La question de l’évaluation des coûts du Centre industriel de stockage géologique de déchets radioactifs (Cigéo) à Bure (Meuse) est complexe. Comment évaluer le coût du stockage à 500 mètres de profondeur pour une exploitation pendant une centaine d’années? Il faut prendre en compte les coûts de construction, de maintenance, de fermeture et l’évolution de la fiscalité sur 100 ans. L’Andra nous explique sa démarche.
Pour limiter la charge portée par les générations futures, les producteurs de déchets (EDF, Areva et le CEA) doivent provisionner les coûts de gestion des déchets radioactifs qu’ils génèrent.
Comment provisionner les coûts de Cigéo ?
Pour faire des provisions, il faut connaître l’ensemble des coûts liés à Cigéo. La démarche officielle pour arrêter ces coûts est définie par la loi du 28 juin 2006, codifiée à l’article L.542-12 du code de l’environnement.
Dans un premier temps, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) propose au ministre chargé de l’énergie une évaluation des coûts après avoir recueilli les observations des producteurs et l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). S’en suit une consultation avec les producteurs de déchets et les évaluateurs pour arrêter le coût et fixer les provisions à faire. Seule cette évaluation arrêtée par le ministre sert de base à l’élaboration de ces provisions. Le ministre rend cette évaluation publique.
« Il faut estimer tous les coûts du projet : les études, la construction initiale, mais aussi toutes les dépenses qui suivront pendant plus de cent ans pour construire de nouvelles alvéoles, renouveler les équipements, les maintenir, exploiter le centre et le fermer… sans oublier les dépenses liées à la fiscalité! Sur une telle échelle de temps, les incertitudes sont forcément importantes », explique Thibaud Labelete, directeur des programmes à l’Andra, au Journal de l’Andra. C’est pourquoi le chiffrage est régulièrement mis à jour, au fur et à mesure que le projet se précise.
Une fois le site de stockage rempli, au bout d’une centaine d’année d’exploitation, la sécurité sera passive, ne demandant aucune maintenance humaine et donc aucun frais supplémentaire. C’est pourquoi l’évaluation des coûts porte sur une centaine d’années, malgré le fait que le centre stockera ses déchets pour au moins 100 000 ans après sa fermeture.
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Des évaluations officielles ou non officielles ?
Malgré le cadre juridique défini, plusieurs estimations non officielles ont été annoncées. La première estimation des coûts de Cigéo par l’Andra date de 2003, pour un montant évalué entre 13,5 à 16,5 milliards d’euros 2002 (Md€2002). En 2005, l’Andra propose un nouveau chiffrage : 20,8 Md€2010. En 2005, le Ministère arrête un montant de 15 Md€2010*(voir note bas de page). C’est la dernière évaluation arrêtée par le Ministère de l’énergie et la seule officielle. Mais beaucoup d’évaluations non officielles circulent…
En 2012, la Cour des comptes a notamment rendu publique une nouvelle estimation des coûts de Cigéo par l’Andra, à hauteur de 35,9 Md€2010. Il faut noter que cette nouvelle évaluation repose sur l’évolution des données techniques du centre, prenant en compte les objectifs de sûreté et de réversibilité et l’augmentation du volume de déchets, avec une durée de vie de réacteurs de 50 ans, contre 40 ans pour l’évaluation de 2005. Les exploitants ont quant à eux élaboré une contre-proposition, pour un coût de 14,4 Md€2010. Fort est à parier donc, que les provisions sont pour le moment insuffisantes, comme le souligne la Cour des comptes.
L’État a demandé à l’Andra de lui communiquer une mise à jour du chiffrage en 2014, après prise en compte des suites du débat public et des études d’optimisation en cours. Cette mise à jour a été rendue au ministère en Octobre 2014, mais le chiffrage n’a pas encore été rendu public. Le Ministère rediscute avec les producteurs de déchets et les évaluateurs pour arrêter le nouveau montant des provisions à faire. Cette nouvelle estimation demeure encore inconnue.
« Ces épisodes posent la question du cadre juridique actuel, qui empêche l’Andra de rendre ses estimations publiques avant qu’elles ne soient arrêtées par le ministre chargé de l’énergie. Cette règle favorise une atmosphère de controverse, alors que la transparence qui résulterait d’une confrontation publique entre les points de vue de l’AndraA et des exploitants est pourtant souhaitable », regrette Denis Baupin dans le rapport de la commission d’enquête relative aux Coûts de de la filière nucléaire et à la durée d’exploitation des réacteurs.
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Quels sont les déchets pris en compte par ces évaluations ?
Le stockage de Cigéo prendra en charge l’ensemble des déchets de haute et moyenne activité à vie longue produits par toutes les installations nucléaires en fonctionnement ou autorisées (dont ITER et l’EPR de Flamanville). Pour fixer le volume des déchets dans la nouvelle évaluation des coûts en cours d’analyse par le Ministère de l’Energie, l’Andra a pris le parti de fixer la durée de vie d’une centrale à 50 ans. « Tous les déchets produits par les centrales autorisées ou existante pendant 50 ans sont pris en charge par Cigéo ; cela représente un volume de l’ordre de 80 000 m3 de déchets, 10 000 m3 de déchets de haute activité et 70 000 m3 de déchets de moyenne activité à vie longue », fait savoir l’Andra. Aujourd’hui, plus de 30% des déchets de haute activité et 60% des déchets de moyenne activité à vie longue sont déjà produits et entreposés dans des entrepôts de surface, notamment à La Hague.
Cigéo ne prévoit donc pas le stockage de déchets radioactifs d’un nouveau parc de réacteurs nucléaire. Si de nouveaux réacteurs EPR sont autorisés, il faudra donc soit adapter Cigéo, soit créer un nouveau centre de stockage.
Comment définir les coûts d’exploitation sur 100 ans ?
« Les spécialistes conviennent qu’il est impossible d’avoir une appréciation exacte des techniques utilisées, et donc des coûts, sans la réalisation de tests « grandeur nature ». « S’agissant des coûts, il n’est pas raisonnable de vouloir connaître le montant de la facture tout de suite : il est nécessaire de passer au préalable par une phase pilote, qui permettra d’affiner les choix
technologiques, lesquels auront une incidence sur ce montant », explique Jacques Repussard, directeur général de l’IRSN, auditionné dans la commission d’enquête précédemment citée.
Suite au débat public, une phase pilote préalable d’expérimentation a donc été programmée à partir de 2025. Elle devrait permettre de lever les incertitudes qui persistent sur l’inventaire à enfouir, la sûreté, les coûts, la récupérabilité des colis, les capacités d’évolution de l’installation pour accueillir des déchets supplémentaires… Tant que cette phase ne sera pas réalisée, les estimations du projet Cigéo seront encore entourées d’un degré d’incertitude important.
Un avis de marché pour définir les coûts de construction
Avant cette phase pilote, il faut tout de même construire Cigéo. Pour l’aider dans ce chantier, l’Andra a publié le 29 octobre 2014 un avis de marché pour évaluer plus précisément le coût du projet de Cigéo. Le marché sera constitué de deux lots : l’un concernant la coûtenance et le second, l’estimation des coûts. L’accord-cadre consécutif est prévu pour 48 mois pour un montant total de 600 000 euros hors TVA. Le collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs (Cedra) dénonce l’incompétence de l’Andra qui n’arrive pas à évaluer les coûts de son propre projet.
L’Andra a tenu à répondre à nos questions pour préciser le cadre de cet appel à marché. Ainsi, l’agence explique que cet appel ne vise pas à évaluer le coût global de Cigéo, exercice élaboré par l’Andra, mais à affiner l’évaluation des coûts uniquement pour les travaux de construction. Il s’agira, par exemple, de définir le diamètre et les coûts des tunnels, le volume et les coûts du béton. « A mesure que le projet se dessine de façon de plus en plus précise, la définition du périmètre des coûts se dessine de façon de plus en plus précise. Pour élaborer le coût de Cigéo de façon beaucoup plus détaillée, sur la base des plans détaillés de l’installation, nous souhaitons nous faire accompagner par quelqu’un dont c’est le métier », fait savoir l’Andra.
Malgré l’incertitude portant sur les coûts globaux de construction et d’exploitation de Cigéo, la Cour des comptes a estimé que le coût du stockage des déchets radioactifs ne représente que 1 à 2 % du coût total de production d’électricité sur l’ensemble de la durée d’exploitation d’un réacteur.
*Toutes ces évaluations ont été élaborées avec la valeur de l’euro, du prix du travail et des matières premières à un moment précis. Ils sont donc réactualisés constamment, avec l’évolution de la fiscalité, des salaires, du prix des matières premières, etc.
Auteur : Matthieu Combe, fondateur du webzine Natura-sciences.com