La COP 16 sur la biodiversité qui s’est achevée le 2 novembre en Colombie a entériné la création des crédits biodiversité, inspirés des crédits carbone. Des États comme la France soutiennent qu’il est possible de créer un outil efficace en s’inspirant des erreurs du passé. Mais de nombreuses organisations refusent le principe de compensation, craignant que cela légitime la destruction d’espaces naturels.
Faut-il « vendre la nature pour la sauver » ? L’expression date des années 2000, et vient de Kathleen MacAfee, professeur en relations internationales à l’Université d’Etat de San Francisco. Elle critiquait ainsi les initiatives de compensation écologiques comme les crédits carbones, qui ont montré au fil des années de nombreux défauts. Une enquête publiée en janvier 2023 par The Guardian, Die Zeit et SourceMaterial dévoilait par exemple que 90 % des compensations carbones dans les forêts tropicales menées par le plus grand organisme de certification étaient « sans valeur ».
S’inspirer des erreurs du passé
C’est une proposition inspirée de ces crédits carbones qui a été adoptée à la COP 16 de Cali : les crédits biodiversité qui pourraient attirer des investissements privés pour des projets de conservation et de restauration. L’idée de leur création a été entérinée il y a deux ans par l’accord de Kunming-Montréal signé à la COP 15. Plus précisément, la cible 19 les présente comme des « systèmes innovants » pouvant mettre à contribution les entreprises dans la protection de la biodiversité. Car les besoins financiers sont colossaux : l’objectif visé par les pays signataires de la Convention internationale sur la biodiversité est de mobiliser 200 milliards de dollars par an de financements publics et privés pour inverser la courbe de l’érosion de la biodiversité.
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Pendant la COP 16 de Cali, une initiative franco-britannique, le Comité consultatif international sur les crédits biodiversité (IAPB), a présenté le 28 octobre un « Cadre pour des crédits biodiversité à haute intégrité ». Le but affiché : s’inspirer des erreurs des crédits carbones pour construire un outil financier qui marche et protège réellement la biodiversité.
Deux principes de précaution
Contacté, le ministère de la Transition Ecologique, qui soutient la proposition, présente deux principes fondamentaux que devraient respecter ces crédits. « Il y a d’abord l’aspect local, c’est-à-dire que la compensation doit se faire sur un espace près de l’acteur qui achète le crédit biodiversité. Cela permet d’éviter l’impossibilité de traçabilité observée pour les crédits carbones qui s’échangent sur des marchés internationaux. Le deuxième principe est que le crédit doit correspondre à un type d’écosystème similaire à celui endommagé. »
Malgré ces précautions, un grand nombre d’ONG ne semblent pas convaincues par un tel système. Dès le 2 octobre, plus de 270 organisations de la société civile et des universitaires avaient publié une lettre ouverte pour affirmer leur opposition à tout type de systèmes de crédits et de compensation biodiversité, mentionnant des « risques importants pour l’environnement, les populations autochtones, les femmes, les jeunes, les petits producteurs et les communautés locales. »
Contribuer plutôt que compenser ?
Dans The conversation, l’économiste de l’environnement au Cirad Alain Karsenty souligne que créer des outils financiers sur le principe de compensation peut entraîner de nombreux problèmes, car « le greenwashing sera difficilement évitable », et qu’« on sait que toutes les destructions occasionnées ne seront pas compensables. » En écho à cette critique, le comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a dans un communiqué invité à « ne pas envisager les crédits biodiversité dans le cadre de mécanismes de compensation ».
Pour l’organisation de protection de la nature, il faudrait privilégier la création de « certificats biodiversité ». Cet outil financier permettrait d’assurer que l’argent aille sur des projets de préservation d’écosystèmes ou de pratiques vertueuses, plutôt que de compenser une destruction d’espaces naturels sur un autre territoire. L’ONG WWF, mais aussi un partenariat entre le Muséum National d’Histoire Naturelle, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité et le cabinet de conseil Carbone 4 proposent des initiatives similaires. La distinction entre crédits biodiversité et certificats biodiversité n’est cependant pas pour le moment au centre des discussions de la COP 16 de Cali, qui s’achève, s’il n’y a pas de retard dans les négociations, ce vendredi 1er novembre.