Laura Verdier, ingénieure conseil en environnement depuis quinze ans, publie son livre « Sols pollués – Menaces sur les populations et la biodiversité », aux éditions Dunod (144 p., 19 €). Ce livre appelle à reconsidérer en urgence cet espace oublié de la politique. Entretien.

Pourquoi y a-t-il urgence à parler de la pollution des sols ?
Laura Verdier : L’urgence est dans les risques sanitaires pour les gens qui vivent sur, ou aux alentours de ces sols pollués. Elle est aussi sur le fait qu’aujourd’hui, les sols ne sont pas du tout préservés. À la Cop26, on parle beaucoup du climat, de plus en plus de la biodiversité, et c’est une très bonne nouvelle. Mais il y a d’autres thématiques environnementales qui sont complètement abandonnées, et qui se retrouvent presque reléguées à la deuxième place. Or, il n’y a pas de raison qu’elles soient reléguées à la deuxième place. Même si on change la donne pour le climat, mais que l’on vit sur des terres totalement polluées, on ne vivra pas dessus bien longtemps.
Pour les humains, les risques majoritaires sont les cancers. Quand vous habitez sur un sol, vous respirez l’air qui est passé par ce sol pollué. Ce sont souvent les vapeurs des sols qui polluent le plus, et qui vont se retrouver dans une pièce. Les pièces vont alors être remplies de cet air pollué que l’on va respirer. Après, cela peut aussi passer par les plantes que vous mangez, la terre que vous allez toucher, et bien sûr l’eau qui est passée par ces sols et qui sera consommée. Par rapport à la biodiversité, il n’y a juste plus de biodiversité sur les sols extrêmement pollués. Il existe aussi des contre-exemples intéressants, avec des espèces qui sont devenues endémiques de la pollution.
Comment expliquer que la pollution des sols est aujourd’hui laissée de côté?
Il y a deux clés pour expliquer ce phénomène. La première est une raison financière. Aujourd’hui, on sait que dépolluer des sols c’est ce qui coûte le plus cher. Ça coûte beaucoup plus cher que de dépolluer l’eau ou l’air. Il n’y a rien qui coûte plus cher que de dépolluer des sols. Ça demande une ingénierie qui n’est pas négligeable en termes de matériel et de moyens humains. La preuve, quand la ministre de l’environnement a été auditionnée par le sénat justement, elle a commencé par dire: ça va être trop cher. Ça montre un peu l’ampleur du sujet.
L’autre raison pour laquelle la pollution des sols est ignorée c’est parce que les gens ne voient pas les sols. On voit l’eau qu’on boit, on arrive de plus en plus à voir, et à se rendre compte de l’air qu’on respire. Par contre, il y a une vraie invisibilité du sol. Il est là pour être utilisé, lui marcher dessus, pour l’exploiter. Il n’y a pas la notion de respect et de préservation. On est beaucoup plus dans l’utilisation.
Dans votre livre vous expliquez que la loi est presque inexistante sur le sujet. Que faudrait-il mettre en place?
Il faut y aller. Le Parlement doit voter des lois. Il faut qu’on mette des budgets qui soient votés dans les commissions budgétaires, pour qu’on puisse enfin mettre des moyens financiers et des moyens humains sur ce sujet.
La grande loi sur les sols, que j’espère tellement, devrait contenir plusieurs volets. Il faudrait des définitions, pour savoir qu’est-ce qu’un sol, qu’est-ce qu’une pollution et pourquoi on doit protéger nos sols. Il faudrait aussi y inscrire le droit du sol à ne pas être pollué, le droit des habitants à l’information sur la pollution des sols. En plus, il faudrait une méthodologie nationale de dépollution des sols.
Aujourd’hui, tout est écrit, mais n’est pas dans la loi. Depuis une bonne dizaine d’années, il existe un guide national de dépollution des sols, mais il n’a aucune valeur légale. On ne voit visiblement pas l’intérêt de lui en donner. Il n’y a aucune contrainte légale sur la manière de dépolluer un sol en France. Ça parait complètement fou.
Aujourd’hui, il y a pourtant énormément de choses qui sont faites, et il y a plein d’acteurs de la dépollution. Il y a un marché, des gens qui travaillent là-dessus, mais personne ne travaille avec un cadre juridique. Il y a quelques normes, parce qu’il existe un organisme d’État qui accrédite les bureaux d’études qui font de la dépollution, mais ce n’est pas fait sur des bases légales.
Est-ce que les industriels bloquent la mise en place d’une législation sur la dépollution des sols?
Ce n’est pas leur intérêt. On a toujours tendance à dire qu’il y a un lobbying industriel qui ne doit pas vouloir avoir des réglementations. C’est faux puisque les industriels sont les premiers à en souffrir. C’est ce que j’essaie d’expliquer dans le livre, ce n’est pas tout noir ou blanc.
Pour un industriel, le fait de ne pas avoir de cadre légal, c’est très insécurisant. Il prend des décisions en se demandant en permanence dans quel sens va aller l’évolution. Il n’en sait rien, puisque pour l’instant il n’y a rien dans les textes, il n’y a rien nulle part.
Après il y a deux clans. D’un côté, on trouve ceux qui sont très sérieux dans leurs démarches, et qui vont dans les meilleures pratiques disponibles en se disant que c’est la meilleure manière de se protéger. De l’autre, il y a ceux qui jouent avec les règles puisqu’il n’y a pas de loi. Il ne vont pas dépolluer, mais plutôt cacher la pollution ou ne pas en parler, puisqu’ils n’ont pas l’obligation de le faire.
Aujourd’hui en France, il n’est donc pas obligatoire de déclarer une pollution des sols?
Tout à fait. Il faut comprendre qu’aujourd’hui, quand vous découvrez une pollution des sols, vous n’avez pas l’obligation de la déclarer. Ça veut dire que vous pouvez trouver la pollution chez vous, vous la regardez, vous la mettez dans un coin, vous faites ce que vous voulez avec. Vous n’avez pas l’obligation de la déclarer. C’est complètement aberrant.
Quand j’expliquais ça aux sénateurs, ils n’y croyaient pas. Un politique ne peut pas croire une chose pareille. Pendant la commission, je pense qu’il ont vraiment compris l’enjeu du sujet. Derrière, il y a eu une proposition de loi, tout ce que je pouvais souhaiter était dedans. Elle a été présentée et votée par le Sénat.
Quand on présente le sujet de manière objective, tous les bords politiques arrivent à être d’accord. C’est aussi ça que je voulais montrer dans le livre. Si un communiste arrive à être d’accord avec un membre des Républicains, avec quelqu’un du Parti Socialiste, et avec un centriste, c’est que vraiment il n’y a pas de discussion sur le bien-fondé de la chose. Il faut dépolitiser le sujet, c’est du bon sens. Mais cette proposition de loi a été rejetée par l’Assemblée Nationale.
Si pour l’instant il n’existe aucune obligation de déclarer un sol pollué, il est donc impossible de connaître l’ampleur des dégâts?
On a aujourd’hui beaucoup d’informations publiques. On a des bases de données qui recensent les pollutions liées à l’activité militaire par exemple. Il y en a d’autres sur les pollutions radioactives. Il y a plein de bases de données, on recense tout zazimut, mais tout ça n’est absolument pas centralisé. Derrière on n’a qu’une seule base de données des sites qu’on considère vraiment comme pollués. Celle-ci n’est remplie qu’à partir de ce que sait l’administration.
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Or, si on revient à ce qu’on disait, il n’y a aucune obligation à déclarer une pollution. Donc l’État n’est au courant de rien. Il n’est au courant que des gens gentils, qui sont allés voir leur administration pour dire qu’ils avaient un terrain pollué. Cette base de données est aussi alimentée par les inspecteurs de la DREAL [Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement], mais ils sont en sous-effectifs.
Souvent, on se dit qu’il faut une loi, mais si il n’y a pas de moyens mis par l’État sur ce sujet, et qu’il n’y a personne pour la faire respecter, cette loi ne sert à rien. Pour l’instant on a seulement une réglementation européenne, pour quelques industries, cela doit représenter 1.000 sites en France, qui doivent avoir un contrôle de leurs sols tous les dix ans. Il faudrait que ce soit le cas pour toutes les industries de France.
Quelles solutions existe-t-il pour dépolluer les sols?
On sait par exemple que les plantes peuvent absorber les métaux, et il est donc possible de créer ce qu’on appelle une phytoremédiation. On va planter des végétaux sur des zones très polluées, et ces derniers vont pouvoir absorber les métaux. La plante est ensuite coupée, puis brûlée. C’est une manière douce de dépolluer les sols. En ce moment c’est un peu vu comme la méthode miracle, mais ça ne marche pas tout le temps, ce n’est que dans certains cas de figure.
Il existe plein d’autres possibilités. Pour dépolluer les sols, il existe aussi des méthodes physico-chimiques. On place dans les sols des câbles d’injection, puis on fait monter en pression la terre. Les gaz qui s’en échappent sont récupérés, et l’air est traité. Il est possible d’obtenir le même résultat, non plus grâce à la pression mais grâce à la température. C’est une méthode extrêmement utilisée. Il y a aussi des dépollution dites biologiques aussi, surtout utilisées dans le cas de pollution aux hydrocarbures. On mélange des bactéries à la terre et elles font leur job en mangeant les hydrocarbures.
Toutes ces procédures sont extrêmement chères, et ne sont pas du tout démocratisées. Pourtant cela permettrait de créer des emplois non délocalisables. On sait faire, maintenant il faut des gens et des politiques pour porter ces sujets-là. On a l’opportunité de le faire aujourd’hui, et il ne faut pas rater cette occasion.
Natura Sciences : Pourquoi avoir décidé d’écrire ce livre sur la pollution des sols?
Je n’avais jamais pris le temps de m’arrêter sur ma pratique professionnelle pour me dire qu’il y avait urgence à faire bouger les lignes. L’élément déclencheur a été le fait d’être auditionnée par une commission d’enquête du Sénat il y a un an. À cette occasion j’ai ouvert les yeux sur l’incompréhension du sujet par les politiques et les citoyens. C’est mon métier depuis quinze ans, j’avais l’impression que tout le monde le savait, mais je me suis rendue compte, avec les demandes des sénateurs, qu’en fait on partait de zéro. On n’avait pas de conscience par rapport à ces sujets-là. Juridiquement je savais bien qu’il y avait un vide, mais politiquement il y avait aussi un vide.
Propos recueillis par Ouns Hamdi