Le prochain rapport du GIEC est prévu pour 2029. Cependant, les groupes de travail commencent déjà à préparer de nouveaux modèles du système Terre qu’ils utiliseront pour leurs recherches. Et le nouvel algorithme du professeur Samar Khatiwala pourrait bien changer la donne.
Le rendez-vous est fixé. Le GIEC publiera son septième rapport dans cinq ans, en 2029. La date butoir peut paraître lointaine. Cependant, les chercheurs des différents groupes de travail sont déjà en train de préparer leurs modèles du système Terre (ESM). Ces modèles sont les principaux outils utilisés pour étudier le dérèglement climatique et anticiper son évolution. Et ils ont besoin d’une longue phase de préparation avant de pouvoir être utilisés.
En effet, afin d’étudier les effets des activités humaines sur le climat, les ESM ont besoin d’intégrer plusieurs processus physiques, chimiques ou encore géologiques complexes. Cette phase de préparation permet d’atteindre un état d’équilibre correspondant aux conditions préindustrielles. Le modèle est alors représentatif de notre planète à cette ère. Dans une étude publiée le 1er mai 2024 dans Science Advances, les chercheurs de l’Université d’Oxford, menés par Samar Khatiwala, professeur au département des sciences de la terre, présentent un nouvel algorithme qui permet de réduire ce temps de préparation.
Une phase de préparation indispensable
L’étape de préparation est indispensable au bon fonctionnement des modèles. « Sans cette période initiale de stabilisation, appelée phase de « spin-up », le modèle peut « dériver », simulant des changements qui pourraient être attribués à tort à des facteurs d’origine humaine », précise le communiqué de l’étude. Celle-ci dure actuellement entre plusieurs mois et jusqu’à deux ans pour certaines simulations du GIEC. « Même sur certains des supercalculateurs les plus puissants au monde, une seule simulation de spin-up prend généralement au minimum plusieurs mois de temps de calcul, explique Samar Khatiwal. Des modèles incluant des composants tels que les sédiments marins nécessitent encore beaucoup plus de temps ». Cette durée « empêche les chercheurs en climatologie de faire fonctionner leur modèle à une résolution plus élevée et de définir l’incertitude en réalisant des simulations répétées », ajoutent les chercheurs de l’étude.
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L’algorithme du professeur Samar Khatiwala se sert d’une approche mathématique appelée accélération d’Anderson. Elle a été créée par le mathématicien D.G. Anderson dans les années 1960 pour accélérer la résolution de l’équation de Schrödinger. Cette méthode est aujourd’hui largement utilisée pour calculer la structure des atomes. Pour les ESM, cette méthode réduit le temps de préparation « de plusieurs mois à moins d’une semaine », précise le communiqué. « Lors de tests sur les modèles utilisés dans les simulations du GIEC, l’algorithme était en moyenne 10 fois plus rapide pour mettre en place le modèle que les approches actuellement utilisées », ajoutent les chercheurs.
Un algorithme en moyenne dix fois plus rapide
Avec ce nouvel algorithme, les chercheurs auront donc la possibilité d’utiliser un même modèle plusieurs fois lors d’une même étude. Cela leur permettra, par exemple, de comparer les résultats de deux simulations utilisant des paramètres légèrement différents. « Réduire au minimum la dérive du modèle à un coût beaucoup plus faible en temps et en énergie est évidemment crucial pour les simulations sur le changement climatique, mais peut-être que la plus grande valeur de cette recherche sera finalement pour les décideurs politiques qui ont besoin de savoir dans quelle mesure les projections climatiques sont fiables », explique Samar Khatiwala.
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Dans cette étude, l’accélération d’Anderson est appliquée à deux modèles biogéochimiques océaniques, typiques de ceux incorporés aux ESM. Déjà, dans une étude datant de 2023, le professeur Khatiwala a montré que cette méthode « pourrait accélérer de 10 à 25 fois la convergence vers l’équilibre d’une grande variété de modèles géochimiques océaniques ». De plus, et « bien que l’étude actuelle se concentre sur l’océan, les résultats préliminaires suggèrent que cette approche peut également être appliquée à des modèles terrestres complexes », ajoute le professeur. Selon l’étude, cette méthode est entièrement une « boîte noire ». C’est-à-dire qu’elle peut être appliquée à différents modèles sans prendre en compte leurs différents fonctionnement internes. Ainsi, cela « la rend facilement applicable aux nombreux modèles utilisés dans les évaluations climatiques », précisent les chercheurs.
Une découverte précieuse pour le prochain rapport du GIEC
Dans l’optique du rendu du septième rapport du GIEC, les différents groupes de recherche commencent à préparer leurs modèles. Selon le communiqué de l’étude, le professeur Khatiwala travaille déjà avec plusieurs centres de modélisations pour tester son algorithme. « Développer un nouvel algorithme est la partie facile. Convaincre les autres de l’utiliser est souvent le plus grand défi. Il est donc prometteur que le Met Office britannique et d’autres centres de modélisation climatique l’expérimentent », s’enthousiasme-t-il dans The Conversation.
Cette nouvelle méthode est chaudement accueillie par ces centres. Comme l’affirme le professeur Colin Jones, responsable de la modélisation du système terrestre financée par le NERC/Met Office. « Le spin-up a toujours été prohibitivement coûteux en termes de coût computationnel et de temps. Les nouvelles approches développées par le professeur Khatiwala promettent de briser cette impasse et d’apporter un bond en avant dans l’efficacité du spin-up de ces modèles complexes, et, par conséquent, d’accroître considérablement notre capacité à fournir des estimations fiables et opportunes du changement climatique mondial », explique-t-il.
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Pour la professeure Helene Hewitt (OBE), co-présidente du Panel du Projet de comparaison de modèles couplés (CMIP), les résultats de cette étude sont importants. Le CMIP a pour but de rassembler les données les plus récentes sur les modèles climatiques mondiaux. Celles-ci servent ensuite de base aux rapports du GIEC. « Les décideurs comptent sur les projections climatiques pour éclairer les négociations alors que le monde tente de respecter l’Accord de Paris. Ce travail est une étape vers la réduction du temps nécessaire pour produire ces projections climatiques critiques », se félicite la professeure Helene Hewitt.