L’Organisation maritime internationale (OMI) a adopté en juin et en novembre plusieurs mesures de lutte contre la pollution causée par l’industrie du transport maritime. Mais pour les organisations environnementales, elle n’est pas allée assez loin. Le transport maritime représente actuellement 2% à 3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Le transport maritime représente actuellement 2% à 3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, selon l’Institut supérieur d’économie maritime (Isemar). C’est plus que le transport aérien. Pour lutter contre la pollution causée par l’industrie du transport maritime et réduire ses émissions de gaz à effet de serre, l’Organisation maritime internationale (OMI) a adopté en juin et en novembre une série de mesures. L’organisme qui dépend de l’ONU tenait alors ses 76ème et 77ème Comité de la protection du milieu marin (MEPC), un cycle de cinq jours de réunions qui traite des questions environnementales à l’OMI.
Efficacité énergétique et intensité carbone
La première mesure adoptée en juin porte sur la mise en place de critères spécifiques d’efficacité énergétique, basés sur le type et la taille des navires existants. Elle est comparable à celle déjà en vigueur pour les navires neufs. Ainsi, l’OMI attribuera aux navires une notation individuelle de leur intensité carbone réelle. Elle sera calculée selon le rapport entre la consommation du navire et la distance qu’il a parcouru. La note ira de A à E. Elle sera basée sur les performances de l’année précédente, en référence à des seuils qui seront abaissés d’année en année.
La deuxième mesure fixe le pourcentage de réduction de l’intensité carbone des navires d’ici au 31 décembre 2030. Ainsi, l’OMI s’est engagée à garantir une réduction de 40% de l’intensité carbone de l’industrie qu’elle encadre d’ici 2030 par rapport 2008. Cependant, l’organisation limite la réduction de l’intensité carbone à 11% entre 2023 et 2026. Une révision de la mesure en 2025 permettra de fixer de nouvelles valeurs pour les années 2027-2030. L’OMI a aussi adopté une interdiction d’utiliser et de transporter du fioul lourd pour les navires qui traversent les eaux arctiques. Cette interdiction se fera progressivement entre 2024 et 2029.
Pour Damien Chevallier, le représentant permanent adjoint français auprès de l’OMI qui réagit auprès de l’AFP, le résultat est « très décevant ». La France poussait en effet pour que la réduction de l’intensité carbone atteigne 22% et non 11%. « Le paquet de « mesures d’efficacité énergétique à court terme » visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre adopté est pratiquement inutile« , a lancé John Maggs, conseiller de l’ONG Seas at Risk, contacté par l’AFP.
Le carbone noir pris en compte a minima
Vendredi dernier, à l’issue du 77ème MEPC, l’OMI a avancé sur le sujet du carbone noir. Le carbone noir est le nom donné aux particules polluantes provenant notamment du fioul lourd qui propulse les navires. Il se retrouve sur la calotte glaciaire de l’Arctique et contribue à l’accélération de sa fonte.
La résolution finale « encourage les États membres à commencer à s’attaquer à la menace que représentent les émissions de carbone noir« . Elle « les prie instamment, ainsi que les exploitants de navires, d’utiliser des carburants de substitution (et non du fioul lourd, ndlr) lorsqu’ils opèrent dans l’Arctique ou à proximité« .
L’ONG Clean Arctic Alliance a salué cette décision dans la foulée mais a exprimé sa déception « sur un texte édulcoré, vidé de sa substance afin d’atteindre un consensus et d’apaiser un petit groupe de pays opposés qui se font entendre« . L’association pointe du doigt la Russie, la Chine, l’Inde, le Japon, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et l’Angola sont pointés du doigt par . C’est un « premier pas« , a reconnu Sian Prior, conseiller principal de Clean Arctic Alliance.
Pas de fonds dédié à la recherche et au développement
Plusieurs organisations internationales du transport maritime portaient depuis fin 2019 le projet de créer un fonds pour l’innovation. Il aurait été financé par une taxe sur le carburant afin de conduire des projets pour réduire l’empreinte carbone du secteur. Mais l’OMI a écarté la création de ce fonds dédié à la recherche et développement. La Chambre internationale du transport maritime (ICS), qui dit représenter 80% de la flotte marchande mondiale, a regretté dans un communiqué publié vendredi une « occasion manquée« .
« Les mesures prises lors de cette session sont vraiment importantes, surtout après la COP26« , s’est par ailleurs félicité le secrétaire général de l’OMI Kitack Lim en conclusion du MEPC 77. « Il sera crucial de renforcer l’ambition de la stratégie initiale de l’OMI en matière de gaz à effets de serre« , a-t-il estimé, un sujet débattu au cours de la semaine mais reporté au prochain MEPC.
Le carburant au cœur des mesures de l’OMI
« La très grande majorité des navires utilisent du fioul lourd (HFO). Il a l’avantage d’être pas cher et détaxé », explique Camille Valero. Cette juriste en droit maritime travaille à l’Institut supérieur d’économie maritime (Isemar). Lors de la combustion du HFO, différents types de pollution atmosphérique sont générés. Les polluants les plus dangereux pour l’environnement sont le dioxyde de carbone (CO2), les oxydes d’azote (Nox) et les oxydes de soufre (SOx).
La Convention MARPOL (Marine Pollution) de l’OMI a pour but la prévention de la pollution provenant des navires. Elle est composée de 6 annexes. C’est l’annexe VI qui réglemente la prévention de la pollution de l’air causée par les navires, entrée en vigueur en 2005. En juin dernier, l’Argentine est devenu le 100ème pays à ratifier cette annexe. L’OMI indique que les réglementations de l’annexe VI s’applique désormais à 96,65% de la flotte marchande.
Depuis le 1er janvier 2020, l’OMI a établi une nouvelle limite de quantité de soufre par kilogramme de carburant. Une limite fixée à 5000 mg par kg de carburant lourd. Plusieurs régions du monde sont également désignées par l’OMI comme Zones de Contrôle des Emissions de Soufre (SECAs). Dans ces zones, les taux autorisés de particules de soufre sont considérablement plus bas (1000 mg par kg). Il existe aujourd’hui quatre SECAs : la mer Baltique, la Mer du Nord, les Côtes américaines et canadiennes, et les Îles Américaines du Pacifique.
La gestion des eaux de ballast
Une autre convention de l’OMI concerne le contrôle et la gestion des eaux de ballast. Les eaux de ballast assurent la stabilité d’un navire. « Il y a des cales au fond des bateaux que l’on remplit d’eau de mer. Lorsqu’un navire voyage à plein, ces cales sont vides. On les remplit quand il n’y a plus de cargaison, afin d’assurer la stabilité du navire« , explique Camille Valero. Les eaux contenues dans ces cales s’appellent les eaux de ballast.
Le déversement des eaux de ballast peut créer des perturbations de biodiversité : « Imaginons qu’un navire remplit ses cuves de ballast dans l’Océan Indien et les déverse ensuite dans l’Océan Atlantique. Peut-être qu’il y a des micro-organismes marins propres aux eaux indiennes qui vont coloniser les eaux pacifiques« , explique Camille Valero.
Pour répondre à ce problème, l’OMI a établi la Convention internationale pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et sédiments des navires (Convention BWM). Elle est entrée en vigueur en 2017. La convention exige que les navires vident leurs eaux de ballast dans des zones éloignées des côtes. Elle stipule aussi les quantités maximales d’organismes autorisées dans ces eaux pour que les navires aient le droit de les déverser. 85 pays ont signé cette convention, ce qui représente 91% de la flotte mondiale.
L’OMI édicte des règles, les États les appliquent
Si l’OMI établit certaines règles dans le cadre de ses conventions, il appartient aux États de les appliquer. Sébastien Lootgieter est avocat et membre de l’association française du droit maritime. Il revient sur le processus de mise en œuvre des mesures de l’organisation. « L’OMI établit ces règles, mais il faut que les États les traduisent dans leur droit pour établir des sanctions« , explique Sébastien Lootgieter.
Les pays n’ont pas d’obligation d’appliquer ces règles . « Il n’y a pas de temps imparti pour traduire les règles de l’OMI dans la législation nationale. On n’est pas à l’abri qu’un État décide de ne pas mettre en œuvre les règles de l’OMI« , ajoute l’avocat spécialisé en droit maritime. Mais il tempère: « un État n’a aucune obligation d’adopter les conventions de l’OMI. S’il en adopte une, c’est normalement pour la traduire dans sa législation.«
En droit français, c’est le code de l’environnement qui fixe les sanctions. Dans sa section consacrée à la pollution par les rejets des navires, il fait directement référence à la convention Marpol. En novembre 2018, la France a poursuivi un navire de croisière pour avoir utilisé un carburant trop riche en soufre. Elle a condamné le capitaine de l' »Azura » et son armateur à payer une amende de 100 000 euros. Le capitaine a fait appel du jugement. L’affaire judiciaire est encore en cours.
Jérémy Hernando avec AFP
Bravo pour cet article : à la fois clair et complet !