Le soja peut avoir de nombreux bienfaits pour notre organisme, mais cette légumineuse contient également des phyto-œstrogènes. Des molécules agissant comme des œstrogènes et qui peuvent alors perturber notre système endocrinien. Décryptage.
Depuis quelques années, le soja se répand dans les rayons des supermarchés. Boissons végétales, steaks, galettes, tofus ou yaourt… cette légumineuse se décline désormais sous toutes les coutures. Si bien qu’elle s’est progressivement, et massivement, invitée dans les assiettes des Français. D’après le baromètre Sojaxa, association pour la promotion des aliments au soja, 67% des Français ont consommé des produits contenant du soja en 2019. Ils n’étaient que 41% en 2014. Or, manger du soja n’est pas anodin car cette légumineuse peut avoir des impacts sur nos organismes. Et cela peut impacter la santé au quotidien.
Phyto-oestrogène et fausse information pour notre organisme
Les bienfaits du soja ont fait l’objet de nombreuses publications. Pauvre en cholestérol et en sucre, cette plante est riche en oméga-3 et oméga-6. Des acides gras qui ont des effets favorables pour notre système immunitaire, artériel et cardiaque. Le soja est également riche en fibres et en protéines, ce qui le rend attractif pour les végétariens et flexitariens. « Oui sur le papier le soja a un nutri-score magnifiques. Mais s’il est tellement bon d’un point de vu nutritionnel, et s’il est arrivé jusqu’à nous, c’est parce que ce soja s’est protégé de ses prédateurs. Si il ne s’était pas défendu, il aurait disparu de la surface de la Terre », explique Catherine Bennetau-Pelissero, professeure responsable du parcours plantes à valeur santé et biomolécules d’intérêt à l’Université de Bordeaux.. Pour se protéger, le soja a donc développé tout un arsenal de molécules. Des substances qui l’ont rendu peu comestible en réalité. « C’est d’ailleurs pour cela qu’on ne le consomme pas cru, mais toujours cuit », précise la professeure Catherine Bennetau-Pelissero.
Parmi ces éléments, il est possible de retrouver des phyto-œstrogènes. « Ce sont des molécules d’origine végétale qui ont des propriétés œstrogéniques », explique-t-elle. En d’autres termes, le soja possède des molécules qui agissent comme les hormones féminines. Parmi les phyto-œstrogènes que contient le soja, on retrouve notamment les isoflavones. Catherine Bennetau-Pelissero souligne que « ces molécules agissent avec tous les récepteurs aux œstrogènes qu’on connaît à ce jour, et qui sont présents aussi bien chez les femmes que chez les hommes, et chez les enfants ». Ces isoflavones du soja vont donc pouvoir se lier aux récepteurs qui accueillent normalement des œstrogènes. Une fausse information à laquelle va réagir le corps, comme si l’hormone était réellement présente.
Dérèglement du cycle menstruel et spermatozoïdes altérés
Des effets en cascade se déroulent alors dans l’organisme. « On a montré des effets œstrogéniques notamment sur les cycles menstruels des femmes », rapporte la professeure. Pour cause, ces phyto-œstrogènes vont perturber la production d’autres hormones, FSH et LH, qui participent au processus de menstruation. Ces deux hormones également présentes chez l’homme, entrent dans le processus de fabrication des spermatozoïdes. « On a des données qui nous montrent que plus on prend de phyto-œstrogènes, plus le risque d’avoir des spermatozoïdes altérés, et des quantités de spermes inférieures à la norme augmente », précise-t-elle.
Chez les enfants, la consommation de soja n’est pas non plus sans conséquences. En mangeant des substances avec du soja, les jeunes enfants consomment eux aussi des phyto-œstrogènes. « Quand vous allez apporter aux petites filles des phyto-œstrogènes, des organes qui n’auraient jamais dû être exposés aux œstrogènes à ce moment là, vont y être confrontées. Cela va favoriser l’apparition de fibromes, perturber des cycles, ou encore favoriser les pertes sanguines anarchiques à l’âge adulte », alerte Catherine Bennetau-Pelissero.
Pour les personnes atteintes d’hypothyroïdie, la consommation de soja reste à contrôler. « Il est médicalement déconseillé de consommer du soja si l’on est sous traitement avec le Levothyrox. Les isoflavones du soja peuvent interférer, notamment en diminuant la production d’hormones thyroïdiennes. Le problème sera aggravé pour les personnes en hypothyroïdie », explique la professeure. Cette légumineuse pourrait également agir dans le cas d’autres maladies, comme les cancers du sein oestrogéno-dépendants. « On a encore peu de données, mais on a toutes les raisons de penser qu’on aggrave le problème avec la consommation de soja. Si la plante peut avoir des effets protecteurs sur la glande mammaire seine, la Haute Autorité de santé (HAS), recommande aux femmes qui ont ce type de cancer de ne pas manger de soja », rappelle-t-elle.
Mauvais traitement du soja
La cuisson détruit pourtant plusieurs molécules du soja. « Hélas, ces phyto-œstrogènes y résistent. Il faut vraiment faire tremper les graines de soja dans l’eau pour s’en débarrasser », précise la chercheuse. Cette légumineuse est pourtant largement consommée depuis des années en Asie. « Là-bas, on faisait tremper le soja pour justement se débarrasser de ces phyto-œstrogènes. Mais les Occidentaux ont développé des recettes qui ne le font pas. Il faut normalement faire tremper les graines, les faire blanchir, dans une première eau qu’il faudra ensuite jeter. Ensuite, il faut les mettre dans l’eau froide, puis la jeter. Là vous aurez déjà perdu des isoflavones, il ne vous en restera plus qu’un dixième de la quantité de départ. Mais chez les industriels aujourd’hui, par exemple, l’eau de cuisson n’est pas jetée. Elle est conservée pour faire le lait de soja par exemple. Les protéines texturées de soja, à ce jour, ne voient pas l’eau de tout leur processus de fabrication », alerte Catherine Bennetau-Pelissero. Ce sont justement ces protéines texturées, regorgeant encore de phyto-œstrogènes, que l’on retrouve dans les steaks, saucisses et autres nuggets de soja de nos supermarchés.
Problème : le client connaît rarement la quantité de soja contenue dans ce qu’il consomme, encore moins la teneur en phyto-œstrogènes. À aucun moment, les emballages des produits ne mentionnent cette information. « De plus, la concentration en phyto-œstrogène dépend du mode de préparation. Et même au sein d’une même catégorie d’aliments, et notamment les galettes de soja, on peut avoir des variations assez importantes. Tout dépend de si le soja a été trempé dans l’eau cinq minutes ou dix minutes », souligne la professeure. La chercheuse souhaiterait donc que les industriels puissent fournir les valeurs d’isoflavones de leur production. « On l’avait déjà demandé en 2005. Si les industriels ne l’ont pas fait, c’est qu’ils n’avaient sans doute pas envie de le faire ».
Limiter sa consommation en produits contenant du soja
Aujourd’hui, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) recommande de ne pas dépasser 1 mg d’isoflavones par kilo et par jour. Soit 60 mg pour un adulte de 60kg. Interrogé par UFC- Que choisir, l’organisme a reconnu que ces valeurs ne font pas référence. « [Nos] derniers travaux sur les isoflavones datent de l’Étude de l’alimentation totale (EAT) infantile de 2016. […] Dans ce contexte, la précédente limite maximale de 1 mg/kg/jour retenue pour l’ensemble des aglycones, des isoflavones et des coumestanes (différentes formes possibles de phytoœstrogènes, ndlr) ne semblait plus suffisamment protectrice », peut-on lire. Pour l’instant, aucune valeur toxicologique de référence n’existe. « D’après les dernières études, je conseille plutôt de se limiter à 0,33 mg par kilo et par jour », préconise Catherine Bennetau-Pelissero.
UFC – Que Choisir s’est également basé sur ce chiffre pour mener son étude comparative. Ainsi, il en faut peu pour dépasser ces préconisations. L’association stiupe que « 100 g de tofu nature de Céréal bio correspondent à deux fois l’apport maximal en isoflavones que nous jugeons acceptable », ou encore « une tasse (25 cl) de jus de soja de la même marque équivaut à trois fois l’apport maximal pour un enfant ». Les chiffres grimpent vite, et un seul produit peut suffire à dépasser, bien plus que nécessaire, les apports en phyto-œstrogènes.
À cela s’ajoutent tous les produits qui contiennent du soja ou des protéines de soja, sans pour autant qu’elle ne soit mise en avant. « À titre d’exemple, une portion de Mini boulettes au bœuf d’Auchan fournit 68 % de l’apport maximal admissible pour un enfant », d’après UFC – Que Choisir. Catherine Bennetau-Pelissero rappelle que « ces aliments transformés ou ultra-transformés ne sont pas à recommander, car ils contiennent de nombreux additifs, de sucre, de gras et ces phyto-œstrogènes qui peuvent être néfastes pour notre santé ». Elle recommande de « ne pas dépasser un produit contenant du soja par jour« .
Ouns Hamdi
« C’est d’ailleurs pour cela qu’on ne le consomme pas cru, mais toujours cuit »
Cette professeure ne mentionne pas le soja cru lacto-fermenté comme le tamari ou shoyu, le miso, le tempeh, le natto, dont certains contiennent encore plus d’œstrogènes.
Il vaut mieux éliminer le soja cru de son alimentation, c’est vrai, mais c’est en fait le cas de pratiquement toutes les légumineuses et les oléagineux comme la cacahuète, la noix et la graine de lin, même si le haricot vert et le flageolet se « défendent » moins bien des prédateurs. Donc, si vous savez que le germe de soja n’est en fait pas du tout du soja mais du haricot mungo, il ne faut pas crier victoire, il contient également des œstrogènes…
Les préparations traditionnelles longues plutôt qu’industrielles n’éliminent d’ailleurs pas que les isoflavones solubles à l’eau, mais aussi l’acide phytique qui bloque l’assimilation du phosphore. Cet acide est toutefois beaucoup plus présent dans le pain complet à la levure que dans le soja. Là encore, la fermentation traditionnelle du pain au levain détruit cet acide phytique.
En France, l’apport en œstrogènes est sans doute des dizaines de milliers de fois supérieur à partir des produits lactés et carnés (tous les élevages tournent au tourteau de soja ou de protéagineux) que de la consommation directe du soja (une étude serait bienvenue). Les œstrogènes sont à éviter ou réguler quelque soit leur origine, végétale ou animale, car il s’agit en fait de stéroïdes, qui n’ont pas un impact anodin sur le développement des fœtus et des enfants, qui en reçoivent généralement déjà suffisamment.
Cela dit, comme tout ce qui concerne l’alimentation, le bon équilibre est dans la dose, il vaut mieux varier son alimentation au quotidien que consommer en excès un ingrédient particulier, surtout un « super-aliment » à la mode dans les « réseaux ». 100 grammes de tofu n’ont bien évidemment aucune incidence sanitaire s’il s’agit d’un plat exceptionnel dans la semaine. Le fait que 67 % des Français ont consommé « du soja » dans l’année, n’a strictement aucune pertinence dans cette discussion, ce sont surtout la quantité et la fréquence de tous les œstrogènes cumulés et de chaque type précis d’œstrogène qui comptent, pas juste le soja.