L’association Terres de luttes et le cabinet de conseil BL Évolution ont passé en revue 65 projets d’infrastructures. Le but : évaluer leur impact sur la transition écologique. Après analyse, les deux organisations relèvent des incohérences notoires dans de nombreux secteurs.
Comment concilier nouvelles infrastructures et transition écologique ? Extension d’aéroports, constructions d’autoroutes, de méga bassines agricoles, de fermes usines, d’entrepôts industriels, ou encore de centres commerciaux. Ces projets, en cours dans l’ensemble de l’Hexagone, impliquent l’artificialisation de terres, l’exploitations de matériaux et génèrent des émissions de gaz à effet de serre. Soucieuse d’évaluer leur impact écologique, l’association Terres de luttes a commandé une étude inédite au cabinet de conseil BL Évolution. Cette dernière, intitulée « Projet local, impact global« , porte sur 65 projets, représentatifs des quelque 400 identifiés sur le territoire. Elle révèle que la réalisation de ces ouvrages est en inadéquation avec les objectifs écologiques et climatiques que la France doit atteindre d’ici 2030, puis 2050.
Pour évaluer l’impact écologique de ces projets, BL Évolution s’est intéressé à trois facteurs : leurs besoins en terres, en matériaux et les émissions de CO2 qui leur sont inhérentes. L’objectif initial du cabinet était de s’assurer que ces réalisations ne compromettent ni la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), ni l’objectif de Zéro artificialisation nette (ZAN) à l’horizon 2050. Pour cela, les 65 projets passés au crible ont été répartis en quatre catégories, du vert au noir.
Extension d’aéroports, un frein à la transition écologique
La première catégorie désigne les projets totalement compatibles avec la transition écologique. BL Évolution n’en a répertorié aucun. L’étude indique que la quatrième tranche, quant à elle, pointe les projets qui génèrent « un surplus important de consommation de ressources, d’espace ou d’émission de gaz à effet de serre (GES) ». Le cabinet de conseil en compte huit. Deux d’entre eux se trouvent en Guyane : les mines Espérance à Apatou et la Montagne d’or. À eux deux, ces projets impliquent l’artificialisation de 800 hectares de terres et généreraient 23 millions de tonnes de GES en trente ans.
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Les six autres concernent tous le secteur des transports. Il s’agit de l’extension des aéroports de Nice, Nantes, Marseille et Lille ainsi qu’un contournement autoroutier à Rouen et une nouvelle route du littoral à La Réunion. Une fois réalisés, ces six projets émettront 80,7 millions tonnes de GES sur 30 ans.
Entrepôts industriels incompatibles avec la transition écologique
Face à l’ampleur des ces chiffres, plusieurs associations écologistes réclament l’abandon des projets. « D’un point de vue écologique, l’extension des aéroports n’a pas lieu d’être. La décarbonation de l’aviation ne sera qu’infime. Il faudrait trouver des modes de transports alternatifs plutôt que d’encourager les gens à continuer de prendre l’avion », déclare Charlène Fleury, membre de NADA Lille. Également porte-parole d’Alternatiba, elle fustige au même titre la construction d’entrepôts industriels destinés au commerce d’Amazon. Elle déplore le fait que « de telles infrastructures encouragent de fait des pratiques qui entrent en contradiction totale avec la transition écologique ».
Anna Tubiana, membre du collectif SOS Oulala, suit un raisonnement similaire au sujet des projets autoroutiers. « On entend souvent que la construction d’une route répond à un besoin de mobilité. En réalité, ce n’est pas le cas. C’est la route qui crée le trafic, et non l’inverse », assure-t-elle.
Agroécologie contre plastique
D’autres projets interrogent les associations écologistes dans le secteur agricole. Sur les 30 projets que BL Évolution classe rouge, sept concernent la création de fermes usines ou de méga bassines. Cette classification indique que si de façon isolée ces infrastructures ne posent pas de problème, elles ne peuvent pas pour autant être des modèles de transition. « L’ensemble des projets similaires n’est pas compatible avec les objectifs de transition écologique », précise l’étude.
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Au total, ces sept projets seraient à l’origine de l’émission de plus 1,2 million de tonnes de GES en 30 ans. Pour Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines Non Merci, nombre de ces projets n’ont pas lieu d’être car d’autres solutions existent. Ce dernier assure que « des solutions d’agroécologie pourraient remplacer des bassines » de rétention d’eau. Il ajoute que « ces alternatives basées sur la nature permettent d’éviter d’utiliser de plastique » pour imperméabiliser les cuves.
Davantage d’études d’impact
En tout état de cause, les résultats de cette étude montrent que la transition écologique n’est que trop partiellement prise en compte dans les chantiers de construction. « Nous bâtissons mois après mois, année après année, les conditions de notre échec à atteindre les objectifs fixés en termes de baisse des émissions de GES et de ZAN », déplore Charles-Adrien Louis, co-gérant de BL Évolution.
De son côté, Chloé Gerbier, juriste et cofondatrice de l’association Terres de luttes, réclame davantage d’études d’impact. « Elles ne permettront pas d’améliorer les projets, mais elles permettront de clarifier leur nature auprès de la population », affirme-t-elle. De plus, la militante estime que l’État doit clarifier et renforcer les objectifs de la SNBC. Cette dernière rappelle que « les différents plans du gouvernement demeurent insuffisants pour limiter le réchauffement climatique ».
Chloé Gerbier pense également qu’une clarification des objectifs en termes de transition écologique serait une aide précieuse pour les territoires. L’ensemble des associations réunies à l’occasion de la sortie de cette étude considère que l’existence de ces projets d’infrastructures est la preuve d’une décorrélation entre intérêts économiques et écologiques encore trop prégnante au niveau politique.