La fédération des spiruliniers de France s’attache à défendre un modèle de production local de la spiruline en France. Elle monte au créneau contre la spiruline bio d’importation qui inonde le marché français. Explications.
« La spiruline a été classée dans les algues marines par le règlement européen définissant la production biologique, ce qui est une erreur, car il ne s’agit pas d’une algue, mais d’une cyanobactérie, un microorganisme aquatique vivant grâce à la photosynthèse », observe Amandine Leruste-Calpena, chargée de mission Recherche et développement à la fédération des spiruliniers de France (FSF). « En plus, la spiruline se développe principalement dans des eaux saumâtres riches en nutriments, comme les lacs et cratères volcaniques », ajoute-t-elle. Ce classement par le Règlement n°2021/1165 rend difficile la certification AB de la spiruline produite en France, sauf à importer des engrais azotés minéraux. En effet, aucun intrant produit en Europe ne répond aujourd’hui efficacement à ce cahier des charges, selon la FSF.
Représentant entre 60 et 70 % des producteurs suivant les années, avec environ 130 adhérents, la FSF accompagne le développement de la filière depuis 2009. Elle aide notamment les spiruliniers à mieux produire, en lien avec des pratiques proches de l’agriculture biologique.
Une question d’azote pour faire pousser la spiruline
La spiruline contient entre 59% et 65% de protéines, selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Et pour construire les protéines, il faut de l’azote. Toutefois, le classement en tant qu’algue marine pour la réglementation bio ne permet pas l’utilisation de pratiques qui ont fait leur preuve, estiment les professionnels.
Amandine Leruste-Calpena explique : « Le principal frein à une large certification de notre spiruline est la restriction d’utilisation de nourriture uniquement à l’azote minéral d’origine végétale. Les intrants synthétiques, ou d’origine animale produits en économie circulaire, par valorisation de déchets agricoles tels que le fumier, ne sont pas autorisés en production bio pour la spiruline. »
Cela ne fait pas l’affaire du producteur français de spiruline ou du producteur de phycocyanine (le pigment bleu de la spiruline) qui utilise le plus souvent de l’urée granulaire, un engrais de synthèse. « L’urée est synthétisée à partir d’ammoniac, lui-même obtenu à partir de l’azote atmosphérique, et de CO2, par une réaction à chaud et sous pression, détaille Amandine Leruste-Calpena. Il a l’avantage d’être pur et entièrement consommé par la spiruline et transformé en protéines. »
Elle s’insurge : « La FSF et ses partenaires techniques ont testé de nombreux intrants azotés compatibles avec le cahier des charges de l’agriculture biologique, fabriqués à partir de végétaux. Malheureusement, seulement deux d’entre eux ont permis d’obtenir une spiruline de qualité sanitaire satisfaisante à notre connaissance. Ils sont fabriqués à partir de soja importé d’Amérique latine et de canne à sucre d’origine thaïlandaise. La Commission européenne devrait bientôt autoriser des produits à base de nitrates du Chili, une source d’azote minérale naturelle qui a montré son efficacité pour la production de spiruline. Malgré tout, son origine lointaine et son extraction posent aussi des problèmes éthiques et écologiques. »
Le refus d’importer de l’azote minéral
Yannick Lopez, producteur de la spiruline de l’Essen’Ciel dans les Hautes-Alpes confirme cette difficulté. Alors qu’il conduit le reste de sa ferme en agriculture bio et certifiée AB, il a fait le choix de ne pas se tourner vers la spiruline biologique. Lui qui produit environ 300 kg de spiruline paysanne par an explique son choix : « La spiruline étant un être vivant qui se nourrit uniquement de minéraux, il convient d’adapter la réglementation de l’agriculture biologique à cette production. Or pour obtenir la certification bio actuellement, il faut ainsi avoir une source d’azote minéral naturel ou d’origine organique… Aussi, nous sommes face à des aberrations : le soja ou la canne à sucre -qui sont avant tout des aliments- subissent un process industriel pour obtenir de l’azote minéral afin de répondre au cahier des charges bio. »
Il poursuit : « Aussi, je préfère utiliser de l’urée, qui n’est pas issue de cultures alimentaires d’Amérique Latine ou d’ailleurs et qui répond très bien aux besoins nutritifs de la spiruline. Nous avons en Europe et en France, des usines capable d’obtenir cet azote minéral pur… Le jour, où nous aurons vraiment trouvé un azote minéral d’origine organique européen voire français ayant une consommation d’énergie grise faible et répondant à des exigences sociales et environnementales , nous pourrons alors nous engager dans cette démarche de certification bio. »
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Une spiruline bio majoritairement importée
Le règlement européen permet l’importation de spirulines produites hors Europe grâce aux « régimes d’équivalences ». Ces régimes permettent aux importateurs de vendre en France pour des spirulines produites hors Europe, selon des cahiers des charges locaux, estampillées du label bio AB européen.
Avec une consommation totale estimée à environ 500 tonnes en France, la spiruline cultivée à l’étranger inonde le marché français. « L’ensemble de nos adhérents produisent environ 45 tonnes », partage Amandine Leruste-Calpena. Et le choix de l’engrais n’est pas anodin, puisque pour cette production, « nous avons estimé la quantité d’azote à apporter pour nos adhérents à environ 34 tonnes », ajoute-t-elle. À savoir que les engrais ayant des compositions variables, les quantités à utiliser dépendent de leur concentration en azote.
« Aujourd’hui les produits importés de Mongolie, d’Inde, de Madagascar ou des États-Unis inondent le marché. Ces produits bénéficient de régimes d’équivalence qui leur permettent d’afficher le logo AB malgré des procédés de production industriels peu accessibles. Ces méthodes de production industrielles et le coût de la main d’œuvre dans ces pays leur permettent d’inonder le marché avec des produits beaucoup moins chers », regrette Amandine Leruste-Calpena. Sauf mention explicite « Agriculture France » ou « Cultivée en France », la spiruline labellisée AB est donc en très grande majorité une spiruline d’importation.
Une production locale, bio ou les deux ?
Un agriculteur français peut passer au bio grâce à des engrais importés. Mais très peu passent le cap. En effet, la fédération travaille encore à la recherche de sources azotées bio produites en France. « Sur nos 130 adhérents, à notre connaissance, une dizaine produisent en bio et un est en conversion, car la certification était incontournable pour des raisons économiques, assure Amandine Leruste-Calpena. La spiruline paysanne française, nous la considérons écologique, principalement parce qu’elle est très économe en énergie et en eau, et que les producteurs mettent tout en œuvre pour valoriser des procédés de production durables, une nutrition raisonnée. » Pour sa part, Yannick Lopez refuse toute certification AB tant qu’il n’y aura pas d’évolution de la réglementation européenne. Et ce, d’autant plus que « la seule différence entre une spiruline bio et paysanne, c’est l’origine de l’azote minéral… », assure-t-il. Si cette différence est tout de même de taille, ce n’est pas la seule. Les spiruliniers bio doivent en effet répondre à un cahier des charges précis et subissent des contrôles par un organisme certificateur.
En France, la spiruline est produite dans des bassins sous serre, basée sur la reproduction des conditions naturelles de vie de la cyanobactérie. La spiruline se développe dans de l’eau douce enrichie en nutriments et en sels minéraux : azote, carbone, phosphore, potassium, magnésium, fer, oligo-éléments (zinc, cuivre, …). La chargée de mission Recherche et développement à la fédération des spiruliniers de France l’assure : « La spiruline française est écologique, car elle est cultivée de mars à octobre en conditions naturelles, le milieu n’est ni éclairé ni chauffé artificiellement. Sa culture nécessite uniquement les nutriments nécessaires au métabolisme de la spiruline. » Mais bien que la fédération veuille la présenter comme « écologique » , cela ne veut pas dire qu’elle soit « biologique », puisqu’elle est cultivée avec des engrais de synthèse.
La fédération attend depuis 2017 une réponse de la Commission Européenne à ses demandes d’amendements pour faire évoluer les critères de sélection des intrants acceptés par le règlement européen. Elle espère notamment un jour pouvoir utiliser des intrants azotés, fabriqués à partir de digestats de méthanisation et des déchets de type fumier et lisier.