Qualifiées par les ONG écologistes de « nouveaux OGM », les Nouvelles Techniques Génomiques (NTG) font débat en Europe. Alors que l’Union européenne discute d’un assouplissement des réglementations pour ces nouvelles techniques, la nature même des NTG interroge. OGM 2.0 ou « équivalents des végétaux conventionnels » ? Le sujet divise.
Depuis juillet 2023, les Nouvelles Techniques Génomiques (NTG) font beaucoup parler d’elles en Europe. La Commission européenne avait alors proposé d’instaurer une réglementation assouplie pour ces méthodes en les différenciant des OGM « classiques ». « L’idée est d’apporter aux agriculteurs de nouveaux outils pour développer des plantes utilisant moins de pesticides, mieux adaptées au changement climatique car moins gourmandes en eau ou plus résistantes aux sécheresses », argumentait-elle.
La proposition de la Commission consiste à classer les NTG en deux catégories. Les plantes de catégorie 1 seraient considérées comme « équivalentes à des plantes obtenues naturellement ou par sélection conventionnelle ». Elles ne seraient alors pas soumises aux réglementations prévues pour les OGM. Celles de catégorie 2 y resteraient quant à elles soumises.
Une proposition qui divise
Face à cette proposition, l’Agence française de sécurité sanitaire environnementale (Anses) a émis un avis en décembre 2023. D’après l’Anses, ce texte doit être clarifié et ses termes mieux définis. « L’Agence note l’absence de définition de ce qu’est un végétal conventionnel, avec lequel la comparaison doit pourtant être faite. L’Anses appelle aussi à clarifier les définitions de plusieurs termes, comme la notion de ‘site ciblé’ […] ou encore les notions de ‘matériel génétique’ ou ‘pool génétique des obtenteurs' », détaille-t-elle. L’avis critique également les critères d’inclusion dans la catégorie 1 proposés par la Commission européenne. Les NTG « peuvent conduire à des modifications des fonctions biologiques des plantes » non prises en compte dans la proposition européenne, et potentiellement « induire des risques pour la santé et l’environnement », précise le document.
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Le 7 février 2024, la proposition de la Commission a été approuvée à une courte majorité par le Parlement européen. Toutefois, depuis décembre, le texte bloque au Conseil de l’Union européenne. Différents États émettent notamment des doutes quant à l’absence d’étiquetage ou encore le manque de traçabilité pour la première catégorie. « Nous avons fait passer beaucoup d’amendements qui seront autant de garde-fous. Mais je ne peux pas dire que le texte est équilibré: la méthode scientifique permettant de définir les NTG catégorie 1 est un point essentiel qui n’a pas été tranché dans le bon sens », a déploré l’eurodéputé social-démocrate Christophe Clergeau. Selon David Clarinval, ministre belge de l’agriculture, les négociations n’auront pas le temps d’aboutir durant ce mandat législatif. Les discussions autour des NTG ne se concluront donc qu’après les prochaines élections européennes des 6 au 9 juin prochains. Le débat autour de ces technologies est ainsi toujours en cours.
NTG et OGM : qu’est-ce que cela signifie ?
Selon l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), « les OGM ‘traditionnels’ sont obtenus par transgenèse. Dans ce cas, un gène nouveau originaire d’une autre espèce végétale, voire même issu d’une bactérie ou d’un animal, est introduit. L’introduction est aléatoire – on ne maîtrise ni où ni combien de fois – et la plante conserve des marques de cette opération ». Étant donné que l’échange de gène se passe entre deux espèces incompatibles sexuellement, la transgénèse ne pourrait se produire naturellement. Depuis 2001, les OGM sont réglementés en Europe. Il est nécessaire d’obtenir une autorisation afin de les commercialiser. Ils sont également soumis à une surveillance, une traçabilité et un étiquetage après leur arrivée sur le marché. La proposition de la Commission européenne vise donc à soustraire certains NTG de ces obligations.
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D’après le ministère de l’agriculture, les NTG sont pour leur part des « techniques permettant de modifier le matériel génétique d’un organisme qui ont émergé ou se sont principalement développées depuis 2001 ». Les NTG sont difficiles à définir précisément car les méthodes qu’elles utilisent sont multiples. Cependant, contrairement aux OGM « traditionnels », la majorité des NTG échangent du matériel génétique entre deux individus d’une même espèce ou d’espèces compatibles. Les mutations alors obtenues pourraient techniquement se produire naturellement.
OGM 2.0 ou « équivalents des végétaux conventionnels » ?
Les défenseurs des NTG s’appuient sur l’argument des mutations indifférenciables du naturel. Ainsi, ils affirment que certaines NTG ne doivent pas être considérées comme des OGM. Les ONG écologistes, comme Greenpeace ou France Nature environnement ne sont pas de cet avis. « Cet argument est infondé. La Directive européenne 2001/18 définit un ‘organisme génétiquement modifié (OGM)‘ en se basant sur la technique à travers laquelle il a été créé. Selon la loi, il s’agit d’un ‘organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle.‘ (Article 2.2) », détaille l’ONG. Selon cette définition, les NTG seraient donc bien des OGM, explique Greenpeace.
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Du point de vue de Fabien Nogué, généticien moléculaire à l’Inrae, les NTG restent un outil efficace en recherche génétique. « Si une mutation est possible via NTG […], il n’y a aucune raison de penser qu’elle ne puisse pas être obtenue par une mutation spontanée ou naturelle », explique-t-il lors d’un webinaire organisé par l’association des journalistes de l’environnement (AJE). Isabelle Goldringer, chercheuse à l’Inrae et spécialiste de la sélection variétale et de la génétique des cultures, continue cette pensée. « Il n’y a pas de consensus entre scientifiques, au sein de l’Inrae et même en dehors, sur les NTG. Le propos n’est pas de dire que nous sommes pour ou contre les NTG, elles sont une technique. […] Ce que nous mettons en débat, par contre, c’est la proposition de les déréglementer complètement et de ne plus évaluer une certaine catégorie des plantes issues de NTG. De ne pas les étiqueter, de ne pas les tracer et donc de déployer massivement ces plantes issues de NTG dans les champs, dans les filières, dans les assiettes sans évaluation », précise-t-elle.
Les NTG seraient bien des OGM selon la définition européenne
Selon Greenpeace, la définition des OGM de la directive européenne s’applique également aux NTG. « C’est la technique utilisée qui amène invariablement aussi bien des effets attendus qu’inattendus, y compris des changements imprévisibles de l’ADN et de son fonctionnement. Cela peut compromettre la sécurité sanitaire et environnementale des produits finaux », explique l’ONG. En effet, les NTG permettent de cibler et modifier des parties spécifiques du génome. Elles peuvent même apporter des mutations impossibles à différencier de mutations naturelles. Il existe tout de même le risque d’apparition de mutations non-désirées, dites « hors-cibles ». « Dans les faits, le risque d’apparition de ces off-targets est très faible. Même s’il croît avec le nombre de gènes édités présents dans la même plante », explique l’Inrae. Cependant, ce genre de modification « pourrait avoir par exemple un effet délétère sur la plante ou sur l’environnement », ajoute Isabelle Litrico, cheffe du département Inrae Biologie et amélioration des plantes.
D’après Isabelle Goldringer, les NTG tombent bien sous la définition des OGM. « Pour nous, ils vont dans la continuité des OGM transgéniques. Nous avons encore en tête toutes les promesses dont ces derniers ont été porteurs il y a 30 ans. Et elles ont perduré. Des promesses de nourrir la planète, de sauver le monde… Promesses non-tenues parce qu’ils sont maintenant déployés et ont contribué à des systèmes agricoles hyper-simplifiés, pas durables, néfastes pour l’environnement et pour la majorité des paysans et qui sont actuellement dans l’impasse », rappelle la spécialiste. En effet, aujourd’hui, les NTG sont plébiscitées grâce à des promesses similaires. En juillet 2023, la Commission européenne soutenait sa proposition en affirmant que les NTG réduiront l’utilisation de pesticides. Elle affirme également que les NTG seront « mieux adaptées au changement climatique ».
Éviter l’absence de réglementation
En 2021, à la demande des ministères de l’agriculture et de l’environnement, l’Anses a débuté une expertise sur le sujet. Fini fin janvier 2024 selon Le Monde, le rapport a été publié le 6 mars 2024. Il vient donc s’ajouter à l’avis portant sur la proposition de la Commission européenne. « Suite à cette analyse, l’Agence estime que le référentiel actuel d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux des plantes génétiquement modifiées n’est que partiellement adapté à l’évaluation de ces nouvelles plantes [NTG] », précise l’Anses dans un communiqué. « Modifier la réglementation pour tenir compte des NTG engage des choix de société car différents impacts économiques et sociétaux sont aussi dans la balance. Ce travail d’expertise de l’Anses permet d’identifier toutes les questions qu’il faut se poser afin de garantir une mise en débat la plus ouverte et éclairée possible », explique Brice Laurent, directeur Sciences sociales, économie et société à l’Anses.
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L’Agence émet également trois recommandations principales pour adapter cette réglementation. Tout d’abord, elle propose une évaluation « au cas par cas ». Celle-ci dépendra de « la précision de la technique utilisée et les caractéristiques de la plante obtenue une fois le génome modifié ». En plus, elle devra prendre en compte « l’ensemble des potentielles conséquences toxicologiques, nutritionnelles, agronomiques et environnementales des nouvelles caractéristiques ». L’Anses ouvre également l’option d’une évaluation « simplifiée ou adaptée » dans le cas où un « historique de connaissances » est disponible. Youssef El Ouadrhiri, chef de l’unité biotechnologies de l’organisme explique : « Le choix d’une évaluation allégée se fait en comparant les caractéristiques moléculaire, phytochimique, nutritionnelle et agronomique de la plante. Celles-ci sont obtenues avec les données disponibles dans la littérature scientifique ». Enfin, l’Agence souligne l’importance d’un dispositif de surveillance pour tous les NTG suite à leur mise sur le marché.