Depuis cet été, le« deep sea mining », ou l’extraction de minerais dans les grands fonds marins, fait débat. Si certains permis d’exploration ont bien été accordés, aucun permis d’exploitation n’a encore été livré. Mais les industriels miniers mettent de plus en plus la pression pour opérer. Pendant ce temps, les écologistes enragent et les scientifiques tergiversent.
Du cobalt, du nickel et même de l’or au fond des océans attisent les convoitises des exploitants miniers. Pour les récupérer, ces entreprises veulent obtenir le droit de faire du « deep sea mining ». Cette pratique désigne l’extraction de minerais, de métaux dans les grands fonds, dans une zone sans lumière », explique François Chartier, chargé de campagne océans chez Greenpeace.
Les explorations de ce type restent encore marginales, mais pourraient rapidement se développer. « Pour le moment, une trentaine de permis d’exploration ont été donnés par les autorités« , ajoute François Chartier. Mais l’ONG de défense de l’environnement craint de voir le deep sea mining se démocratiser. Le risque : dégrader les écosystèmes des profondeurs océaniques. « Ces opérations permettent aux industriels de tester les machines, avant de se lancer définitivement dans les explorations« , affirme le chargé de campagne de Greenpeace.
Le 7 septembre dernier, NORI, filiale de la société canadienne The Metals Company (TMC), spécialisée dans l’extraction de minerais océaniques, a obtenu une autorisation pour pratiquer le deep sea mining. L’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) a donné une suite favorable à la demande formulée par l’entreprise. Cette exploration aura lieu au large de l’île de Nauru, au beau milieu du Pacifique. En effet, ce bout de terre se situe à environ 2.600 kilomètres à l’est de la Papouasie-Nouvelle-Guinée.
3.600 tonnes de nodules polymétalliques
Pour cette première exploration, NORI va explorer les profondeurs de la faille de Clipperton. La filiale minière a jeté son dévolu sur cette zone car elle est particulièrement riche en minerais. Ainsi, les machines extractives se mettront en branle dès la fin du mois de septembre, pour une durée d’environ trois mois. Dans un communiqué, TMC explique que l’expédition devrait se conclure « au quatrième trimestre 2022 ». Durant cette période, la firme canadienne estime que NORI devrait collecter « environ 3.600 tonnes de nodules polymétalliques ». De couleur brune et de la taille d’une grosse pomme de terre aux contours irréguliers, le nodule polymétallique renferme les minerais océaniques tant prisés des industriels.
Pour récupérer ces milliers de tonnes de nodules, NORI va devoir explorer les fonds marins sur de larges distances. « Les compagnies minières viennent chercher les nodules polymétalliques qui se répartissent sur des milliers de kilomètres, entre 4.000 et 6.000 mètres de profondeur. Riches en cuivre ou en nickel, ces amas de minéraux pourraient [aussi] constituer une ressource stratégique pour les États », informe Pierre-Marie Sarradin, chimiste et responsable de l’unité Étude des écosystèmes profonds à l’Ifremer.
Flou et scientifiques autour du deep sea mining
Si le projet au large de Nauru ravit TMC, les associations écologistes grincent des dents, car l’autorisation de l’AIFM intervient dans un contexte de flou juridique autour du « deep sea mining ». En effet, l’instance a accepté la demande de NORI alors qu’elle n’a pas encore terminé de plancher sur l’élaboration d’un code minier sur lequel elle était en train de travailler. Or, celui-ci est censé définir le cadre légal de futures exploitations minières.
En dépit de ce flottement législatif, l’expédition de NORI comprendra des scientifiques. En effet, TMC explique que sa filiale sera accompagnée de scientifiques pour l’exploration au large de Nauru. Ces derniers devront évaluer l’impact environnemental du « deep sea mining » sur les profondeurs de l’océan. L’entreprise assure que ces chercheurs originaires « d’une douzaine d’institutions » sont« indépendants ».
Avant d’avoir participé à plusieurs explorations préliminaires, les scientifiques refusent de se prononcer sur l’impact environnemental du deep sea mining. « Actuellement, il y a consensus scientifique, qui dit que nous n’avons pas suffisamment d’informations pour faire une évaluation d’impact correcte, pour dire si cela pourrait avoir des conséquences non soutenables pour l’océans », informe Pierre-Marie Sarradin. Toutefois, le chercheur reconnaît que« ces nodules [hébergent] une faune très spécifique.
Autrement dit, ces futures exploitations pourraient effectivement avoir des conséquences négatives sur les écosystèmes des profondeurs océaniques. « On s’est rendu compte qu’on avait, dans les fonds marins, un écosystème luxuriant. Celui-ci est soutenu par une autre source d’énergie que le soleil, car il n’y a pas de lumière. Cette source on l’appelle la chimiosynthèse. Il s’agit de la production de matière organique par des microorganismes qui vont utiliser de l’énergie chimique », énonce le scientifique. Or, cet équilibre chimique pourrait ainsi être chamboulé avec les exploitations minières.
Deep sea mining, greenwashing et manipulation
De leur côté, les militants écologistes ne comptent pas attendre la fin des travaux scientifiques pour protester. Ainsi, en juin dernier, lors du sommet mondial des Océans à Lisbonne, plusieurs pays, députés, spécialistes des océans et ONG ont appelé à un moratoire pour ne pas aller exploiter les ressources des fonds marins.
Dans le même temps, plusieurs écologistes, dont l’activiste Camille Étienne, l’eurodéputée Marie Toussaint ou encore la fondatrice de l’association Bloom Claire Nouvian, ont multiplié les actions pour enjoindre les États à interdire le « deep sea mining ». « Nous avons lancé le mouvement Look Down. Cette action dénonce l’exploitation minière des fonds marins. On est en train de condamner des espèces avant même de les avoir rencontrées. L’impact sur la biodiversité pourrait être dramatique« , s’agaçait alors Camille Étienne.
Lire aussi : Sommet mondial sur les océans : les ONG réclament une position claire de la France
En réponse à ces craintes, les compagnies minières brandissent la carte de la transition écologique pour justifier leurs activités. TMC par exemple, entend fournir des minerais pour produire les « batteries de 280 millions de véhicules électriques », peut-on lire dans un communiqué. Cette allégation enrage Marie Toussaint.« Ils veulent nous faire croire que c’est pour sauver le climat qu’ils vont mettre à mal les puits carbones les plus importants de la planète ». Selon la députée, « ce n’est même plus de l’ordre du greenwashing à ce niveau-là. C’est de la manipulation ».
Un risque de collusion ?
De plus, les écologistes craignent de voir l’impartialité scientifique mise à rude épreuve. Certaines voix redoutent le conflit d’intérêt. « Le problème majeur de la collusion reste entre l’AIFM, les exploitants miniers, et les petits États », note Marie Toussaint. « Ce n’est pas nouveau de voir des firmes payer les études de scientifiques pour justifier leurs activités. Le cas de Monsanto Bayer est un bon exemple », remarque la députée.
De son côté, François Chartier partage les doutes de Marie Toussaint.« Il est vrai que les relations ente les institutions scientifiques et les compagnies minières sont ambiguës », reconnaît le chargé de communication de Greenpeace. « Les scientifiques, qu’ils soient d’accord ou pas avec l’entreprise, peuvent plus facilement travailler. Par ailleurs, cela pose question sur le financement de la recherche publique », poursuit ce dernier. Mais pour Pierre-Marie Sarradin, ces craintes n’ont pas lieu d’être. « Nous sommes très attentifs aux risques de collusion », se défend le scientifique.
Léo Sanmarty et Chaymaa Deb