À la veille de l’ouverture du Salon de l’agriculture, le gouvernement publie ses premiers projets de textes d’application pour le plan Loup 2024-2029. Ces documents répondent-ils aux demandes des éleveurs ou des associations de protection ? Depuis son retour en France en passant par les Alpes, ce canidé divise. Début septembre, l’Office Français de la Biodiversité a dénombré 1.104 loups en métropole en 2023. Ce chiffre est-il une bonne nouvelle pour cette espèce protégée en Europe ou signe-t-il la fin du pastoralisme ? Analyse.
Le Salon de l’agriculture s’ouvre ce samedi 4 février à Paris et se déroulera jusqu’au dimanche 3 mars. Suite aux manifestations des agriculteurs de ce début d’année, la tension est palpable. Dans ce contexte, les ministères de la Transition écologique et de l’Agriculture publient trois premiers textes d’application relatifs au plan Loup 2024-2029. Entre associations de défense du loup et éleveurs, le contenu de ces documents divise.
Le 7 septembre dernier, l’Office Français de la Biodiversité (OFB) annonçait sa nouvelle estimation du nombre de loups en France : ils seraient 1.104 en métropole. Un chiffre revu à la hausse par rapport à l’estimation provisoire de 906 individus présentée début juillet. Les chiffres de 2022 ont également été mis à jour, dénombrant en réalité 1.096 loups sur l’ensemble du territoire et non 926. La hausse en un an serait donc de 0,73%. Faut-il s’en féliciter ou s’en inquiéter ? Pour Lorène Jacquet, responsable Campagnes et Plaidoyer à la Fondation Brigitte Bardot (FBB), même si la hausse est légère, “ces données sont évidemment une bonne nouvelle pour la conservation de cette espèce protégée qui demeure cependant vulnérable”. Mais les avis sur cette question sont parfois plus nuancés, tant chez les partisans du loup que du pastoralisme.
2.500 à 5.000 loups pour atteindre une population viable
L’association FERUS, qui milite pour la cohabitation des grands prédateurs et des troupeaux domestiques, voit dans ces chiffres un ralentissement dans la croissance des populations. “La croissance est quasi-nulle alors qu’il y a 4-5 ans, nous constations un taux de croissance de 12%” précise Sandrine Andrieux, chargée de communication chez FERUS. Ce taux de 12% était “déjà bien en-deçà d’un taux de croissance [“normal”] pour une espèce en pleine expansion comme le loup” ajoute-t-elle.
Le Conseil National de protection de la Nature (CNPN) rappelle, dans son avis du 24 mai 2023, qu’une population ne reste viable qu’à partir de 500 adultes potentiellement reproducteurs. Le plan national loup 2018-2023, fixe quant à lui un objectif de 500 loups, tous individus confondus. “Nous n’aurions donc pas encore atteint le seuil de viabilité de la population” explique le CNPN. En effet, selon l’association FERUS, une population de 2.500 à 5.000 loups est nécessaire pour compter 500 individus potentiellement reproducteurs. Avec seulement 1.104 loups, la France resterait donc loin du compte.
Encadrer la cohabitation loups/troupeaux
Afin de gérer la cohabitation entre les loups et les éleveurs, la France a lancé, dès 2018, son Plan National d’Actions 2018-2023 sur le Loup et les Activités d’Élevage. Rédigé par les ministères de la Transition Écologique et Solidaire ainsi que de l’Agriculture et de l’Alimentation, il avait “pour objectif d’élaborer une nouvelle méthode de gestion de l’espèce, fondée sur une meilleure connaissance de l’espèce et de ses modes de vie, pour mieux la protéger et permettre également la protection des troupeaux et des éleveurs” selon le communiqué des ministères. En effet, personne ne nie le fait que les attaques de loups sur les troupeaux existent. Cependant, ce sont les méthodes de gestion de ces incidents qui posent question.
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Ce plan national loup, s’étalant sur cinq ans, prend donc fin. Le 18 septembre dernier, le gouvernement a dévoilé la nouvelle version de ce plan pour la période 2024-2029. Ce plan était très attendu, tant par les protecteurs du loup que pour les défenseurs du pastoralisme. Selon le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, ce nouveau plan se veut “basé sur la science, adaptatif, qui rééquilibre et qui a pour ambition de protéger le loup et les éleveurs avec une dimension humaine qui est absolument structurante”.
Le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires précise les grands axes de ce plan. “Nous sommes sur un plan national d’actions avec quatre grands enjeux”. Tout d’abord, améliorer les méthodes de comptage afin de mieux évaluer les populations de loups. Ensuite, mieux gérer, “c’est le sujet de la science, de la connaissance au niveau européen et qui peut potentiellement ouvrir la question du changement de statut du loup, si la science le dit”. Puis, mieux protéger, c’est-à-dire renforcer la protection des troupeaux et s’adapter en fonction des territoires. Enfin, mieux accompagner les éleveurs au niveau des indemnisations et des démarches.
Le loup, une menace inévitable pour le bétail ?
Le 4 septembre dernier, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, déclarait que les meutes de loups devenaient un véritable problème. « La concentration de meutes de loups dans certaines régions d’Europe est devenue un véritable danger pour le bétail et, potentiellement, pour l’homme » expliquait-elle dans un communiqué. Suite à cela, la Commission européenne s’est donnée jusqu’au 22 septembre afin de récolter des “données actualisées sur les populations de loups et leurs impacts”. L’analyse de ces données conduira à une proposition pouvant potentiellement modifier le statut de protection du loup.
Face à cette déclaration, l’association FERUS dénonce “des propos gravissimes et un message négatif pour la conservation de la biodiversité”. A contrario, dans une tribune, le député Renaissance du Sud-Aveyron, Jean-François Rousset, affirme son soutien à la déclaration de la présidente de la Commission Européenne. Selon lui, et ses 26 cosignataires, “la réintroduction de ces grands prédateurs rend la cohabitation avec les activités pastorales extrêmement difficiles et dans certains cas, disons-le, invivable”. D’après le député, les attaques de loup seraient en hausse et atteindraient “aujourd’hui plus de 4.000 attaques par an dans plus de 53 départements”. Selon FERUS, ces chiffres peuvent être surestimés, car ils représentent les attaques attribuées au loup.
Si l’existence d’attaques de loups est indéniable, il est, par exemple, souvent difficile de distinguer les attaques de loups et celles de chiens divagants. Ces attaques, d’origine incertaine, peuvent donc venir gonfler les chiffres des dommages assignés au loup. Selon le Ministère de la Transition Écologique, bien que le nombre de loups ait doublé, le nombre d’attaques est resté stable. « La stabilité du nombre d’attaques par rapport aux années précédentes, malgré l’augmentation de la population lupine, traduit les efforts de protection mis en œuvre par les éleveurs avec le soutien du Gouvernement » détaille le ministère.
Quelles mesures prendre contre les attaques de loups ?
“Malgré l’esprit de responsabilité et les efforts consentis par les éleveurs et toutes les contraintes associées – chiens de protection, filets, bergers recrutés, tirs de défense –, les dommages sur leurs troupeaux ne cessent de s’accroître, et ont même explosé ces dernières années” détaille la tribune de Jean-François Rousset. Dans ce contexte, le député appelait à ce que le plan national loup 2024-2029 devienne “un plan de préservation du pastoralisme”. Avec l’objectif de procédures de tirs simplifiées annoncé par les ministères, ce plan loup s’axe donc sur la protection des troupeaux.
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En effet, ce 23 février 2024, le gouvernement a publié les trois premiers projets de textes d’application du PNA. Ceux-ci contiennent un arrêté cadre sur les tirs, une instruction technique aux préfets en matière de gestion de la réponse à la prédation lupine sur les activités d’élevage et un arrêté relatif aux barèmes d’indemnisation des dommages subis par les élevages. Ces documents prévoient plusieurs mesures permettant de faciliter la défense des troupeaux. Le gouvernement cite notamment l’accélération des procédures de délivrance des autorisations de tir ou la revalorisation des barèmes d’indemnisation. Par exemple, les autorisations de tirs de défense dès la première attaque pour les troupeaux bovins, équins et asins. Délivrée par les préfets, cette autorisation se base sur la “non-protégeabilité” de ces troupeaux, selon le communiqué de presse.
Au contraire, les associations de défense du loup s’opposent à ce message. FERUS, notamment, déplore les mesures avancées dans ces textes d’application. Selon l’ONG, la construction de ce plan et de ces textes s’est faite “malgré notre alerte, malgré les travaux du Groupe National Loup et malgré les avis négatifs du Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN) et du Conseil Scientifique”. “L’État n’a donc tenu aucun compte des avis scientifiques et a ignoré les conclusions des deux consultations publiques. Au contraire, ce plan contient des affirmations mensongères ainsi que de nombreuses inexactitudes, en particulier sur l’état de conservation de l’espèce en France, le bilan des dommages et les difficultés de l’élevage et du pastoralisme”, affirme-t-elle dans un communiqué.
La population de loup a doublé tandis que les attaques sur les troupeaux ont stagnées
Selon la Fondation Brigitte Bardot (FBB), le nombre d’attaques de loups sur les troupeaux est au plus bas depuis 2018. Cependant, “aujourd’hui nous n’avons aucune garantie sur la bonne mise en œuvre des mesures de protection des troupeaux et les tirs sont souvent utilisés en première intention, au mépris de la réglementation européenne”, ajoute-t-elle. En effet, la FBB explique que l’Europe n’autorise les tirs d’abattage qu’en dernier recours. L’association FERUS rappelle également que “l’Italie et l’Espagne ont mis un terme à leur politique de tirs en constatant leur inefficacité. Seule la France maintient un niveau élevé de tirs : 200 loups peuvent être abattus cette année alors même que la population donne des signes de faiblesse…”.
Pour les ministères de la Transition Écologique et de l’Agriculture, le changement du plafond de tirs n’est pas pour l’instant à l’ordre du jour. “Si la science nous indique que la population est capable de supporter un plafond plus élevé, dans ce cas-là, nous pourrons l’augmenter. Et inversement, si nous observons une dynamique en baisse de la population, nous pourrons aussi diminuer ce plafond. Toutes ces mesures doivent s’adapter au fur et à mesure” détaillent-ils.
Des tirs d’effarouchement plutôt que d’abattage
L’association FERUS déplore l’usage abusif des tirs létaux et rappelle “que les scientifiques (rapport 2017 OFB / MNHN) ont alerté sur le trop grand nombre de tirs de loups pour garantir la conservation de l’espèce à long terme”. En effet, “quelle que soit la densité de ces proies naturelles, les tentatives de prédation sur le bétail persistent, essentiellement du printemps à l’automne”, rappelle l’association. Ainsi, même si les loups se nourrissent principalement de grands ongulés sauvages, des attaques de loups sur du bétail restent inévitables.
Pour diminuer ces attaques, l’association milite pour l’usage des tirs d’effarouchement plutôt que des tirs d’abattage. Ceux-ci ont pour objectif de blesser ou d’effrayer le prédateur une fois qu’il s’est trop rapproché du troupeau. Ainsi, ils “ont un effet instructif sur le loup, qui n’existe pas avec les tirs létaux” explique Sandrine Andrieux. FERUS appelait le plan national loup 2024-2029 à mettre en place plusieurs mesures pour préserver les loups et les troupeaux. Notamment, “une réduction des tirs létaux, un retour aux tirs d’effarouchement, et l’utilisation des fonds sur les moyens de protections [plutôt que d’éradication]”.
Le plan 2024-2029 s’est cependant axé sur la simplification des démarches pour les tirs d’abattage. En particulier, “l’instruction technique aux préfets accélère les procédures de délivrance des autorisations de tir (maximum 48h après attaque) ainsi que le déploiement des louvetiers (sous 48h si une autorisation est déjà accordée, 72h si une nouvelle autorisation est nécessaire)”, précise le communiqué de presse. Face à ces décisions, “alors que ce PNA devrait garantir la bonne conservation de l’espèce en France tout en assurant le soutien et l’accompagnement du pastoralisme, il n’est fait mention que des impacts négatifs de la présence du loup et pas des bénéfices qu’elle apporte, notamment en ce qui concerne la régulation des populations de grands ongulés nécessaire au bon fonctionnement des écosystèmes forestiers. »
Le retour du loup, une bonne nouvelle pour la biodiversité
Bien qu’il soit un superprédateur, c’est-à-dire d’un prédateur se trouvant au sommet de la chaîne alimentaire, la présence des loups dans un espace peut être un véritable plus pour la biodiversité. “Le retour du loup est une chance pour les écosystèmes. A contrario, la disparition des grands prédateurs et la gestion historique en faveur de la chasse de loisir ont permis une augmentation artificielle des populations d’ongulés sauvages, lesquels peuvent poser des problèmes en termes de cohabitation avec l’humain”, explique la Fondation Brigitte Bardot.
En effet, la présence d’un super prédateur permet de réguler les populations de grands herbivores. Elle cause ce qu’on appelle une “cascade trophique”, un mécanisme traduisant la manière dont la prédation se répercute sur l’ensemble de l’écosystème. Ce phénomène s’est par exemple produit après la réintroduction du loup gris au Yellowstone National Park aux États-Unis en 1995.
L’arrivée des loups a poussé les grands herbivores, précédemment sans prédateur, à modifier leurs comportements. Ils ont par exemple commencé à éviter certaines zones où le terrain est propice aux loups lors de la chasse. En conséquence, la végétation de ces zones se régénère et rajeunit puisqu’elle n’est plus en surpâturage. Cette nouvelle végétation attire de nouveaux animaux (oiseaux, petits mammifères, etc…) qui y trouvent refuge. Enfin, les carcasses laissées par les loups et les proies nouvellement arrivées sur le territoire attirent d’autres prédateurs et charognards. Ainsi, l’arrivée des loups favorise le développement d’une biodiversité animale et végétale.
La FBB rappelle également que “comme tout prédateur naturel, le loup ne fait pas disparaître ses proies. En effet, il régule les populations sauvages de cervidés sans pour autant les faire disparaître, sans quoi il disparaîtrait lui aussi”. De retour en métropole depuis les années 1990, le loup gris est une espèce protégée en Europe. En France, le Réseau Loup-Lynx, de l’OFB, se charge du suivi de la santé des populations de loups. Ses 4.500 correspondants, composés à 55% d’agents de l’État et à 45% de particuliers et bénévoles, s’occupent de la récolte d’informations “fiables et robustes” sur tout le territoire, explique l’OFB.