Emmanuel Macron s’est rendu deux jours à Dubaï à l’occasion de la COP28. Le chef de l’État en a profité pour faire plusieurs annonces. Au programme notamment : pertes et dommages et préservation des forêts. Derrière des annonces positives, apparaît en filigrane une position française singulière, pouvant être perçue comme contre-productive.
L’arrivée des chefs d’États a marqué les deuxième et troisième journées de la COP28 à Dubaï. Tour à tour, les dirigeants du monde entier ont formulé leurs vœux de réussite pour ce nouveau rendez-vous climatique mondial. Le roi Charles III a assuré prier « de tout son cœur » pour que cette conférence climat soit un « tournant décisif ». De son côté, António Guterres a tenu à enjoindre les dirigeants à prendre leurs responsabilités. « Il n’est pas trop tard pour stopper la crise climatique. C’est une maladie que vous seuls, dirigeants du monde, pouvez guérir. Le sort de l’humanité est en jeu », a martelé le secrétaire général des Nations unies.
Au milieu d’un florilège de discours au verbe haut, Emmanuel Macron n’a pas fait pâle figure. Au contraire, il n’a pas manqué de partager ses positions en matière de financement des catastrophes climatiques. Premièrement, le président de la République a donné la position de la France sur la question des pertes et dommages. Ensuite, le chef de l’État a évoqué sa politique de coopération internationale pour la préservation de la biodiversité.
100 millions d’euros, oui mais sous conditions
Le président de la République n’a pas manqué de rappeler que toute action liée à l’adaptation, l’atténuation ou la réparation de phénomènes liés au dérèglement climatique impose de poser la question des financements. C’est dans ce contexte que le chef de l’État a annoncé que « la France financera » le fonds pertes et dommages « jusqu’à 100 millions d’euros ». Mais cela ne se fera pas à n’importe quelle condition. Emmanuel Macron est clair : la participation française peut évoluer « en fonction des éléments de gouvernance ». De son côté, Ursula Von Der Leyen, la présidente de la Commission européenne a annoncé que l’Union injecterait 25 millions d’euros dans ce même fonds.
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En promettant d’investir une telle somme, la France devient le premier contributeur du fonds, à égalité avec l’Italie. Mais la bonne nouvelle n’empêche pas le scepticisme. Les ONG se méfient de la conditionnalité à laquelle le chef de l’État semble vouloir soumettre la participation française. « C’est une très belle annonce, mais le diable est dans les détails. Nous sommes étonnés du positionnement de la France qui [est] presque en train de remettre en cause un texte qui a été adopté », déclare circonspecte Fanny Petitbon, responsable plaidoyer de Care France.
Emmanuel Macron soutient que le fonds pertes et dommages doit engendrer une réforme du fonctionnement des assurances et des réassurances. « Nous devons structurer les règles internationales », assure le chef de l’État. Selon lui, ceci est nécessaire pour que les sommes collectées ne servent pas à financer des dommages pouvant être pris en charge par des acteurs privés.
« Vulnérabilité climatique » : deux poids, deux mesures
Le président de la République Macron estime qu’il faudrait distinguer « la vulnérabilité climatique d’îles très pauvres en train de disparaître » et celle « des grands pays touristiques très attractifs qui, lorsqu’ils voient tous leurs formidables hôtels abattus par un ouragan, n’arrivent pas à les réparer ». Emmanuel Macron estime que de telles réparations matérielles ne doivent pas « être financées par le contribuable ». Le chef de l’État insiste sur le fait qu’il est nécessaire que l’indemnisation de dégâts climatiques ne repose pas uniquement sur les fonds publics. En clair, le secteur assurantiel doit assumer sa part de responsabilité. Pour l’y inciter, Emmanuel Macron avance l’idée de la mise en place de « mécanismes de garanties publiques » adossés aux financements privés.
À l’heure actuelle, nul ne sait quelles seront les modalités d’attribution du fonds pertes et dommages. Seule certitude : tous les pays en développement sont éligibles. De plus, un pourcentage fixe des financements sera dédié aux petits États insulaires et aux pays les moins avancés. « Un conseil d’administration sera mis sur pied l’année prochaine. C’est lui qui devra décider quels pays peuvent recevoir en priorité des financements », explique Fanny Petitbon. Cette dernière ajoute que cette nouvelle instance internationale – qui n’a pas encore de nom officiel – devra également expliciter les règles d’accessibilité au fonds des pays à revenus intermédiaires tels que la Libye, les Philippines ou le Pakistan.
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Bien qu’ils ne fassent pas partie des nations les plus pauvres, ces États subissent déjà très fortement les conséquences du dérèglement climatique. Durant la mousson de juillet dernier, le Pakistan a connu de graves inondations. Celles-ci ont engendré des glissements de terrain qui ont provoqué la mort d’au moins 50 personnes. Au même moment à Manille (Philippines), 600.000 personnes ont dû subir des coupures d’eau à cause du phénomène El Niño. La sécheresse a fait baisser de façon critique le niveau du barrage d’Angat, source d’alimentation en eau de cette capitale. En septembre, la Libye a subi la tempête Daniel. Celle-ci a causé de fortes inondations, qui ont provoqué la mort de milliers de personnes.
Emmanuel Macron promet 1 milliard d’euros pour le Bangladesh
Dans tous les cas, des vies humaines sont en jeu. Qu’il s’agisse de déplacements de populations que la montée des eaux rend inévitable ou la survenue d’épisodes catastrophiques soudains. Dans ce contexte, l’un des grands défis du conseil d’administration sera de parvenir à établir des règles équitables, permettant d’aboutir à une « transition internationale et juste », que souhaite Emmanuel Macron. Fanny Petitbon avance que certains pays en développement pourraient accéder au fonds pertes et dommages « si une partie importante de leur PIB est menacée à la suite d’une catastrophe climatique ».
Les propos du président de la République sur la nécessité d’impliquer des acteurs privés et de mettre en place des approches spécifiques pourraient complexifier, voire invalider, l’instauration de règles similaires pour tous les pays éligibles. De plus, Emmanuel Macron martèle que le fonds pertes et dommages « devra aller en priorité vers les pays les plus pauvres ». Or, de nombreux pays du Sud ne partagent pas ce positionnement. Durant la première journée du sommet des chefs d’États, Wavel Ramkalawan, président de la République des Seychelles, a exigé que « toutes les îles soient traitées de la même façon » car toutes subissent « de la même façon les dommages que [les pays développés] ont provoqués ».
En clair, en termes de réponses financières à apporter en cas de catastrophe climatique, Emmanuel Macron préfère les solutions personnalisées aux règles systématiques. C’est pourquoi, en parallèle de la création du fonds pertes et dommages, le président de la République, soucieux d’adopter une « approche spécifique pays », a annoncé le versement prochain d’un milliard d’euros au Bangladesh. Le Fonds monétaire international (FMI) ajoutera à cette somme 1,5 milliard de dollars. Encore une fois, Emmanuel Macron laisse plusieurs ONG écologistes perplexes. « La France annonce verser un milliard sur un accord bilatéral avec un autre pays. Dans le même temps, elle ne met que 100 millions d’euros pour le fonds pertes et dommages. N’est-ce pas déjà décrédibiliser le fonds ? », se demandent plusieurs représentants associatifs présents à Dubaï.
500 millions d’euros pour les forêts, une décision française
Lors de sa venue à la COP28, Emmanuel Macron a également rappelé que la France a conclu d’autres accords bipartites, cette fois pour favoriser la préservation d’espaces forestiers. La France investira 500 millions d’euros durant les quatre prochaines années au titre de la préservation des forêts. La Papouasie-Nouvelle-Guinée et la République du Congo bénéficieront de deux premiers partenariats. Ces États recevront respectivement 100 millions et 50 millions de dollars. La République démocratique du Congo bénéficiera d’un troisième partenariat, pour un montant de 60 millions de dollars. Le président de la République a également indiqué que d’autres collaborations verront le jour avant la COP30 en 2025.
Là encore, le chef de l’État insiste sur la nécessité de ne pas compter uniquement sur l’argent public. Le président de la République estime que le secteur privé doit aussi contribuer à financer la préservation de la biodiversité. « Nous devons emmener beaucoup plus d’argent privé vers les pays qui préservent leurs forêts et leurs écosystèmes », indique le chef de l’État. Il ajoute que cela est nécessaire pour « éviter que des pays pauvres déforestent au profit d’activités économiques plus rentables ».
Emmanuel Macron voit la nature comme une « technologie » de pointe
Pour Emmanuel Macron, il est nécessaire que fonds publics et privés servent à préserver les puits de carbone naturels. « La nature est la meilleure technologie à notre disposition pour capter et absorber du CO2. Quand on sauve les océans et les forêts, on sauve des puits de carbone absolument essentiels, qui dans nos stratégies, nationales ou internationales, jouent absolument un rôle clé », déclare-t-il.
Ces déclarations font écho aux prises de position d’autres chefs d’État. Níkos Christodoulídis, président de Chypre, a rappelé que ces dernières années, plusieurs incendies ont ravagé les espaces forestiers de l’île. Pour lui, il est nécessaire de tout mettre en œuvre pour préserver ces écosystèmes. De son côté, le président brésilien Lula a rappelé son objectif « zéro déforestation » à l’horizon 2030. Cette volonté s’inscrit dans la politique actuelle de préservation de l’Amazonie. En septembre dernier, le Brésil a affirmé que la déforestation a reculé de plus de 22% entre 2022 et 2023.
Devant ses homologues réunis pour la COP28, Lula a été clair : « Si on attend, il sera trop tard pour pleurer ». Si cette remarque fait écho à la position d’Emmanuel Macron, elle ne convaincra peut-être pas le sultan Ahmed al-Jaber. Dans une vidéo révélée par The Guardian, le président de la COP28 et de la compagnie pétrolière Adnoc avance qu’il « n’existe pas de données scientifiques qui indiquent que l’élimination progressive des combustibles fossiles permettra d’atteindre le seuil de 1,5°C ». Après un début de COP en fanfare, ces déclarations peuvent laisser présager d’âpres négociations.