays développés ne financent l’adaptation qu’à hauteur d’environ 20 milliards de dollars par an. À l’issue de la COP28, les pays développés se sont engagés à doubler ce financement d’ici 2025. « Les pays doivent produire un rapport avant la prochaine COP pour dire comment ils comptent arriver aux 40 milliards de dollars d’ici 2025″, explique Fanny Petitbon. Puis elle ironise sur le fait que « 40 milliards, c‘est ridicule par rapport aux besoins ». De son côté, Guillaume Compain est sceptique. « On voit très mal comment les pays développés peuvent respecter leurs engagements. En 2021, leurs contributions s’élevaient encore à 20 milliards de dollars. Et ces dernières années, les montants ont à peine augmenté », prévient-il.
La problématique fondamentale concernant le financement de l’adaptation est une décorrélation d’ordre de grandeur. Les pays du Nord concèdent en millions là où il faudrait investir en milliards. Actuellement, rien n’assure que ce nouvel objectif, bien que drastiquement revu à la baisse, soit atteint dans deux ans. En outre, le signal envoyé lors de la COP28 n’invite pas à l’optimisme. « L’objectif du fonds pour l’adaptation cette année était d’obtenir 300 millions. Or, seuls quelques engagements financiers ont été pris, seulement à hauteur de 187 millions de dollars », raconte Fanny Petitbon.
Se montrer à la hauteur de l’adaptation, cap sur la COP29
L’ensemble de ces chiffres restent également très en-deçà des estimations du Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE). Dans son rapport 2023 sur le déficit de l’adaptation au climat (Adaptation Gap report), le PNUE affirme qu’il faudra 387 milliards de dollars par an pour couvrir l’ensemble des besoins d’adaptation. Le sujet de la finance climatique sera central lors de la COP29.
Selon Lola Vallejo, directrice du programme climat de l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI), il faudra prendre en compte que « l’Afrique a besoin d’avoir des réassurances sur le fait que les besoins d’adaptation seront pris au sérieux ». Sans cela, des blocages pourront survenir durant les prochaines négociations. Ronan Dantec assure que cette année à Dubaï, le mécontentement des nations africaines sur les financements a contribué à tendre les négociations au sujet de la sortie des énergies fossiles.
Les pays développés gagneraient également à trouver un mode de financement plus efficace pour l’adaptation pour éviter de trop dépenser en pertes et dommages. « Il faut agir sur tous les volets en même temps : l’atténuation, l’adaptation, les pertes et dommages. Ce sont des vases communicants. Plus on sort des fossiles vite, plus on réduit rapidement les émissions, moins il y a besoin de s’adapter. Et plus on s’adapte, moins il y a de risque de subir des pertes et dommages », explique Fanny Petitbon. Guillaume Compain assure même que « l’un des meilleurs moyens d’éviter de financer les pertes et dommages, c’est d’investir dans l’adaptation ». En fin de compte, après le consensus obtenu au forceps sur les énergies fossiles, c’est la finance climatique et la solidarité internationale qui attendent leur moment historique.